L'entreprise libérée ou comment engager les équipes dans les décisions stratégiques

04-09-2024
Depuis une dizaine d’années au Québec, plusieurs PME choisissent le modèle de management de l’entreprise libérée. Voici 5 points de repère pour mieux comprendre sa portée.
Rédigé par :
Annie Bourque, Pratiques RH
Equipe travaillant ensemble sur la stratégie de l'entreprise libérée

D’abord, la situation économique difficile dont la hausse des coûts d’emprunt et le ralentissement de la consommation est-elle propice pour effectuer un virage organisationnel ?

« En période de vent de face, il s’agit sans doute d’un bon moment pour faire les choses autrement », suggère Michel Bundock, ex-PDG du Groupement des chefs d’entreprise (organisme s’appelant dorénavant EntreChefsPME) qui accompagne les dirigeant.e.s dans leur évolution stratégique.

Précurseur au Québec, en 2015, M. Bundock adopte alors avec les membres de son organisation les principes de l’holocratie et de l’entreprise libérée. Le concept se définit par une grande autonomie des salarié.e.s, incluant leur responsabilité dans la prise de décisions et un puissant engagement individuel.

1. Libérer le pouvoir au personnel

Depuis quelques années, plusieurs PME québécoises osent expérimenter ce modèle de management en octroyant davantage de pouvoir au personnel.

« Dans un prisme libéré, tous les employé.e.s prennent part au processus décisionnel », indique Gérard Perron, auteur du livre Comprendre l’entreprise libérée qui raconte le parcours de 6 entrepreneurs.

Parmi ceux-ci, la manufacture Produits Métalliques Bussières située à Saint-Henri dans la région de Québec, encourage ses employé.e.s à devenir autonomes certes, mais aussi responsables et engagé.e.s dans la réussite collective.

Le succès du modèle repose toutefois sur l’obligation de consultation et une saine communication entre les parties prenantes interpellées sur une décision concernant par exemple la fabrication d’un produit, les horaires ou encore le montant des primes salariales.

La culture d’autonomie au travail, c’est quoi ?

En conséquence, une organisation privilégiant l’autonomie de ses salarié.e.s interroge et révise ses processus de décision fréquemment.

De quelle manière va-t-on régler tel problème? se demande les membres de l’équipe incluant gestionnaires, dirigeant.e.s et salarié.e.s.

De surcroit, les gens deviennent des intrapreneur.e.s* ou l’équivalent de travailleur.e.s autonomes au sein même de l’entreprise.

« À l’intérieur de leur territoire de responsabilités, ces personnes prennent des initiatives et des risques sans toutefois mettre en péril l’organisation », explique M. Bundock.

L’intrapreneur.e, c’est une personne qui met sa capacité à entreprendre au service de son entreprise. Animé.e par son leadership et ses convictions, le ou la salarié.e prend des initiatives et développe avec autonomie et passion des projets au sein de l’organisation.

2. Identifier le talent et les compétences des équipes

Dans son livre, l’auteur Gérard Perron cite le cas d’un entrepreneur qui embauche un nouvel employé, spécialisé dans la pose de gypse. Le PDG remarque alors une flamme dans son regard lorsque celui-ci mentionne son talent en informatique. Après s’être cassé le bras, le jeune homme prend alors plus d’initiatives dans son domaine de prédilection.

Aujourd’hui, il est responsable des technologies de RG Dessin Industriel, située en Beauce. En plus d’apprécier son rôle au quotidien, le salarié en question y trouve une motivation et valorisation.

Au préalable, l’entreprise a identifié son talent, ses compétences en les mettant en valeur. « C’est cela qu’il faut retenir de l'entreprise libérée », précise Gérard Perron.

Moins de postes et plus de rôles dans l’organisation

M. Bundock renchérit en indiquant que le personnel d’une entreprise libérée fonctionne davantage par rôle et non par poste. « Du coup, on libère des talents qu’on avait enfermés dans de petites cases. Les gens mettent ainsi leurs compétences au service de l’entreprise et vont s’épanouir aussi », commente-t-il.

De sa propre expérience, son organisation est passée de 50 postes à 200 rôles avec le même nombre de personnes. Et en moyenne, une personne joue 3 rôles au sein de l’entreprise qu’il a dirigée.

Avec le modèle de l’entreprise libérée, la personne salariée prend elle-même l’initiative d’agrandir son terrain de jeu et de développer ses compétences par des formations de son choix. Le but est d’emmener l’entreprise encore plus loin.

Des rôles différents pour les cadres

L’entreprise libérée entraîne toutefois une véritable révolution pour les cadres, gestionnaires et superviseur.e.s. Habitué.e.s de prendre les décisions, leur rôle change puisque ces personnes deviennent davantage des mobilisateur.ice.s qui proposent une vision.

« Ces gens s’assurent de mettre de l’huile dans l’engrenage afin que la communication se fasse bien entre les parties », précise M. Perron.

Point positif : Diminution des coûts de supervision

Inévitablement, l’entreprise finit par économiser de gros montants concernant les frais liés à la supervision des équipes.

« Si tu es obligé de superviser le travail de quelqu’un, c’est peut-être que tu n’as pas embauché la bonne personne », soutient Michel Bundock en reprenant la célèbre citation du fondateur d’Apple.

« Cela n’a pas de sens d’embaucher des gens pour leur dire quoi faire, on les embauche afin qu’eux nous disent quoi faire »

- Steve Jobs

Point négatif : Fuite des talents

Nos spécialistes évoquent de nombreux départs au sein des troupes. Plusieurs n’ont pas cette capacité d’adaptation ou encore l’envie de changement.

« Certains aiment recevoir des directives et qu’on leur dise quoi faire. Cela les sécurise. Tandis que dans ce nouveau mode d'entreprise, tous et toutes deviennent imputables de leurs décisions », affirme M. Perron.

3. Éviter certains pièges dans la mise en place du modèle libéré

La mise en place du modèle de l’entreprise libérée n’est pas nécessairement un long fleuve tranquille. Voici ce qu’il faut surveiller.

Présomptions et médisances dans les corridors

Michel Bundock témoigne de la méfiance et des propos entendus au cours de sa carrière.

  • Il n’y a plus personne qui décide; c’est le bordel!
  • Tout le monde veut décider à propos de tout.
  • On va faire faillite.

Celui-ci observe que les grands désastres anticipés, dont la déroute financière ou la perte de clients, ne se sont jamais produits.

« Quand on ne connait pas quelque chose, on a tendance à faire des projections », souligne-t-il.

S’abstenir d’accompagnement

Dans son livre, Gérard Perron raconte l’histoire d’un entrepreneur qui a négligé de faire appel à un.e coach ou spécialiste afin de l’aider à bien amorcer le virage de l’entreprise libérée. Cela l’a conduit à l’échec.

Chez Produits Métalliques, le PDG Steve Bussières a eu recours à un spécialiste en développement organisationnel. « Cette personne est importante, car elle communique avec le personnel et permet aux gens de s’exprimer en libérant leurs frustrations et leurs besoins », explique M. Perron.

4. Les conditions de réussite de l’entreprise libérée

Le succès d’une transformation organisationnelle s’obtient par un investissement en temps, mais aussi par la transparence.

Les dirigeant.e.s d’une organisation doivent être convaincu.e.s du projet. « Cela prend beaucoup de conviction, car parfois, certain.e.s voudront reculer et des doutes vont s’installer, relève M. Bundock. Cette transformation vers l’autonomie et une plus grande responsabilisation est très exigeante autant pour les dirigeant.e.s que pour les employé.e.s.

Apprendre à communiquer

Les entreprises libérées investissent énormément en formation afin de transmettre les messages clés à leurs équipes.

Du jour au lendemain, les salarié.e.s apprennent l’écoute active et l’art de convaincre. Développer des habiletés en communication est essentiel, selon Gérard Perron. « Les gens doivent prendre des décisions, mais aussi en discuter et confronter leurs opinions. »

Oser être vulnérable

À la tête de l’entreprise libérée, le.la dirigeant.e doit faire preuve d'authenticité. Dans son entreprise, par exemple, Steve Bussières dévoile et partage les profits en disant la vérité à ses troupes. « Cette année, le montant ne correspond peut-être pas à vos attentes, mais nous avons des obligations face aux banques », relate-t-il dans le livre de Gérard Perron.

5. Miser sur les différents facteurs d’attraction et de rétention

Les entreprises libérées reçoivent beaucoup de CV. C’est le cas de la PME de M. Bussières dont les collaborateurs.ice.s deviennent d’ailleurs les meilleur.e.s ambassadeur.ice.s. « Les machinistes se parlent autour d’une bière ou sur une pente de ski et certains réalisent qu’ils pourraient être plus heureux dans une structure libérée », raconte Gérard Perron dans son livre Comprendre l’entreprise libérée.

  • Exit le désengagement du personnel.
    Les entreprises libérées observent un taux de roulement en baisse, un meilleur engagement de leurs équipes et une hausse de productivité.
  • Une plus grande agilité des employés
    Les employé.e.s déploient leurs compétences en symbiose avec la vision de l’entreprise qui n’est plus emprisonnée dans un plan stratégique.
    Le personnel, conscient de la plus grande autonomie qui lui est accordée, reste à l’affût des tendances sur le marché, note M. Perron. Puis, les employé.e.s en informent l’équipe, et l’entreprise a ainsi tendance à s’adapter plus rapidement.
  • Mobilisation des troupes
    En passant d’un poste à un ou plusieurs rôles dans l’entreprise, cela a un impact mobilisateur. « Les gens utilisent leurs forces en faisant ce qu’ils aiment, tout en continuant de se former et développer d’autres aptitudes », clarifie Michel Bundock.
  • Des décisions prises plus rapidement
    Un autre avantage réside dans l’aspect décisionnel. Exit les tergiversations. « Il y a une culture ouverte où il y a du plaisir et de la transparence, mais en même temps beaucoup de rigueur et de discipline. Tout est orienté afin de créer de la valeur pour les client.e.s, employé.e.s et fournisseurs », résume M. Bundock.

L’entreprise libérée : rentable ou non ?

Les avis sont partagés quant à la rentabilité du modèle de l’entreprise libérée.

« Dans certains cas, la rentabilité n’est pas immédiate parce que ça brasse la cage quand l’entreprise change ses façons de faire. Il y a des ajustements qui peuvent prendre des mois ou des années », reconnait Gérard Perron.

Toutefois, la rentabilité est au rendez-vous chez Produits Métalliques Bussières qui a augmenté de 50 % son chiffre d’affaires.

Pérennité du modèle

M. Bussières est d’ailleurs persuadé que ce modèle de gestion va redéfinir les milieux de travail.

Même avis chez l’auteur Gérard Perron qui croit que le nombre d’entreprises libérées va s’accroître. « La nouvelle génération d’employé.e.s a besoin de prendre des initiatives et de compter sur une grande liberté de décision. »

L’ex-PDG du Groupement des chefs d’entreprise, Michel Bundock est même convaincu que la majorité des organisations embrasseront ce concept d’ici 20 à 30 ans. « Les entreprises qui ne suivront pas ce modèle vont devenir inadaptées au marché », pense-t-il.

Déjà, de nombreuses organisations adoptent les pratiques de l’entreprise libérée. Cela se met naturellement en place parce que le désir d’égalité, d’autonomie et la confiance font partie des besoins fondamentaux en contexte professionnel, concluent les deux spécialistes en développement organisationnel.