Comment gérer la peur du changement au travail ?
Fusion-acquisition, croissance exponentielle ou encore nouvelle direction à la tête d’une entreprise. Inévitablement, ces facteurs suscitent des changements au sein des organisations. Comment réagir face aux réactions négatives ou à l’opposition de la part des employé.e.s ?
Dans bien des cas, au préalable, les dirigeant.e.s prennent le temps de peser les avantages et inconvénients. Rarement, agit-on sur un coup de tête. Car, plusieurs raisons motivent la décision. Bien souvent, le but est d’assurer la pérennité de l’organisation ou qu’elle puisse se démarquer de la concurrence.
Point de départ des résistances face au changement
« La résistance est normale, voire prévisible » explique Pierre Lainey, maître d’enseignement au département de management à HEC. La cause, selon lui, est liée à la peur de l’inconnu.
Changements : un vent d’instabilité qui souffle sur l’entreprise
Malheureusement, cette incertitude se propage souvent comme une traînée de poudre au sein des troupes. « Est-ce que je vais garder mon emploi ? se demandent les salarié.e.s. À quoi va ressembler cette fusion ? »
De son côté, la coach en communication, Lyne Marie Germain met en cause le phénomène de l’anxiété vécu par les différentes générations sur le marché du travail. « J’observe le stress de performance ainsi que le désir d’un équilibre parfait dans la vie qui finissent par générer la confrontation et la résistance au changement à l’intérieur des organisations. »
Voici des exemples de phrases illustrant toute forme d’opposition.
- Quand le négatif sème le doute : « Moi, j’ai déjà vécu une réorganisation et ça n’a pas marché. Pourquoi, cela fonctionnerait-il maintenant ? »
- Attention à la force du groupe : « Mes collègues ne sont pas d’accord avec ce changement et moi de mon côté, je commence à douter. Peut-être ont-ils raison ? »
La meilleure façon de prévenir toute forme de contestation est d’engager les employé.e.s dans le processus. « Nous croyons que ce projet pourra être rentable pour notre entreprise. Qu’en pensez-vous ? », propose le professeur Lainey.
La résistance au changement basée sur des facteurs idéologiques
Cela peut être une entreprise qui a décidé de réaliser des affaires avec une compagnie qui est située dans un pays, dirigé par un dictateur. Il s’agit, selon M. Lainey de la forme d’opposition la plus difficile à éliminer, car il s’agit de valeurs auxquelles les gens adhèrent. Dans leur for intérieur, plusieurs vont se dire : il n’en est pas question.
3 points clés pour accompagner le changement au travail
1. Communication sincère avec les équipes
M. Lainey recommande une saine communication avec le personnel. Sans louvoiement. « Il faut le dire si le projet risque de susciter un impact négatif comme une suppression d’emplois », précise-t-il. Dans le cas d’une restructuration, la direction d’une entreprise et ses gestionnaires doivent révéler les conséquences d’une telle décision. « Parfois, on veut tellement que le projet fonctionne, qu’on ne dit pas les vraies choses. Vous allez voir, tout va bien se passer. Nous avons embauché une firme qui va nous aider », image le professeur de HEC Montréal.
« Les consultants, ajoute-t-il, c’est bien beau. Cependant, il faut dire la vérité aux gens. C’est comme ça qu’on va établir une relation de confiance avec notre personnel. »
« La meilleure façon de créer des liens, dit-il, c’est d’aller à la rencontre des salarié.e.s à la cafétéria ou sur le plancher de l’usine. » Ainsi, plusieurs vont s’exprimer davantage durant les conversations informelles que dans les réunions.
Exit le jugement et les biais inconscients
Dans son travail, la coach en communication Lyne Marie Germain aide les décideurs à faire preuve d’une véritable écoute sans biais ni jugement. Dernièrement, l’un de ses clients, vice-président aux ressources humaines, a mis en pratique ses recommandations.
L’homme a osé lui poser les vraies questions à son gestionnaire : « Qu’est-ce qui se passe avec toi ? Que vis-tu en ce moment ? » Quelques minutes plus tard, se sentant en confiance, la personne lui a révélé qu’elle songeait à quitter son poste.
2. Trouver les raisons de l’opposition au changement
Madame Germain estime que le rôle de la direction est de connaître les véritables raisons de la contestation. « Il y a toujours une raison derrière la résistance des employé.e.s à la nouveauté, et le travail d’un leader est d’en trouver la source », croit-elle.
Le sentiment de perdre le contrôle
Lors d’une restructuration ou d’une réorganisation, plusieurs membres du personnel se disent qu’ils vont peut-être devoir renoncer à leurs responsabilités. Certain.e.s se disent : « Dorénavant, je ne serai plus avec mon équipe et en conséquence, je n’aurai plus le contrôle sur les choix des projets sur lesquels je veux travailler. »
Le sentiment de perte de contrôle, selon le professeur Lainey, est variable et liée à la personnalité de chacun.e.
La précieuse identité
Plusieurs salarié.e.s ressentent une fierté d’œuvrer pour telle ou telle organisation. Cela s’appelle une identité professionnelle. Toutefois, plusieurs auront tendance à dire : « Je ne me reconnais plus dans mon entreprise et j’ai l’impression de perdre mon identité. »
« Cette perte, renchérit le professeur Lainey, peut sembler abstraite, mais c’est un élément très fort. Si je choisis d’intégrer une organisation, c’est parce que j'en partage les valeurs, la culture et cela représente en quelque sorte mon identité. »
Crainte de redondance
Dans les situations de fusion entre deux entreprises, il se crée un jeu de dominos et de duplication d’emplois. Alors, qui va faire quoi ? Plusieurs membres du personnel redoutent le départ de collègues. « Cela fait 10 ans que je collabore avec telle personne. On s’entend bien et je ne veux pas qu’elle parte » est une réflexion entendue. Le professeur Lainey constate que certain.e.s vont devoir créer de nouveaux contacts ou relations professionnelles au sein de l’entreprise. Cela demande un effort. « Les gens expriment une résistance et c’est normal », rappelle-t-il.
3. Soutenir le personnel face aux transformations de l’entreprise
Par ailleurs, le rôle des gestionnaires et dirigeant.e.s est essentiel. À plusieurs occasions, les projets de fusion, acquisition ou réorganisation entraînent une certaine déstabilisation. « Il faut éviter de présumer que nos gens sont bien payés et vont être capables d’en prendre. Il est important de leur offrir l’aide et le soutien dont ils ont besoin », fait valoir M. Lainey.
Il peut s’agir d’une formation qui aidera la personne à transiter vers son nouvel emploi ou encore d’une séance de gestion de stress en raison de l’anxiété générée par la réorganisation de l’entreprise.
Dans certains endroits, des groupes de soutien par les pairs se créent sous forme de cellule de co-développement. « Une demi-journée par semaine, on échange sur les difficultés et les solutions à mettre en œuvre et cela fonctionne », observe le professeur Lainey.
Engagement, reconnaissance et valorisation
La réussite du projet dépend souvent de l’engagement des salarié.e.s. Au moment du partage des tâches, les gestionnaires tiennent compte des idées ou suggestions du personnel. « Merci pour vos idées, dira le ou la gestionnaire aguerri.e, et nous allons faire de notre mieux pour les rendre opérationnelles. »
Gérer les attentes de façon réaliste
Dans le cas d’un changement organisationnel, les gestionnaires doivent savoir gérer les attentes. Certains postes peuvent être convoités par deux ou même trois personnes. « Il faut bien évaluer et surtout faire preuve d’honnêteté et de réalisme par rapport à leur capacité d’assumer leurs nouvelles tâches », dit M. Lainey.
Être un leader exemplaire
Enfin, le succès de n’importe quel projet bouleversant l’échiquier entrepreneurial est grandement attribuable aux dirigeant.e.s. « Il faut que ceux et celles qui mènent ces fusions, acquisitions ou réorganisations soient des leaders exemplaires et fassent preuve d’authenticité, de bienveillance, d’inclusion et d’ouverture », illustre le professeur.
Concrètement, cela signifie être à l’écoute des doléances en créant, par exemple, un comité qui va réfléchir à la réorganisation du travail. Les membres viendront de différents secteurs, soit du syndicat (s’il y a lieu), de la production, des ressources humaines. Cela comprend aussi des représentant.e.s issu.e.s de diverses communautés ethniques et de genre. L’important est de favoriser la diversité des points de vue et de perspectives.
De son côté, la coach en communication Lyne Marie Germain explique l’importance de compter sur des leaders positifs dans l’organisation. « Ce type de personnalité entraîne spontanément les autres vers une meilleure performance. De plus, les tensions ou conflits finissent par coûter cher : santé mentale, climat toxique, absentéisme etc. »
Être à l’écoute des voix discordantes
Le professeur Pierre Lainey cite de nombreuses études qui témoignent que l’avenir appartient aux profils rebelles, capables de remettre en question les procédures établies. « Le leadership exemplaire, c’est d’avoir le courage d’entendre les différentes voix discordantes », admet-il.
Il est normal dans une équipe d’envisager les choses d’un autre œil. Le professeur Lainey estime que le futur, c’est aussi de faire autrement. Incidemment, l’avis des contestataires devient un atout essentiel.
De leur côté, les membres du personnel vont ressentir une forme de sécurité psychologique en exprimant leurs appréhensions face à un projet en particulier. Là aussi, cela requiert une certaine hardiesse.
La soif perpétuelle d’apprendre
En conclusion, le maître d’enseignement au département de management à HEC, Pierre Lainey a lui-même vécu une expérience de fusion d'entreprise. « Je n’étais pas parfait dans mes nouvelles fonctions. Ma gestionnaire m’a dit à un moment donné : c’est bien correct de se tromper. Qu’est-ce que tu apprends de cela ? »
De nos jours, il est humain, selon lui, de commettre des bévues. « Je réalise qu’il faut simplement apprendre de ses erreurs et en retirer un apprentissage. Cela permet d’être meilleur.e à l’avenir. »
Une leçon de sagesse pour toutes et tous.