Motivation, confiance, rétention : la justice organisationnelle a tout bon

10-06-2025
La justice organisationnelle ? Un courant d’air invisible, mais bien réel, dans les bureaux.
Rédigé par :
Victoire Bejjani, Pratiques RH
justice et équité au travail

Selon un récent sondage de l'Ordre des CRHA (2023), près de 40 % des personnes salariées au Québec estiment que leur environnement de travail manque de justice et de transparence. Voilà une statistique qui fait réfléchir !

La justice organisationnelle influence (ou pas !) la motivation des équipes, la rétention des employé.e.s et même leur niveau d’énergie.

Car être traité équitablement au travail peut faire toute la différence entre se lever avec enthousiasme pour son emploi ou commencer à imaginer des scénarios catastrophiques à chaque notification Teams !

Les 3 visages de la justice au travail : procédurale, distributive et interactionnelle

Derrière le terme de justice organisationnelle se cachent trois dimensions clés.

La justice distributive : de l’équité aux actes concrets

  • « Est-ce que le gâteau est équitablement partagé ? » Ici, il ne s’agit pas de pâtisserie, mais bien de rémunération, de promotions et de reconnaissance.
  • La justice distributive touche à la perception d’équité dans les récompenses.

À poste et profil équivalents, un traitement inégal pour un effort similaire crée vite un climat de méfiance.

Stephane Moulin, directeur de la revue Sociologie et sociétés, professeur titulaire et directeur des études supérieures au Département de sociologie de l’Université de Montréal, le rappelle : « l’équité, ce n’est pas de donner la même chose à tout le monde, mais à chacun.e selon ce qu’il ou elle a contribué. »

Il distingue clairement deux principes fondamentaux : l’équité et l’égalité, qui sont deux formes de justice distinctes.

« L’égalité est liée à la justice interpersonnelle : être traité comme les autres. L’équité, elle, correspond à la proportionnalité entre effort et rétribution. »  

Mais l’équité ne peut rester un principe abstrait.

Comme le souligne Caroline Hunter-Meunier, psychoéducatrice et directrice chez Formatrad : « avoir de bonnes intentions, c’est bien, mais passer à l’action, c’est encore mieux. Rien de plus difficile pour des employé.e.s que des belles promesses non tenues. »

L’équité salariale au Québec

La Loi sur l’équité salariale oblige, depuis 1996, les entreprises de 10 salarié.e.s et plus à corriger les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes occupant des emplois différents, mais de valeur équivalente. La loi prévoit également une évaluation obligatoire tous les cinq ans, afin d’assurer le maintien de l’équité salariale dans le temps.

Et même si la société accepte que certaines professions exigeantes ou très qualifiées soient mieux rémunérées, des incohérences persistent sur le terrain, mettant à mal cette logique pourtant admise.  

La justice procédurale : des processus clairs pour un effet durable

  • « La recette est-elle claire pour tout le monde ? » En bref, il s’agit de la transparence et de la cohérence des processus décisionnels.
  • Les décisions sont-elles prises de manière objective ? Peut-on comprendre les critères ? Est-ce que tout le monde a sa chance ?

Lorsque les processus sont justes, visibles et compris, cela crée un effet de ruissellement positif dans l’organisation : les équipes ont davantage confiance dans leurs gestionnaires, ce qui favorise l'engagement, la loyauté et une culture de responsabilisation.

Mais l’inverse est tout aussi vrai : un processus flou, arbitraire ou incohérent peut rapidement miner la crédibilité d’une décision… Voire d’une direction entière.

« Les gestionnaires doivent être formé.e.s à comprendre et vulgariser l’équité, tout en l’incarnant concrètement au quotidien », insiste Mme Hunter-Meunier.

Pour Stéphane Moulin, ce sont les processus collectifs, pas les gestes individuels, qui assurent une justice durable. Il rappelle que ce n’est pas l’intention, mais la cohérence des règles dans le temps qui fonde un climat de justice au travail.

Il insiste également sur la nécessité de « procédures de délibération inclusives, respectueuses », où la justice ne repose pas sur des actions isolées, mais sur des normes partagées et stables.

« L’équité ne se mesure pas uniquement en chiffres, mais en cohérence perçue entre l’effort consenti et la reconnaissance obtenue. »

- Stephane Moulin

Justice interactionnelle : respect et écoute avant tout

  • « Ma part du gâteau est-elle partagée avec respect et dignité ? »
  • C’est la dimension relationnelle : la façon dont une décision est communiquée notamment lorsqu’il s’agit de mauvaises nouvelles a autant d’importance que la décision elle-même. Le ton, l’écoute, les explications, la considération… Tout compte !

Selon un sondage Léger mené en 2023, une proportion significative de travailleur.euse.s québécois.e.s, notamment les jeunes, accordent une grande importance à une communication respectueuse et claire de la part de leurs gestionnaires.​

Stéphane Moulin met en garde : « ce ne sont pas les mercis automatiques qui comptent, mais la reconnaissance réelle du travail accompli. » Il attire aussi l’attention sur la violence silencieuse des micro-agressions. « Faire semblant de ne pas voir quelqu’un, c’est une manière de nier sa présence. »

Ce type de comportements contribue à l’émergence d’un climat toxique, souvent invisible, mais profondément destructeur pour l’engagement et la confiance au sein des équipes.

Caroline Hunter-Meunier complète cette vision en insistant sur la qualité et la sincérité de la reconnaissance. « Cela passe par des retours réguliers et authentiques, en valorisant autant les petites réussites quotidiennes que les grandes victoires. »  

Quand la perception fait loi : la justice au prisme de chacun

Le hic, c’est que cette justice n'est jamais totalement objective. Chaque employé.e perçoit la justice organisationnelle à travers son propre prisme, influencé par ses expériences, ses attentes et même son humeur matinale.  

Deux collègues d’une même équipe peuvent ainsi vivre la même décision… Mais la ressentir à l’opposé.

Décrypter la justice en entreprise

Une étude de l'École nationale d'administration publique (ENAP) révèle que la personnalité joue un rôle clé dans la perception de la justice au travail. Les personnes plus consciencieuses ou plus sensibles au stress se montrent notamment plus réactives face aux injustices, ce qui peut influencer leur motivation et leur manière de réagir aux changements organisationnels.

Caroline Hunter-Meunier insiste : « c’est la justice perçue qui compte le plus. Si les équipes ressentent sincèrement qu’elles sont traitées justement, la motivation et la cohésion de l’équipe explosent positivement. »  

Pour M. Moulin, cette subjectivité est inhérente à toute situation de travail. Il souligne toutefois que certaines injustices patentes, comme le harcèlement ou la violence, ne prêtent à aucune interprétation : elles sont unanimement inacceptables.

Entre règles et ressentis : quels enjeux pour les organisations ?

Quand la justice organisationnelle vacille, c’est tout l’équilibre qui chancelle.

Le sociologue Stéphane Moulin est catégorique : « les injustices organisationnelles ont des effets très forts sur la santé mentale. Les plus vulnérables sont les plus exposés. »

Et paradoxalement, ce sont souvent elles à qui l’on demande de rester positives, malgré un climat délétère.

« Le travail émotionnel exigé dans un climat injuste alourdit la charge mentale plus qu’on ne l’imagine. »

- Stéphane Moulin

Et cette souffrance ne reste pas individuelle : la contagion émotionnelle est réelle. Un sentiment d’injustice partagé par quelques-un.e.s peut vite plomber le climat d’équipe.

Données, impacts : ça pique !

Caroline Hunter-Meunier résume bien l’enjeu : « la justice organisationnelle, c’est le ressenti face à l’équité des règles, à la clarté des décisions et à la manière dont les gens sont traités. »

3 gestes concrets pour bâtir une culture plus juste

Ou comment éviter que les employé.e.s se sentent comme dans une téléréalité sans script ni règles du jeu.

1. Écouter (pour vrai) et en tenir compte

Organiser des séances d’écoute, c’est bien. Les vivre sans chrono ni faux-semblants, c’est mieux. Et surtout, éviter le fameux : « On vous écoute, mais vite, le Zoom coupe dans 3 minutes. »

Comme le rappelle Valérie Fontaine, responsable des ventes de services chez Schneider Electric, l’écoute active améliore le mieux-être et favorise l’engagement. Encore faut-il, « intégrer concrètement les retours dans les décisions du quotidien », dit Mme Hunter-Meunier.

2. Clarifier les messages et donner des retours utiles

Favoriser la justice, c’est aussi communiquer clairement. Fini les courriels qui ressemblent à des énigmes administratives : plus la communication est limpide, plus la perception de justice s’installe.  

Côté rétroaction constructive, il ne suffit pas d’éviter les maladresses du type : « ton rapport était super, mais Comic Sans MS, vraiment ? »  

Un bon retour, c’est comme un espresso : court, fort, motivant.

« « Dire qu’on soutient l’équité, c’est bien. Mais est-on prêt à poser des gestes concrets, à faire évoluer les pratiques, à écouter pour de vrai ? »

- Caroline Hunter-Meunier

Et comme le souligne Stéphane Moulin, « les gestionnaires ne sont pas toujours préparés à incarner l’équité au quotidien », d’où l’importance de les former et de les outiller.

3. Pratiquer l’équité et le respect au quotidien

L’équité, ce n’est pas « tout le monde pareil », mais « chacun.e selon ce qui est juste ».  

« On peut y aller doucement, avec des gestes concrets. Pas besoin de tout révolutionner du jour au lendemain », suggère Caroline Hunter-Meunier.

Et le respect ? Il se joue dans les détails : une remarque déplacée, un surnom qu’on croit drôle, un silence lourd, etc. Ces micro-agressions fragilisent l’ambiance et minent la confiance.

Pour aller plus loin que les bonnes intentions, des outils comme la Fresque du Management Responsable permettent de traiter collectivement les enjeux de justice et de respect au travail. En impliquant activement les équipes, ces démarches favorisent une prise de conscience partagée et renforcent la cohésion autour de valeurs communes.

Stéphane Moulin rappelle que « même à distance, l’impact reste là. L’empathie diminue, on voit moins bien les signaux faibles. Mais les piliers de la justice ne bougent pas : le respect mutuel reste central. »

Pourquoi les entreprises justes s’en sortent-elles mieux ?

Caroline Hunter-Meunier va droit au but : « moins de stress, plus de confiance, plus de résultats. »  

Pour elle, les effets d’un climat perçu comme juste ne sont pas qu’émotionnels, ils transforment concrètement la dynamique d’équipe. Motivation, rétention, cohésion, performance : tout y passe.

Et les données le confirment. Un climat de travail équitable peut faire toute la différence :

  • Moins d’absences, moins de stress : le stress lié à l’injustice coûte cher jusqu’à 1 000 $ par employé.e, soit plus de 200 000 $ pour une entreprise de 200 personnes.
  • Plus d’engagement durable : une étude longitudinale canadienne menée auprès des professionnel.le.s des TIC montre que la justice procédurale favorise grandement la rétention du personnel.
  • Engagement et performance accrus : des recherches établissent des liens directs entre la justice organisationnelle perçue, l’engagement et la performance des équipes.  

« Les dispositifs comme les comités éthiques ou les outils collectifs incarnent des choix durables », complète Stéphane Moulin.  

Pour l’expert, investir dans la justice organisationnelle, c’est « poser des fondations qui survivent aux changements de direction ». Et même ouvrir la voie à plus d’autonomie via le self-management (autogestion).

Cultivez la justice, récoltez la performance !

La justice organisationnelle ne relève pas simplement d’une belle théorie RH. Il s’agit d’un levier stratégique puissant capable de transformer l’ambiance de travail, la motivation des équipes et même les résultats financiers.

Un.e employé.e qui se sent traité.e équitablement s'investit davantage, fait preuve de loyauté, et dépasse souvent les attentes.  

Gestionnaires, employeurs, décideurs : à vos marques… « Justicez » !