Briser les tabous concernant la santé féminine au travail

08-04-2025
Les femmes représentent 48 % de la main-d’œuvre selon Statistique Canada. Pourtant, la santé féminine au travail reste un sujet tabou. Comment améliorer leur mieux-être et faciliter leur productivité lorsque la souffrance s’installe ?
Rédigé par :
Annie Bourque, Pratiques RH
menopause conge menstruel

Des menstruations à la ménopause en passant par d’éventuels parcours en fertilité, les femmes peuvent vivre différentes conditions de santé qui affectent leur quotidien.

Depuis quelques années, des organisations comme Boîte Pac, la Sun Life ou encore Bravo Musique, soutiennent concrètement les femmes en emploi dont plusieurs vivent des désagréments liés à leur condition.  

Coup d’œil sur les pratiques à mettre en place afin de réduire le taux d’absentéisme et le départ de précieux talents.

La nécessaire sensibilisation en milieu de travail

Dans un monde du travail axé sur la performance, malheureusement, les tabous persistent. La gêne et la pudeur empêchent un grand nombre de femmes de demander de l’aide et d’ouvrir la conversation sur leurs symptômes.  

« C’est pourquoi nous voulons sensibiliser les employeurs à la santé féminine et proposer des outils pour en discuter et ainsi surmonter les préjugés », raconte Marie-Chantal Côté, vice-présidente principale, Sun Life Santé

En effet, l’entreprise de 10 000 employé.e.s au Canada, dont 2500 au Québec, a conçu deux dossiers de réflexion et une trousse d’outils s’adressant aux personnes aux prises avec des changements physiques et hormonaux.

Définitions

  • Syndrome prémenstruel (SPM) : désigne un ensemble de symptômes physiques et émotionnels (migraine, anxiété, douleurs abdominales, etc.) qui surviennent chez certaines femmes avant leurs règles et disparaissent généralement peu après le début des menstruations.  
  • Périménopause : précédant la ménopause, cette période peut durer de 6 à 8 ans et est marquée par la fluctuation des niveaux d’œstrogène et de progestérone. Les femmes âgées de 40 à 50 ans vivent un pic de symptômes allant de la perte de cheveux, aux démangeaisons, en passant par l’insomnie.  
  • Ménopause :  Un an après l’arrêt permanent de ses menstruations, une femme entre dans la phase de la ménopause. L’âge moyen au Canada est de 51 ans. Les femmes vivent, à des degrés divers, une panoplie de symptômes désagréables : sueurs nocturnes, bouffées de chaleur, brouillard mental, perte de mémoire, dépression, etc.  

Favoriser un climat qui libère la parole sur la santé féminine  

2 femmes sur 3 éprouvent de la gêne à parler de leurs symptômes à leur supérieur.e ou encore ou à une personne RH dans leur organisation, selon une étude menée par la Fondation canadienne de la ménopause.

Heureusement, plusieurs dirigeant.e.s  désirent mettre en place un climat propice à la sécurité psychologique. « Il faut que les employées puissent dire à leur gestionnaire : je ne vais pas bien aujourd’hui. Comment mon organisation peut-elle m’appuyer en ce sens ? », explique Mme Côté.  

Une conversation sur la santé des femmes dans les entreprises est cruciale, selon la gynécologue Diane Francoeur et directrice générale de la Société des obstétriciens gynécologues.  

« Plusieurs n’osent pas parler de leurs problèmes de santé aux gens des ressources humaines par crainte d’être jugées incompétentes ou de perdre une promotion. »

- Diane Francoeur

Conseillère en santé globale et qualité de vie au travail, Marie-Ève Fullum croit pour sa part que les femmes ont besoin de soutien afin d’éviter la stigmatisation et la discrimination au travail.

« Elles doivent être en mesure de parler de leurs états physiques, psychologiques, émotionnels ou cognitifs sans jugement de leurs pairs et sans crainte de représailles de leur employeur », explique l’animatrice d'ateliers et de conférences en entreprise.

Sun Life, par exemple, diffuse de l’information à toutes ses équipes concernant le phénomène de la ménopause. Lors de webinaires, des expert.e.s lèvent le voile sur les préjugés et les obstacles vécus par les femmes durant cette période de leur vie.

Oui à la souplesse et la flexibilité

Plusieurs PME et organisations mettent en place des horaires flexibles. C’est le cas de Boîte Pac qui aide les organisations dans l’atteinte de leurs objectifs à travers la certification B Corp.  

Cette souplesse dans l’organisation permet notamment à Marie Larochelle, stratège chez Boîte Pac, d’ajuster son travail en fonction de son cycle menstruel. Il lui arrive donc de commencer plus tard sa journée de travail. À l’heure du midi, s’il le faut, elle s’accorde une sieste accompagnée d’une bouillotte. Puis, dès qu’elle va mieux, elle prolonge ses heures.  

Un congé « Aléas de la vie »  

La PME dispose d’un canal de discussion interne qui implique uniquement son personnel féminin. Il s’agit d’un espace sécuritaire qui facilite le réconfort et le partage d’astuces.  

Boîte Pac a aussi instauré le congé « aléas de la vie ». Celui-ci est illimité et dédié aux personnes qui font face à une situation imprévue (dégât d’eau, état de santé déficient, enfant grippé, etc.) et peut donc être utilisé en cas d’un SPM plus coriace par exemple.  

Billet médical et congés maladie

Selon la CNESST, pour les 3 premières périodes d’absence de 3 jours de suite ou moins par période de 12 mois, l’employeur ne peut pas exiger de document officiel, comme un billet médical, pour justifier l’absence de l'employé.e. Cela offre donc l’opportunité aux femmes d’utiliser ces congés maladie pour les enjeux qu’elles traversent avec leurs cycles et hormones, sans justification.

Des produits menstruels écologiques à disposition

À l’heure actuelle, des organisations comme Parcs Canada et un grand nombre d’universités fournissent des produits menstruels dans leurs établissements. Cette pratique favorise un environnement de travail inclusif et conscient du mieux-être des employées.

Au Québec, l’entreprise Iris et Arlo, fondée par Lara Emond en 2021, vend des produits écologiques à plus de 400 entreprises, petites et grandes, partout au Canada.  

La clientèle en croissance développe un engouement pour ses produits en sachant qu’ils sont compostables et biodégradables.  « Plusieurs dirigeant.e.s nous confient qu’ils auraient dû les proposer bien avant », ajoute Lara Emond.

Législation destinée aux entreprises fédérales

Depuis le 15 décembre 2023, une loi a été adoptée au Parlement d’Ottawa afin que les organisations fédérales (banques, sociétés de la Couronne, autorités portuaires) puissent offrir gratuitement des produits menstruels à plus de 500 000 employé.e.s.  

« Cette loi vient légitimer d’autres PME à les imiter », ajoute la jeune entrepreneure qui rêve du jour où l’ensemble des organisations à travers le pays fournira gratuitement des produits menstruels au même titre que le savon et le papier de toilette.  

Le congé menstruel ailleurs dans le monde

  • En 2023, l’Espagne est devenue le premier pays d’Europe à offrir un congé payé aux femmes qui souffrent de règles douloureuses.  
  • La ville de Fribourg en Suisse a récemment introduit un congé menstruel. Dès juillet 2025, les employées, aux prises avec des règles douloureuses, pourront prendre jusqu’à 3 jours d’absence, et ce, sans présentation de certificat médical.  
  • Au Japon, le droit au congé menstruel existe depuis 1947.
  • En Indonésie, une femme a droit à un ou deux congés payés en cas de menstruations douloureuses.
  • En Zambie, depuis 2015, les femmes peuvent prendre un congé par période de menstruation, et ce, sans certificat médical.  

Formations et groupes de soutien en entreprise

De l’avis des expertes interrogées, les organisations peuvent proposer des formations sur la santé féminine aux gestionnaires et spécialistes en ressources humaines et EDI.

« Cela aide à comprendre les symptômes et leur impact au travail », indique Marie-Ève Fullum qui considère que ces formations devraient être obligatoires.

Des organisations comme l’Université Dalhousie en Nouvelle-Écosse et Sun Life vont plus loin en offrant des groupes de soutien concernant le phénomène de la ménopause aux employé.e.s.  

Durant les rencontres, les gens discutent par exemple de santé mentale, d'hormonothérapie, etc. Il s’agit d’une occasion aussi pour faire le point sur les différentes ressources disponibles.  

Quelques mesures possibles pour soutenir les femmes aux prises avec des enjeux hormonaux

  • Aménager une salle de repos.  
  • Proposer un plan d’action qui bonifie le régime d’assurances collectives.  
  • Prendre en considération la périménopause, les menstruations et les maladies connexes lors de l’élaboration de politiques sur les absences et le travail flexible.
  • Augmenter le nombre d’heures concernant les consultations psychologiques.  
  • Prévoir une allocation de dépense pour l’accès à un.e nutritionniste, un.e physiothérapeute, etc.  
  • Augmenter le nombre de congés maladie.
  • Permettre un certain contrôle sur la température et la ventilation du lieu de travail, si possible.

« Les gens comptent sur les avantages sociaux offerts par l’employeur pour les soutenir à toutes les étapes de leur vie, y compris la ménopause. Les employeurs qui investissent dans leurs employées en retirent des avantages, notamment en matière de rétention, de productivité et d’engagement »

- Marie-Chantal Côté

Un manque d’accès à des soins médicaux  

Faute d’accessibilité à un médecin de famille, plusieurs femmes ignorent les symptômes de la périménopause, même si ces derniers entravent leur quotidien.  

À l’âge de 39 ans, Marie-Ève Fullum devient insomniaque tout en ayant épisodiquement des bouffées de chaleur, des palpitations cardiaques, et même des démangeaisons. « J’ai vécu l’enfer, soupire-t-elle. Je ne savais pas ce que j’avais et j’ai frôlé l’épuisement au travail tellement, je n’avais pas d’énergie. »  

Le cas de Marie-Ève Fullum est peut-être exceptionnel. Seulement, 1 femme sur 100 passe par la ménopause avant l’âge de 40 ans. Cependant, plusieurs femmes dans la quarantaine et la cinquantaine vivent avec de tels symptômes sans en connaitre véritablement la cause.

Des conséquences réelles sur la performance au travail

« Cela prend parfois deux ans avant d’avoir un rendez-vous avec un médecin. Pendant ce temps, ces femmes se sentent incompétentes en raison de leur sous-performance, vivent éventuellement de la détresse et quittent parfois le marché de l’emploi », avertit Diane Francoeur, gynécologue et directrice générale de la Société des obstétriciens gynécologues.  

« Malheureusement, nous avons des clients dont les salariées quittent le marché du travail », observe aussi Marie-Chantal Côté.  

Une analyse de l’écart hommes-femmes de Sun Life révèle que lorsque les symptômes ne sont pas gérés et que les enjeux de santé deviennent trop lourds, 1 femme sur 10 décide de quitter le marché du travail en raison de symptômes non gérés.

C’est aussi un tiers des femmes (32 %) qui indiquent que les symptômes liés à la ménopause ont eu des conséquences négatives sur leur rendement au travail.

540 000 Nombre de jours de travail perdus en raison des symptômes non maitrisés de la ménopause.

Source

Mission : éduquer les employeurs  

Marie-Chantal Côté, Marie-Ève Fullum et Dr Diane Francoeur mènent le même combat : éduquer les employeurs sur la santé féminine.  

« Cela prend en moyenne 8 ans à diagnostiquer l’endométriose (caractérisé par des règles douloureuses) dont souffrent 15 à 25 % des femmes. Cela fait un joli paquet de femmes couchées en boule sur leur lit, incapables de ne rien faire », illustre Dr Francoeur qui donne aussi des conférences en entreprise sur le sujet.  

L’impact économique en matière d’absences et de congés maladie est énorme. « C’est pour ça qu’il faut sensibiliser les gens d’affaires à ces réalités », ajoute-t-elle.

La spécialiste prend l’exemple d’une cinquantenaire qui vit tellement de troubles du sommeil et d’autres symptômes débilitants que sa carrière en est affectée. « Même si elle occupe l’emploi de ses rêves, elle va vouloir vivre moins de pression et devoir quitter le marché du travail », évoque-t-elle.  

Sur la route du progrès  

Heureusement, les organisations progressent en parlant davantage de santé mentale. « Maintenant, les leaders et gestionnaires démontrent leur ouverture aux enjeux concernant la santé hormonale, la ménopause, l’andropause », observe Marie-Chantal Côté.

Un rapport du McKinsey Health Institute publié en 2024 démontre qu’une amélioration de la santé des femmes entraine une répercussion positive sur la croissance du PIB et stimule la productivité et l’économie des pays.  

Dans les entreprises, Dr Francoeur et Marie-Ève Fullum constatent les retombées positives d’un plan d’action favorable à la santé féminine.  

En ayant le sentiment d’être soutenues par leur employeur, les femmes ont tendance à rester plus longtemps au sein de leur organisation. Un atout incommensurable pour les employeurs de choix.