Comment la transparence managériale renforce la mobilisation des équipes
Depuis quelques années déjà, la notion de transparence managériale s'invite dans les discussions et les solutions mises en place par les équipes des ressources humaines et les gestionnaires.
Cette pratique, qui englobe la communication ouverte sur les stratégies, les décisions et les performances de l’entreprise, offre de nombreux avantages en termes de rétention des talents et de satisfaction des employé.e.s, mais présente aussi des limites et contraintes pour les décisionnaires.
Le choix de bâtir des ponts entre la direction et le personnel
Lorsqu’on parle de transparence en entreprise, cela commence par des obligations légales, mises en place pour lutter contre la fraude fiscale et autres malversations.
Mais au-delà des exigences règlementaires, plusieurs entreprises choisissent d’instaurer un climat de confiance avec leur personnel, à qui elles partagent des informations importantes portant sur les stratégies, les objectifs et les performances.
La franchise est ainsi au centre de la relation entre l'employeur et ses équipes « Plus tu communiques, plus tu renforces la mobilisation », selon Jean-Sébastien Boulard, Vice-Président Talent et Culture chez Terrestar Solutions Inc.
Un changement de paradigme : vers une transparence hiérarchique
Historiquement, l’accès à l’information était réservé aux dirigeant.e.s et aux vice-présidences, renforçant ainsi leur autorité et leur assise hiérarchique. Et « le savoir, c’est le pouvoir », rappelle l’adage célèbre attribué à Francis Bacon.
Aujourd'hui, cette dynamique tend à évoluer : l’information circule davantage, et surtout de manière moins pyramidale. Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des CRHA [conseillers.ères en ressources humaines agréé.e.s du Québec] souligne cette modernisation de la communication au sein de plusieurs organisations.
« Aujourd'hui, il y a moins de rétention d'informations, moins de contrôle, moins de pouvoir centralisé. C'est une forme de démocratisation de l'accès à l'information »
- Manon Poirier
Selon Jean-Sébastien Boulard, lorsque la main-d'œuvre se sent informée, considérée et impliquée dans les processus décisionnels de l’entreprise, celle-ci présente un meilleur niveau d’engagement et de satisfaction.
« Les résultats de notre dernier sondage interne le confirment : le taux d'engagement dépasse largement les attentes, ce qui démontre l'efficacité de cette approche », partage-t-il.
Établir la confiance comme valeur essentielle au sein de l’organisation
Lorsque les employé.e.s sentent qu'on leur cache des choses ou qu'on ne leur dit pas toute la vérité, cela érode leur confiance en leur employeur, rappelle Manon Poirier. « Les équipes doivent sentir qu’elles peuvent se fier à leur direction et à l'organisation dans son ensemble. »
Jean-Sébastien Boulard souligne lui aussi que le renforcement de la confiance joue un rôle crucial pour instaurer le modèle de la transparence. « Dans notre organisation, nous croyons fermement que la confiance est le socle d'une relation saine. »
Il relève que des mesures doivent être consciemment prises pour bâtir ce lien de confiance avec le personnel. Les voici :
- Les gestionnaires doivent veiller à ce que les rôles des employé.e.s soient clairs, mais que l'accent soit mis sur l'expertise plutôt que sur la hiérarchie. Dans cette perspective, au sein de son entreprise, le processus décisionnel est ouvert et les gestionnaires doivent s'assurer que les bon.ne.s expert.e.s sont consulté.e.s au bon moment. Cela renforce l'adhésion des membres des équipes à plusieurs projets en cours.
- La création de forums de communication où l'information est partagée de façon régulière et transparente. Ces forums sont essentiels, surtout dans un contexte de télétravail, pour éviter les silos d'information et les sous-cultures au sein de l'entreprise. Il souligne que c’est souvent le rôle des gestionnaires de constamment favoriser ces échanges pour maintenir un climat de confiance.
- Il évoque également l'importance de bien formuler et simplifier les messages de transparence afin que tout le monde ait accès aux messages et données clés, sans être submergé par des détails. « Le but est de maintenir un équilibre entre l'information partagée et l'impact qu'elle peut avoir sur la mobilisation et l’efficacité de l’équipe.
Dévoiler les décisions stratégiques pour une meilleure mobilisation
Chez Terrestar Solutions Inc. qui a fait le pari d’une gestion transparente, les décisionnaires s’efforcent de communiquer de manière honnête avec l’ensemble du personnel sur les questions de la rémunération, les données financières ou encore les décisions stratégiques afin d’accroître leur compréhension des défis et de la réalité de l’entreprise.
« Cela inclut des informations sensibles, comme les structures de rémunération ou les plans d'affaires », précise M. Boulard.
En expliquant les décisions prises de manière ouverte, même lorsqu’elles ne font pas l’unanimité, la direction contribue à créer une culture d'entreprise où « chaque personne se sent valorisée et impliquée dans la réussite collective », maintient-il.
Vincent Roy, directeur de RG Dessin Industriel, quant à lui, rejoint ces conclusions, mais a opté pour un modèle plus absolu.
Il applique une confiance sans limites à chacun.e de ses employé.e.s qui se voit investit d’un pouvoir décisionnel égal. L’accès aux informations sur la performance de l’entreprise et sur les décisions stratégiques joue un grand rôle dans la motivation du personnel. « La collaboration et la résolution d’éventuels problèmes sont ainsi plus fluides et humaines », dit-il.
Jean-Sébastien Boulard partage cette idée : lorsque la direction aborde ouvertement les difficultés, les individus ont moins tendance à nourrir des ressentiments ou des malentendus qui pourraient s'aggraver.
« Une problématique partagée permet de collaborer pour trouver des solutions, plutôt que de laisser la situation dégénérer. Même si cela peut parfois heurter certaines sensibilités, cela renforce les relations au sein de l’équipe et prévient l'accumulation des tensions. »
- Jean-Sébastien Boulard
Vincent Roy a également pris l'initiative de rendre publics les salaires de l’entreprise. Si cela a d'abord généré des tensions, progressivement s'est installée une meilleure compréhension des critères de rémunération.
Lorsqu'il y a une communication claire et ouverte sur les décisions et les politiques de l'entreprise, les malentendus et les suspicions diminuent, fait valoir Manon Poirier. « Il y a alors moins de place pour les malentendus et les rumeurs. Les employé.e.s vont moins se méfier les un.e.s des autres ou de la direction », ajoute-t-elle.
Une gestion transparente qui fait rayonner la marque employeur
La transparence managériale permet du même coup de développer une marque employeur forte sur le marché de l’emploi et de se distinguer d’une concurrence où règne encore l’opacité décisionnelle.
Terrestar Solutions Inc. a choisi de communiquer sur cette méthodologie dès les entrevues de recrutement : « Nous sommes transparents dès le début des processus, mais cela nous oblige aussi à bien réfléchir avant de communiquer, explique Jean-Sébastien Boulard. C’est un levier d’attractivité de talents ! »
Transparence et innovation : favoriser l’agilité organisationnelle
Au quotidien, la transparence managériale peut jouer un rôle favorable dans la réduction des conflits au sein des entreprises. Cela se traduit par exemple, par une fréquence plus élevée de mises à jour et de rétroactions entre les gestionnaires et les équipes sous leur supervision.
En plus d’avoir un impact bénéfique sur les relations interpersonnelles, la transparence managériale renforce également le sentiment de valorisation individuelle, continue Manon Poirier.
« La contribution de chacun.e est reconnue au sein de ce modèle. Ainsi, les équipes ne se contentent plus de suivre les directives établies, mais adoptent une vision globale de l’organisation et prennent conscience des enjeux stratégiques », explique Mme Poirier.
De la transparence émerge alors des solutions créatives qui, selon la directrice générale de l’Ordre des CRHA, ne se contentent pas de résoudre des problèmes immédiats, mais ouvrent également la voie à des perspectives durables pour l’avenir de l’entreprise.
De surcroit, des opportunités se créées là où d’autres ne voient que des obstacles. « Cette compréhension approfondie de l’écosystème organisationnel leur donne alors la confiance nécessaire pour adopter une pensée innovante », poursuit-elle.
Interrogé à ce sujet, le dirigeant Vincent Roy constate avec enthousiasme que son équipe prend de plus en plus de responsabilités : selon lui, il s’agit d’un signe de croissance personnelle et professionnelle.
« Lorsqu’on partage les informations stratégiques, on libère un potentiel créatif souvent sous-exploité. Les employé.e.s, avec leur diversité de perspectives et d'expériences, peuvent non seulement identifier des angles morts, mais aussi proposer des solutions novatrices, adaptées aux réalités du terrain. »
- Manon Poirier
Les défis et limites de la transparence managériale
Évidemment, la transparence doit être adaptée à la culture organisationnelle de l’entreprise. Dans des cultures où la hiérarchie et l’autorité sont très marquées, une transition vers une transparence accrue peut nécessiter un changement progressif.
De plus, tout comme le modèle de l’entreprise libérée où la communication entre tous les employé.e.s est au cœur du fonctionnement, la transparence augmente le niveau de l’imputabilité. En rendant les décisions et les performances visibles, chaque personne est tenue de rendre des comptes sur ses actions. Cela peut améliorer les performances individuelles et collectives, mais nécessite de mettre en place de nouvelles habitudes.
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L'importance de doser l’information en circulation
Bien que la transparence managériale soit un levier de rétention et d’engagement, une surdose d'informations peut créer une confusion chez la main-d'œuvre réduisant ainsi leur capacité à se concentrer sur leurs tâches principales. L’objectif ? Trouver un équilibre entre la nécessité de divulguer les informations pertinentes et le risque de surcharge inutile.
Les employé.e.s peuvent toujours consulter les détails, mais l'objectif reste clair pour le chef d’entreprise Vincent Roy : ne pas noyer les gens sous trop d’informations.
Jean-Sébastien Boulard recommande de bien choisir le moment et la quantité d’informations partagées pour éviter de « jouer au yo-yo » avec les émotions du personnel et de ne pas communiquer certains stress aux équipes, qui ne relèvent pas de leur responsabilité. L'important est, selon lui, de doser la diffusion car « une transparence excessive peut parfois générer des problèmes ».
Vers une transparence sélective : des bonnes pratiques à adopter
- Mettre en place des critères du partage de l’information
« Il faut créer le réflexe de partager l'information et inclure cette pratique dans les plans de communication pour les projets et initiatives importantes, indique Manon Poirier pour qui il est crucial d'être intentionnel et systématique en décidant qui partage l’information et quand. Pour les informations moins stratégiques ou sensibles, créer une culture de partage régulier permet aux employé.e.s de poser des questions et d'avoir accès à l'information. »
Toutes les informations ne sont pas pertinentes pour tout le monde. Par exemple, si un.e employé.e se trouve dans une situation délicate, la sécurité et la confidentialité ne doivent pas être écartées sous prétexte de transparence. - Faire preuve de flexibilité pour accroître son efficacité
La transparence est un processus dynamique qui nécessite un suivi régulier. Il est donc essentiel d'utiliser des outils de communication adaptés afin de faciliter les échanges avec le personnel. En sollicitant activement ses retours et en mesurant régulièrement l'impact des initiatives, l'entreprise peut ajuster ses pratiques. - Éviter le flou autour des mauvaises nouvelles
S’il est généralement aisé de communiquer les bons coups au sein de l’organisation, la question se pose quant à la pertinence des informations à divulguer en périodes de crise. Toutefois, le sentiment de confiance du personnel se bâtit également lorsqu’il se sent informé des enjeux que vit l’entreprise. Si certaines données restent évidemment confidentielles, ce qui est partagé avec le collectif doit demeurer clair et garantir la pérennité du lien de confiance.
« La transparence, ce n'est pas tout partager, mais fournir l'information nécessaire pour que les gens puissent prendre de bonnes décisions, résume Manon Poirier. C’est important de partager la bonne information au bon moment, aux bonnes personnes. Il faut expliquer des décisions et impliquer les gens dans celles-ci. »
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