Deuil en entreprise : l'importance de bien soutenir les équipes

Le décès d’une personne demeure un tabou dans de nombreuses organisations, tandis qu’il peut ébranler profondément le personnel. Face à cette réalité, les gestionnaires occupent souvent une position complexe, entre leurs responsabilités organisationnelles, leur rôle de soutien et leur propre expérience du deuil.
Quelles sont les bonnes pratiques pour soutenir le personnel tout en maintenant la performance collective ? Comment les chef.fe.s d’équipe peuvent accompagner leurs troupes ?
Oser aborder le deuil en milieu de travail
Une enquête menée en 2023 par Protégez-Vous, en collaboration avec des coopératives funéraires québécoises, révèle une lacune importante : 40 % des employé.e.s ayant vécu un décès dans leur environnement de travail ont ressenti un manque de soutien de la part de leur organisation.
En effet, la psychologue et conférencière Christine Goyette estime que la gestion du deuil est encore largement ignorée dans les entreprises. « Le personnel est souvent laissé à lui-même pour traverser cette épreuve », indique-t-elle.
La spécialiste ajoute qu'il est essentiel de comprendre les multiples facettes du deuil, tant sur le plan individuel qu’organisationnel, afin de l’appréhender dans les milieux de travail.
Elle ajoute qu’il est tout aussi essentiel de prendre ce décès au sérieux lorsqu’il surgit sans prévenir et qu’il n’est en rien lié à l’exercice des fonctions de la personne disparue, bien qu’il existe des métiers à risque qui nécessitent un accompagnement spécifique et de la prévention continue.
Reconnaître la complexité du processus de deuil
D’emblée, Déborah Ummel, professeure en psychologie spécialiste du deuil à l’Université de Sherbrooke, insiste sur la diversité des expériences du deuil. « Chaque personne le vit différemment, selon sa personnalité, ses expériences passées, sa culture et son environnement. »
Mme Ummel rappelle qu’il s’agit aussi d’un processus non linéaire qui alterne entre « des moments de perte et des moments de restauration ». Cette oscillation émotionnelle, bien que légitime, complique la manière dont on vit le deuil dans les milieux de travail, marqués par le maintien d’une certaine stabilité.
« C’est un véritable tremblement de terre, dont l’intensité dépend des relations tissées avec l’employé.e décédé.e », décrit-elle.
Lorsqu’un deuil frappe une équipe, les réactions sont rarement uniformes. Certain.e.s employé.e.s trouveront du réconfort dans un espace collectif d’échange, tandis que d’autres préfèreront traverser cette épreuve plus discrètement et se concentrer sur leurs tâches, insistent les expertes interrogées.
Au-delà de l’impact personnel, le décès d’un.e collègue provoque une onde de choc organisationnelle. Ce bouleversement soulève des enjeux administratifs et logistiques, comme la continuité des projets ou le sentiment de devoir rapidement remplacer un.e collègue, renforçant l’importance d’une approche humaine de la part de l’employeur et la plus transparente possible quant aux étapes à venir.
Congé lors d’un décès : ce que prévoit la Loi
Les travailleuses et travailleurs peuvent s’absenter du travail lors du décès et des funérailles d’une personne de leur entourage. Le congé doit être pris entre le moment du décès et les funérailles. Durant leur absence, leur lien d’emploi est protégé. »
Par contre, dans d’autres situations non prévues par la Loi (incluant pour les collègues et ami.e.s,), le personnel pourrait s’entendre avec son employeur pour s’absenter du travail à l’occasion d’un décès ou de funérailles.
Source : CNESST
Les gestionnaires face au deuil : un rôle clé
Les gestionnaires, souvent en première ligne lors de ces situations, doivent jongler entre leurs émotions et leur responsabilité d’apporter une aide concrète aux équipes.
Une gestion d’équipe basée sur l’empathie et l’acceptation
Vincent, un ancien gestionnaire dans une grande entreprise québécoise du secteur financier, partage son expérience : « lors de l’annonce du décès d’une collaboratrice proche, j’ai décidé de ne pas cacher mes émotions. J’ai toujours été connu pour être un gestionnaire humain, alors je n’ai pas utilisé de tactique différente cette fois-ci. »
Démontrer une authenticité et une sensibilité permet de créer un environnement où chacun.e se sent légitime dans ses ressentis, croit la spécialiste du deuil Christine Goyette. « La meilleure chose que l’on puisse offrir à une personne endeuillée, c’est de l’écouter sans juger ni chercher à minimiser ses émotions », ajoute-t-elle.
« Montrer ma vulnérabilité a été la meilleure chose que j’ai faite pour mon équipe, même si c’était difficile. »
- Vincent, ancien gestionnaire du secteur financier
De plus, oser parler de la personne disparue, évoquer ses réussites et impacts sur l’entreprise ou encore organiser un moment de recueillement sont des actions significatives que peuvent mettre en place les organisations.
Cependant, cette démarche s’accompagne souvent de dilemmes. « Il fallait à la fois être fort pour l’équipe et m’autoriser à vivre mon propre deuil », ajoute l’ancien gestionnaire qui demeurait responsable de la mobilisation des troupes pendant ce moment difficile.
Gestionnaires sous pression : des stratégies pour les épauler
Pour alléger le fardeau émotionnel et logistique des décès au sein du personnel, les organisations peuvent mettre en place plusieurs actions :
1. Former les gestionnaires à la communication empathique
Puisque la mort d’un.e collaborateur.ice implique des discussions difficiles, il est essentiel que les gestionnaires soient prêt.e.s à affronter sainement ces épreuves.
Des formations comme celles offertes par le Centre PRAXIS de l’Université de Montréal permettent de développer des compétences en écoute active et en gestion des émotions, tout en répondant aux exigences organisationnelles.
« Une fois la crise passée, les gestionnaires devront se donner du temps pour réfléchir à ce qu’ils et elles ont vécu, comprendre leurs réactions, et trouver un espace pour se ressourcer », insiste la spécialiste Déborah Ummel.
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2. Soigner l’annonce d’une perte
Une communication soignée de la part de la direction, et destinée à tous les échelons hiérarchiques, est primordiale lors de l'annonce du décès d'un.e collaborateur.ice, fait valoir une publication de HRTODAY. Évidemment, les détails relatifs aux funérailles sont toujours à̀ communiquer avec l’accord de la famille du ou de la défunt.e.
3. Simplifier les démarches administratives
Répondre aux besoins des équipes tout en assurant la continuité opérationnelle est un lourd défi, soutient Vincent. Entre deux mouchoirs et réunions de soutien pour son équipe, il a dû s’occuper de toutes les formalités administratives.
« Enregistrer la fin d’emploi dans notre système, ouvrir le poste pour les prochaines semaines, etc. C’était presque déshumaniser mon ancienne collègue », témoigne-t-il.
Automatiser ces processus ou en déléguer la gestion à une équipe RH spécialisée permet aux gestionnaires de se concentrer sur leur rôle humain.
4. Porter une réelle importance à ce drame
En créant des occasions de discussion ou en facilitant l’accès à des groupes de soutien internes, les organisations manifestent leur appui aux membres des équipes touchés par un deuil.
5. Accepter que les équipes traversent une période de transition
L’employeur peut informer ses gestionnaires et leurs équipes des arrangements temporaires pouvant être apportés afin de les aider à accomplir leur travail (télétravail, ajustement de l’horaire, adaptation voire réassignation de certains projets, etc.).
Il est également possible de réduire la pression des chef.fe.s d’équipe en établissant clairement avec elles et eux les priorités des prochaines semaines suivants la perte d’un.e salarié.e.
Une enquête du Gouvernement du Canada (2020) révèle que 80 % des employé.e.s estiment que leur employeur devrait disposer d’un protocole pour les soutenir dans les moments de deuil, bien que peu d’entreprises en soient réellement dotées.
Comment les RH peuvent-elles accompagner les équipes endeuillées ?
« Il est crucial d’avoir des politiques claires sur la gestion du deuil en entreprise », estime Mme Goyette. Pour favoriser le mieux-être affectif des employé.e.s, mais aussi pour ne pas devoir mettre en place des étapes administratives en catastrophe.
Au Québec, très peu de milieux de travail disposent de telles politiques. Marc-Antoine Berthod, Aurélie Masciulli Jung et Melissa Ischer, des chercheur.euse.s suisses, ont mis au point en 2022 un guide gratuit offrant aux entreprises les outils nécessaires pour développer des mesures humaines et adaptées au personnel endeuillé.
« Le lien d'affection est souvent beaucoup plus important que le lien de parenté, mais très souvent, on considère que si une personne décédée n'est pas de la famille de l'employé.e, c'est un peu moins important », avait notamment déploré M. Berthod à Noovo Info, lorsqu’il était de passage à Montréal pour présenter le fruit de sa recherche collaborative.
Mettre en place des ressources
Lors d’un décès au sein de ses équipes, le département des RH peut rappeler à l’ensemble du personnel les services de soutien professionnel offerts à travers le programme d'aide aux employé.e.s (PAE) si l’entreprise en possède un.
Le personnel RH peut également disposer, en amont, d’une formation psychologique spécialisée (comme celle de la Maison Monbourquette), et rester disponible pour écouter ou échanger avec les personnes qui en ressentent le besoin.
Il est également envisageable de fournir un guide pratique aux gestionnaires pour appréhender ces situations avec empathie et flexibilité, ainsi que de créer un guide sur le deuil en entreprise à destination de l’ensemble du personnel pour expliquer les étapes du deuil, les réactions possibles et les ressources internes et externes disponibles.
Ces initiatives renforcent la confiance des employé.e.s envers leur organisation et démontrent la volonté proactive de cette dernière de répondre aux besoins humains.
Penser à l’après : continuité et résilience
Une fois l’événement passé, l’enjeu pour les entreprises est de faciliter le réengagement de l’équipe endeuillée dans ses fonctions.
Toutefois, revenir à la normalité ne signifie pas oublier. Les entreprises peuvent organiser des moments de commémoration et intégrer des apprentissages dans leurs politiques pour anticiper de futures situations similaires.
« L’employée que nous avons perdue était une mentore et une personne-ressource précieuse, témoigne Vincent. Sa perte a créé un vide considérable, autant humain que professionnel. »
En transformant cette épreuve en une occasion de renforcement collectif, les entreprises bâtissent une culture où la prise en charge du mieux-être de la main-d'œuvre prime sur les contraintes qu’engendrent ces pertes.
Finalement, Vincent laisse une dernière réflexion : « C’est souvent dans l’adversité que l’on voit les vraies forces de chacun.e. Ce deuil a soudé notre équipe d’une manière inattendue. Il nous rappelle que, au-delà des résultats, ce sont les liens humains qui nous définissent et qui font la force durable des équipes, comme des organisations. »