Épuisement professionnel : comment gérer la santé mentale au travail

12-02-2024
4,1 millions de personnes sont touchées par l’épuisement professionnel au Canada.
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Victoire Bejjani, Pratiques RH
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Épuisement professionnel: comment gérer la santé mentale au travail

Le surmenage ne discrimine pas : il affecte 21,2 % de l'ensemble des personnes en emploi.

Environ une personne professionnelle sur cinq est touchée par ces chiffres préoccupants, qui ne font qu'effleurer la surface d'une problématique complexe. Comment reconnaître les signaux d'alerte que notre corps nous envoie ? Que se passe-t-il lorsque ces signes sont ignorés et que le corps "craque" sous la pression ? 

Le travail peut être une source d'enrichissement personnel, mais les conditions de travail défavorables peuvent entraîner des troubles mentaux, de l'absentéisme, du présentéisme, voire des démissions. Les troubles anxieux et la dépression sont fréquents, et le syndrome d’épuisement professionnel qui est l'équivalent donné en français pour le terme anglais burnout, bien qu'il ne soit pas officiellement un trouble mental, résulte souvent d'un stress chronique lié au travail. 

Les visages du burnout : secteurs et statistiques 

Peu de secteurs d’activité sont épargnés et Statistique Canada dresse le  portrait des personnes plus sujettes, qui ne cesse de s’étendre aux différentes professions. Au départ réservé aux métiers du soin et de la prise en charge d’autrui (32,3 % d'entre eux confrontés à une lourde charge de travail et 21,4 % à une charge émotionnelle élevée), on compte aujourd’hui des épuisements professionnels dans la quasi-totalité des métiers. 

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Burnout dans les PME  

En 2023, une étude de l’Université Laval a révélé que 49% des employé.e.s de PME interrogé.e.s vivaient avec un trouble de santé mentale ou d’abus de substances. Simon Coulombe, chercheur principal, a constaté qu'une personne sur deux vit une détresse au moins légère et que 22 % des participant.e.s souffrent d'anxiété à un niveau clinique. 

Les femmes dans l'enseignement et le commerce de détail, et les hommes dans la construction et les autres services, sont notamment affectés. Le stress est le plus élevé chez les travailleurs actifs de 25 à 54 ans, en particulier dans des postes de gestion ou nécessitant une éducation supérieure. 

Comprendre le surmenage : au-delà des symptômes, un signal d'alerte organisationnel 

Adrien Chignard, psychologue du travail, éclaire sur une réalité importante : le burnout n'est pas simplement un terme à la mode, mais une série de symptômes complexes qui sont souvent confondus avec d'autres troubles, tels que la dépression. 

Déchiffrer le trio du bien-être mental  

  1. Dépression : il s'agit d'un trouble sérieux, bien au-delà d'un simple coup de blues. Elle entraîne une tristesse persistante et un manque d'énergie qui peuvent impacter considérablement la vie quotidienne. 
  2. Détresse : elle se manifeste par un sentiment intense de stress ou de bouleversement, souvent en réaction à un événement spécifique. La détresse est généralement temporaire et tend à s'améliorer une fois le problème sous-jacent résolu. 
  3. Burnout : ce terme est particulièrement lié au contexte professionnel. Il décrit un état d'épuisement, de négativité et une diminution de l'efficacité au travail, résultant d'un stress chronique

Quel sont donc les facteurs sous-jacents qui contribuent à cet épuisement professionnel ? Ils peuvent varier largement, incluant des charges de travail excessives, un manque de contrôle sur les décisions qui impactent le travail, des attentes peu claires, un environnement de travail toxique (tel que l'intimidation), un conflit entre les valeurs personnelles et celles de l'entreprise, un manque de soutien, ainsi qu'un déséquilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Cela peut aller du sentiment d'être traité de manière injuste au travail à une surcharge de travail sans reconnaissance. Étonnamment, les dilemmes éthiques sont souvent au cœur de ces problèmes. 

Le plus intéressant, c'est que cette fatigue n'est pas juste une question personnelle. C'est souvent un signe que quelque chose ne va pas dans l'organisation. Quand ce syndrome touche un individu, c'est souvent parce que le travail est trop dur ou injuste, pas parce que ce dernier n'est pas à la hauteur

Et si quelqu'un dans l'équipe se trouve dans cette situation, cela peut indiquer un risque potentiel pour les autres. C'est un moment crucial pour que les gestionnaires et leur groupe repensent leur façon de travailler. 

« C’est une 'erreur fondamentale d'attribution' de ne blâmer que l'individu, sans considérer les facteurs systémiques. » 

Lee Ross 


Quels sont les facteurs systémiques? 

  • Culture organisationnelle : l'influence des valeurs et normes d'une entreprise sur les actions individuelles. 

  • Structure organisationnelle : les effets de la hiérarchie et des rôles sur le comportement au travail. 

  • Politiques et procédures : la manière dont les procédures et politiques orientent ou limitent les décisions. 

  • Relations interpersonnelles : l'impact des dynamiques de groupe et des relations sur le comportement. 

  • Conditions de travail : les répercussions de l'environnement matériel et des conditions de travail sur le bien-être. 

  • Pressions sociales et normes : l'influence des normes sociales et culturelles sur le comportement professionnel. 

  • Systèmes de récompense et de sanction : l'importance des systèmes de récompense et de sanction dans l'encouragement de comportements spécifiques. 

  • Technologie et outils de travail : comment la technologie et les outils influencent l'efficacité et la performance. 


Christina Maslach, psychologue de l'Université de Californie et pionnière dans l'étude du burnout, propose des signes pour le détecter : épuisement émotionnel, sentiment d'isolement ou de dévalorisation au travail, et manque d'enthousiasme. Ces symptômes peuvent conduire à l'absentéisme, des erreurs au travail, et des tensions avec les collègues. Pour aider à le détecter, C.Maslach a développé « L'Inventaire Maslach du syndrome d'épuisement » en 1981, un outil toujours pertinent aujourd'hui. 

Détection du burnout : la mission des employeurs 

En tant qu'employeur, repérer les symptômes chez les employé.e.s est un peu comme jouer au détective avec le bien-être de l’équipe : Sherlock Holmes de la santé mentale au travail ! Voici quelques signaux d'alarme à ne pas ignorer : 

  1. Fatigue visuelle et émotionnelle : les employé.e.s semblent-ils « marcher comme des zombies », épuisé.e.s et sans vie ? C'est souvent le premier signe. 

  1. Le mystère de la productivité perdue : lorsque des erreurs se glissent subrepticement et que les deadlines sont manquées, c'est peut-être le burnout qui frappe à la porte. 

  1. Le cas de l'employé.e invisible : si certains commencent à s'isoler, à éviter les pauses café ou à disparaître lors des réunions, il est temps de tendre la main. 

  1. L'énigme de l'humeur changeante : un.e employé.e. autrefois jovial.e se transforme-t-il.elle en personne grincheuse? Attention, le burnout pourrait être en embuscade. 

À DÉCOUVRIR 

Le « worry burn-out ». Ce terme, introduit par Martin Preston, décrit un état de fatigue émotionnelle et d'anxiété profonde causé non par le travail, mais par des soucis mondiaux tels que les crises, l'inflation et le changement climatique. Caractérisé par une anxiété croissante, un manque de motivation, de l'irritabilité, de l'épuisement et un retrait social, ce syndrome n'est pas à prendre à la légère. Les coûts liés à cet état de santé mentale révèlent des conséquences économiques indirectes significatives, telles que la réduction de la productivité, une hausse de l'absentéisme et une augmentation des dépenses pour les systèmes de santé. Face à cela, les spécialistes Amelia et Emily Nagoski recommandent la règle des 42% : bien se reposer, rester actif, manger équilibré et s'accorder des moments de détente. Elles insistent sur l'importance de garder le lien avec les proches et de ne pas hésiter à consulter un.e professionnel.le de santé en cas de besoin, surtout en périodes de stress intense. 

  1. Le signe des tensions invisibles : maux de tête, mal de dos, ou des yeux fatigués ? Ces signaux corporels peuvent cacher un burnout. 

  1. Le syndrome du négativisme : un cynisme croissant peut être le signe d'un esprit épuisé par trop de travail. 

  1. L'absence inexpliquée : un détective remarquera rapidement une augmentation des jours de congé. C'est souvent un cri silencieux d'aide. 

  1. Le puzzle de la concentration perdue : des moments de distraction plus fréquents peuvent indiquer que l'esprit est surchargé. 

Pour éviter ces symptômes, il est essentiel que les employeurs et les employé.e.s adoptent des méthodes innovantes et holistiques. Ces nouvelles approches apportent des solutions efficaces pour lutter contre l'épuisement professionnel. Elles offrent des stratégies adaptées et personnalisées qui améliorent le bien-être au travail pour tous. 

Selon une étude de Gallup, les personnes ayant des gestionnaires constamment disposé.e.s à prendre en compte leurs préoccupations professionnelles présentent une réduction de 62 % du risque d'épuisement professionnel. 

Éviter l'épuisement professionnel grâce à la sophrologie  

Amelie Duprez, Sophrologue et créatrice de l’application Be Yourself, rappelle l'importance de sortir du « mode automatique » au travail. Des initiatives comme la création de zones de pause, des moments de convivialité, des programmes de bien-être avec des séances de sophrologie, et la formation des gestionnaires sur le burnout sont des moyens efficaces pour construire une culture d'entreprise positive et durable. 

« Pour qu'une initiative fonctionne, il est primordial que les employé.e.s se sentent intégré.e.s au processus. La sophrologie est une méthode qui peut se décrire, mais avant tout c'est une méthode qui se vit. » 

Amélie Duprez 

Mais comment intégrer ces changements de manière effective ? La clé réside dans l'expérience directe et pratique. Voici quelques idées : 

  1. Organiser des sessions de sensibilisation permet de découvrir les bienfaits de la sophrologie. 

  1. Proposer des ateliers de sophrologie en entreprise et fournir des ressources en ligne, comme avec l'application Be Yourself. 

  1. Intégrer la sophrologie dans les programmes de bien-être existants pour en faire une composante essentielle de la routine des employé.e.s. 

Au-delà des pratiques classiques, la sophrologie nous invite à un changement de perspective : passer du mode automatique au mode conscient. Comment ? En se reconnectant à nos émotions et en vivant chaque moment de manière totalement immergée et attentive. Réduisant ainsi le stress professionnel et prévenant l'accumulation de ressentis négatifs. 

Intégrer la pleine conscience dans sa routine de travail  

Pause-café réinventée 

Profiter de la pause-café pour s'ancrer dans l'instant. Sentir la chaleur de la tasse, la texture, et savourer chaque gorgée : un moyen efficace de se recentrer au travail. 

Marche réfléchie 

Transformer les déplacements au bureau en moments de pleine conscience. Être attentif à chaque pas, sentir le contact avec le sol, et se concentrer sur la respiration, idéal pour se décompresser entre les réunions. 

Gratitude quotidienne  

Terminer la journée en notant trois aspects positifs du travail. Cela aide à cultiver une perspective optimiste et à renforcer la résilience face aux défis professionnels. 

Pause respiration  

La technique de la « respiration carrée » est accessible à tous : 

  1. S'éloigner de toute source de distraction et trouver un endroit calme pour s'asseoir. 
  2. Avant de commencer, définir une intention personnelle, même si cela peut parfois être difficile. 
  3. Utiliser un smartphone pour régler une alarme de 5 minutes, afin de contrôler le temps de pause. 
  4. S'installer confortablement, pieds au sol, dos contre le dossier, mains sur les cuisses. 
  5. Prendre conscience de sa respiration naturelle et des sensations corporelles. 
  6. Pratiquer la respiration carrée : inspirer par le nez pendant 5 secondes, retenir la respiration 5 secondes, expirer par la bouche pendant 5 secondes, et retenir à nouveau la respiration 5 secondes avec les poumons vides. 
  7. Répéter ce cycle jusqu'à ce que l'alarme sonne. 
  8. Après l'exercice, prendre un moment pour observer les changements dans le corps et l'état émotionnel et mental. Tenir un journal pour noter les ressentis peut-être utile. 

Ces pratiques, intégrées régulièrement, peuvent grandement améliorer le bien-être personnel et, par extension, l'atmosphère et la performance de toute l'équipe. 

Et qu'en est-il de la formation des employeurs, gestionnaires et ressources humaines en sophrologie ? C’est un levier très intéressant à considérer dans une démarche de management préventif, attentif et bienveillant. Non seulement elle leur offre des outils pour gérer le stress et améliorer la concentration, mais elle renforce aussi la résilience et encourage un climat de travail collaboratif et créatif. 

Stratégies RH pour un travail équilibré  

Ces approches, combinées à une stratégie RH globale, sont essentielles pour créer un environnement de travail sain et productif. Voici des méthodes clés qui peuvent être adoptées afin de prévenir l'épuisement professionnel: 

  1. Dialogue continu et proactif : favoriser des échanges réguliers et constructifs entre managers et collaborateurs pour identifier proactivement les sources de stress et agir en conséquence. 

  1. Équilibrage de la charge de travail : les managers doivent activement s'assurer que les charges de travail sont réalistes, évitant ainsi la surcharge et le risque de burnout

  1. Flexibilité et adaptabilité : l'adaptation aux besoins individuels en matière d'équilibre travail-vie personnelle est essentielle, surtout dans un contexte en évolution. 

  1. Résolution efficace des conflits : intervenir de manière rapide et efficace dans les situations conflictuelles pour maintenir un climat de travail serein. 

  1. Limitation du temps d'écran : rationaliser l'utilisation des outils numériques pour éviter la fatigue liée aux écrans et promouvoir des interactions plus humaines. 

  1. Démocratisation des décisions : encourager la participation des employé.e.s dans les décisions affectant leur travail pour renforcer leur sentiment d'appartenance et diminuer le stress. 

  1. Valorisation et reconnaissance : pratiquer une reconnaissance authentique et régulière pour stimuler la motivation et le sentiment de valorisation chez les employés. 

  1. Autogestion du stress : il est crucial que les gestionnaires soient eux-mêmes des exemples en matière de gestion du stress pour mieux accompagner leurs équipes. 

Au-delà des salaires, pour une vie professionnelle durable   

Dans une perspective économique, la problématique des « working poor » au Québec met en lumière une réalité alarmante : en 2020, un Québécois sur cinq n'avait pas accès à un revenu suffisant pour une participation pleine et entière à la vie sociale et économique. Cette situation souligne que travailler davantage ne garantit pas nécessairement une amélioration des conditions de vie. Le défi ne réside pas uniquement dans la quantité de travail, mais également dans la capacité à vivre dignement de son travail. 

 

Vision québécoise innovante pour la santé mentale au travail 

L'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) présente dans son rapport « Diagnostic de la crise en santé mentale au Québec et ses remèdes » des propositions audacieuses pour réinventer le rapport au travail et favoriser le bien-être collectif : 

  • Réduction du temps de travail : passage à une semaine de travail de 32 heures, sans diminution de salaire. Cette mesure vise à équilibrer vie professionnelle et personnelle. 

  • Augmentation des vacances : plus de temps libre pour permettre une meilleure récupération et un ressourcement essentiel. 

  • Congés sabbatiques universels : accès pour tous à des pauses prolongées du travail, permettant la détente, la formation ou la poursuite d'autres intérêts, pour une santé mentale optimisée.

Dans ce contexte, assurer des salaires décents qui permettent aux employé.e.s de ne pas vivre dans un stress financier constant est un élément clé pour prévenir le burnout. Toutefois, augmenter les revenus n'est pas l'unique solution. Offrir des avantages complémentaires, comme la prise en charge des frais de transport, l'accès à une garderie à coût réduit, ou des avantages auprès de commerces partenaires, peut faire une différence significative. Ces mesures contribuent à réduire la charge mentale et financière, prévenant ainsi l'épuisement physique et psychologique des travailleurs, et favorisant une participation plus harmonieuse à la vie économique. 

Transformer le burnout : vers un travail épanouissant et équilibré 

Des méthodes de sophrologie aux stratégies RH, en passant par les politiques de gestion du temps, ces approches révolutionnaires changent la façon de percevoir et de traiter le burnout. Elles ouvrent la voie à un avenir professionnel où la santé mentale et le bien-être sont prioritaires.  

Le burnout, loin d'être un combat solitaire, est un défi collectif. Dans une société où les risques psychosociaux deviennent un enjeu, les entreprises jouent un rôle crucial en créant des milieux de travail sains et équilibrés. Ce n'est pas seulement un appel à l'action pour les employeurs, mais une révolution dans la façon de travailler. L'objectif est de transformer le travail, de le rendre moins source de stress et plus vecteur d'épanouissement. Afin de se diriger vers un avenir où le burnout n'est plus une menace, mais une leçon du passé, surmontée grâce à la solidarité et à l'innovation au sein du monde du travail.