Gestion des émotions au travail : quand la déception s’installe
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Qu’elles résultent de malentendus, d’une attente qui n’a pas été comblée ou bien d’une situation anxiogène vécue au bureau ou non, les émotions négatives et la déception font partie du quotidien.
Toutefois, plusieurs mesures peuvent être mises en place pour limiter leur impact sur le mieux-être de la main-d'œuvre.
Nommer l’émotion négative pour mieux la vivre
Alexandra Lamoureux, associée et consultante chez Boite Pac, met de l’avant l’importance de « créer un climat où la vulnérabilité, la curiosité et l’écoute sont valorisées ».
« S’il y a présence de ces trois éléments de la part des gestionnaires, cela permet de nommer une émotion plus facilement, de passer au travers et d’en être libéré.e », relève-t-elle.
Judith Dignard, elle aussi associée et consultante chez Boite Pac, abonde dans le même sens que sa collègue et souligne que « ce qui fonctionne bien en entreprise, c’est vraiment quand il y a une connexion entre l’employé.e et l’employeur, puis que les émotions soient nommées ».
« Si une personne n’a pas reçu la promotion à laquelle elle aspirait, il est important d’avoir une conversation sincère avec elle pour lui permettre d’exprimer les émotions qu’elle vit », poursuit-elle.
Sophie Morin, psychologue, psychothérapeute et fondatrice de Sophie Morin Conseils, souligne elle aussi l’importance d’éviter de passer l’émotion qui crée de la difficulté sous silence. « Il faut accueillir la déception, reconnaître que c’est normal que la personne soit déçue, et ne pas être dans le jugement. »
La transparence pour limiter les déceptions
Alexandra Lamoureux est d’avis qu’il est possible de réduire les occasions où la déception se manifeste en misant sur la transparence.
« On peut limiter les déceptions en faisant preuve de transparence avec les membres de l’équipe, notamment concernant la divulgation des grandes décisions organisationnelles. »
- Alexandra Lamoureux, associée et consultante chez Boite Pac
Elle fait part de la structure mise en place chez Boite Pac, laquelle se décline en trois étapes.
« Premièrement, il s’agit de dire quel enjeu a été cerné. Ensuite, il faut exprimer les différentes pistes de solution explorées pour y remédier. En dernier lieu, il est temps d’annoncer laquelle de ces dernières a été retenue et expliquer pourquoi », soulève-t-elle.
Elle mentionne que lorsque ce filtre décisionnel est expliqué, cela évite aux équipes de se faire des scénarios concernant les raisons qui ont mené aux décisions prises et que cela peut parfois éviter certaines frustrations.
La déception : une responsabilité partagée
Qui doit agir pour remédier à la situation lorsque la déception se fait ressentir chez le personnel et qu’elle commence à nuire à sa motivation ?
Patric Gibouin, conseiller en développement professionnel chez AC2 Coaching, fait valoir que cette responsabilité appartient autant à l’employeur qu’à l’employé.e, précisant qu’une déception vient d’une attente qui n'a pas été rencontrée. « À partir du moment où la déception est identifiée, il faut se demander ce qu’on peut faire ensemble. »
« Dans un contexte hiérarchique, le gestionnaire a au moins 51 % de la responsabilité. Est-ce qu’il y a eu un manque au niveau de la formation ou des attentes ? Pour sa part, l’employé.e aurait peut-être pu demander plus de mentorat ou de clarification », interroge Judith Dignard.
Encourager l’expression saine des émotions difficiles
« Il est possible de vivre toutes les émotions au travail, c’est toutefois la façon de faire vivre l’émotion qui peut ne pas être acceptable, indique Sophie Morin. Si une personne fait la tête tout le temps et s’isole, ce n’est pas une attitude à encourager. Il faut inciter l’employé.e à venir en parler. »
Alexandra Lamoureux nous explique la procédure utilisée avec l’équipe de Boite Pac afin de favoriser l’expression saine des émotions négatives, laquelle est composée de 4 étapes, une procédure nommée « la brassée ».
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Source : Boite Pac
La première étape consiste à reconnaître l’émotion et à la questionner pour mieux la comprendre. Ensuite, il faut écrire un brouillon, c’est-à-dire se plonger dans l’interprétation d’une situation qui suscite des émotions négatives. Il s’agit aussi d’une occasion d’identifier les informations qui pourraient être manquantes pour comprendre la situation dans son ensemble.
À la troisième étape, il faut « partir la brassée ». Plus précisément, il est temps de confronter cette interprétation de la situation en discutant de vive voix avec les personnes concernées par celle-ci.
Cela permet d’obtenir les informations manquantes et d’avoir une vision plus claire de la réalité. Enfin, la quatrième étape consiste à faire une « mise au propre », c’est-à-dire à considérer une nouvelle interprétation de la situation en fonction des renseignements reçus.
Regarder vers le futur pour surmonter la déception
L’employeur doit aider la personne à trouver comment transformer une situation décevante, pense Patric Gibouin.
« L’employé.e ne doit pas rester dans la déception. Il faut l’amener à comprendre comment transformer cet inconvénient en avantage et envisager cette situation comme un levier pour le changement. »
- Patric Gibouin, conseiller en développement professionnel chez AC2 Coaching
Judith Dignard souhaite sensibiliser les gestionnaires à l’importance de se concentrer sur les prochains objectifs de l’employé.e et à démontrer de l’intérêt pour son développement.
Selon elle, la mise en place d’un plan de développement est une pratique à intégrer en entreprise. De cette façon, si le ou la salarié.e n’a pas le poste ou le projet auquel il ou elle aspirait, le plan de développement permet de trouver de nouveaux projets sur lesquels travailler dans les prochains mois afin d’atteindre ses objectifs professionnels.
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De la rétroaction spécifique et en continu : une pratique à encourager
Chez Boite Pac, Alexandra Lamoureux mentionne l’importance « de mettre en place de la rétroaction tout au long de l’année, ce qui est possible dans un environnement où règne un sentiment de sécurité psychologique ».
« Un suivi régulier évite les mauvaises surprises et donc, les émotions très négatives qui peuvent résulter d’une critique qui n’a pas été anticipée de la part de l’employé.e », dit-elle.
Sa collègue Judith Dignard assure qu’il faut effectuer des rencontres hebdomadaires afin d’adresser rapidement les émotions négatives qui peuvent s’immiscer chez le personnel.
« Lors d’une rencontre hebdomadaire, le ou la gestionnaire va prendre le pouls des projets en cours du ou de la salarié.e, mais aussi de sa santé mentale, de sa charge de travail et de la façon dont il ou elle se sent. C’est une bonne occasion pour adresser les déceptions, s’il y en a. »
- Judith Dignard, associée et consultante chez Boite Pac
Dans le cas où la rétroaction offerte est négative, « un retour doit être donné dans la semaine ou dans les jours qui suivent l’action qui a été mal faite, puis elle devrait être formulée de façon très constructive, jamais en humiliant l’employé.e et en suscitant de la honte chez lui ou elle », explique Alexandra Lamoureux.
Un levier d’enrichissement et de changement
Ces échanges entre les gestionnaires et leurs équipes peuvent contribuer à une meilleure compréhension mutuelle. « La rétroaction peut être ascendante ou descendante et elle peut favoriser l’évolution de toute la main-d'œuvre et la culture d’entreprise », soulève Alexandra Lamoureux.
La consultante en ressources humaines insiste sur le potentiel offert par la vulnérabilité en entreprise, laquelle a la capacité de favoriser l’expression des émotions négatives dans un climat d’écoute et de respect.
Là aussi, la création de ce contexte favorable aux échanges est une responsabilité partagée entre l’employeur et l’employé.e. « Si le ou la salarié.e est vulnérable, c’est une bonne chose, mais si le.la gestionnaire en face n’est pas capable d’être tout autant sincère, cela ne sert à rien. »
De plus, une action concrète doit suivre l’échange afin de ne pas laisser la situation à l’origine des émotions négatives perdurer. « L’écoute la plus active, c’est celle qui donne lieu à une action », relève-t-elle.
Pour aller plus loin
Laisser l’employé vivre l’émotion
Sophie Morin met l’emphase sur un aspect important, celui de laisser à l’employé.e le temps de vivre le deuil qui accompagne parfois la déception en entreprise.
« Lorsque l’employé.e a mis beaucoup d’efforts dans un projet, il doit l’enterrer avant de pouvoir passer à autre chose. Il faut accepter que son énergie et sa capacité à s’investir baissent un peu pendant quelques jours. »
La psychologue du travail et psychothérapeute souligne que cette attitude d’acceptation favorisera les chances que la personne puisse passer à autre chose dans un délai plus ou moins long.
Écoute, vulnérabilité et communication : un trio gagnant
La déception et les émotions négatives des salarié.e.s ne peuvent pas être évitées. Toutefois, laisser libre cours à leur expression dans un climat d’ouverture où une vaste gamme d’émotions est acceptée et mettre en place une rétroaction sincère et enrichissante permettent d’en limiter l’impact.
En créant un milieu de travail où le négatif n’est pas balayé sous le tapis, le mieux-être au travail et la confiance mutuelle ne peuvent qu’en être améliorés, et ce, au bénéfice de tous.