Écoanxiété du personnel : comment les entreprises peuvent être moteur de pratiques durables

04-06-2025
La conscience écologique ne passe pas uniquement par des plans d’action carbone, mais aussi par une mobilisation humaine et sincère. Quand elles prennent le virage écoresponsable et qu'elles se mobilisent, certaines entreprises apaisent bien plus que la planète.
Rédigé par :
Elodie Leman, Pratiques RH
conscience écologique

De plus en plus, les questions liées à l’environnement suscitent de l’inquiétude. Sans être toujours verbalisée, celle-ci influence la motivation, l’engagement, et parfois même le sentiment d’utilité au quotidien.

Dans un monde où les enjeux environnementaux prennent de plus en plus de place, les entreprises sont appelées à adapter leurs pratiques. Et si cette transformation ne concernait pas seulement les opérations ou l’image de marque, mais aussi le mieux-être des équipes ?

En effet, il est possible  pour les employeurs de mettre en place des pratiques de durabilité avec la complicité de leurs équipes.

L’écoanxiété : discrète, mais bien présente en milieu de travail

La situation climatique mondiale ne s’arrête pas aux portes du bureau. En effet, l’écoanxiété, cette détresse liée à l’avenir environnemental, touche désormais une large part de la population active.

Le baromètre de l’action climatique 2023 indique que 54 % des Québécois.e.s ont déjà ressenti de l’écoanxiété.

Anne-Marie Houde, Chargée de communication chez Nature Action Québec, rappelle que le sentiment d’impuissance face aux nouvelles environnementales y est pour beaucoup.  

« L’écoanxiété, c’est quelque chose qu’on voit émerger depuis quelques années. C’est souvent causé par l’impression d’être impuissant.e face à toutes les mauvaises nouvelles qu’on entend. »

Le phénomène est aussi reconnu par la Fondation David Suzuki, qui identifie les « écoémotions » comme un levier de mobilisation en entreprise… À condition de les accompagner !

« L’écoanxiété, c’est aussi une réponse à la sensation de ne rien pouvoir changer. Alors chaque action devient une forme de reprise de pouvoir. »

- Anne-Marie Houde, directrice engagement et communication de Nature Action Québec

Agir pour l’écoresponsabilité en entreprise

Pour contrer cette anxiété, de plus en plus d’organisations choisissent d’agir. Même à petite échelle, les gestes concrets peuvent redonner du sens au travail, à condition qu’ils soient perçus comme sincères et cohérents par le personnel.

Cette tendance répond aux attentes croissantes des employé.e.s, puisque selon une enquête menée par le Fonds de solidarité (FTQ), 30 % des travailleur.euse.s au Québec souhaitent que leur employeur soit plus engagé et proactif sur les enjeux environnementaux.  

De plus, une étude du Conseil du patronat du Québec révèle que 71 % des Québécois.e.s affirment que plus les valeurs environnementales d'une entreprise sont fortes, plus ils et elles souhaitent y travailler.

Des gestes quotidiens qui comptent

Chez Yves Rocher Amérique du Nord, la démarche environnementale s’est construite progressivement. « Il y a tellement de choses qu’on peut faire qu’on ne sait pas toujours par où commencer. Et ça peut vite devenir étourdissant », se souvient Lysanne Dessureault, partenaire d’affaires RH.

Avec l’aide d’expert.e.s, l’entreprise a mis en place un diagnostic, puis priorisé des actions concrètes : recyclage, compost, bornes électriques, friperie éphémère, collecte de déchets, etc.

« Parfois, ce sont de minuscules détails qui font toute la différence, comme déplacer une poubelle de recyclage dans un endroit plus accessible. Quand la bonne poubelle est trop loin, les gens ne feront pas l’effort. »

Ce type d’engagement rejoint les recommandations de l’Institut National de Santé Publique du Québec (INSPQ) qui encourage les milieux de travail à privilégier l’action concrète, collective et structurée pour réduire l’écoanxiété chez les employé.e.s.

Actions écologiques au bureau : le piège du « tout ou rien »

Si agir peut soulager l’anxiété écologique, vouloir trop bien faire, trop vite, peut générer l’effet inverse : surcharge, frustration et paralysie. Et le quotidien au travail est déjà bien rempli comme ça !

Selon Isabelle Béliveau, fondatrice de l’organisme Éco-Motion, « beaucoup d’entreprises tombent dans le piège du « il faut tout faire parfaitement ou ne rien faire ». Elles ressentent alors une pression externe qui les pousse à poser des gestes symboliques sans forcément les ancrer dans une démarche durable. »

La spécialiste conseille vivement aux employeurs d’ancrer leurs actions écoresponsables dans une intention sincère. « Il faut se poser la question : pourquoi voulons-nous agir ? Si la motivation est profonde et sincère, elle génèrera naturellement des ressources et de l’énergie pour avancer progressivement. »

« Il ne s’agit pas d’être exemplaire, mais d’être crédible et cohérent. »

- Isabelle Béliveau

La mobilisation passe par des objectifs atteignables

L’approche progressive est largement partagée par les organisations qui ont réussi à embarquer leurs équipes.

Lysanne Dessureault explique qu’un excès d’enthousiasme a déjà causé des effets contre-productifs. « À un moment, on est sorti d’un diagnostic avec un plan d’action de 20 points. On n’a atteint que 60 % de résultats finaux, et ça a généré une certaine déception chez le personnel. »

Ce constat chez Yves Rocher Amérique du Nord rejoint celui du rapport du Sommet de la santé durable (2023), qui a identifié la surcharge mentale liée aux enjeux écologiques comme un facteur de détresse pour les travailleur.euse.s.

L’année suivante, l’équipe de Lysanne Dessureault se donne des cibles plus réalistes et c’est mission accomplie. « On les a atteints et les équipes étaient ravies ! »

Anne-Marie Houde, chargée de communication chez Nature Action Québec, abonde dans le même sens. « Je pense que faire plusieurs petits changements est plus accessible pour les entreprises et leurs employé.e.s que de tout changer d’un coup. »

Quelques bonnes pratiques écoresponsables en entreprise

  • Créer un comité environnemental pour mobiliser les équipes autour de projets concrets et réalisables
  • Encourager le covoiturage et le transport actif
  • Organiser des collectes de déchets
  • Faciliter le tri des contenants et le recyclage en rendant les points de collecte visibles
  • Effectuer un ménage numérique (tri des courriels et serveurs)
  • Intégrer des pauses nature pour réduire le stress
  • Favoriser les fournisseurs locaux et éthiques
  • Proposer des dons ou du bénévolat pour des causes environnementales
  • Créer des événements de sensibilisation à l’interne
  • Végétaliser les espaces communs ou planter des arbres en groupe

Pour les entreprises qui cherchent à s’inspirer, des répertoires comme Les Pages Vertes mettent en valeur des initiatives écoresponsables locales, accessibles à toutes les tailles d’organisation.

S’impliquer ensemble pour retrouver du pouvoir d’agir

Mme Houde mentionne que certaines entreprises qu’elle accompagne créent des comités environnement pour mobiliser les équipes autour de projets concrets qui peuvent s’inscrire dans un quotidien au travail. « Ça peut être d'encourager les bonnes pratiques simples à mettre en place auprès des équipes, comme le covoiturage, le recyclage et le compostage par exemple. »

Lysanne Dessureault parle également d’initiatives locales ayant permis de rassembler les équipes autour d’un projet commun. « Nous avons organisé des journées de collecte de déchets à Montréal. Quand on voit que 15 personnes ramassent 6 ou 7 sacs de détritus en quelques heures, on réalise concrètement l'impact qu’on peut avoir individuellement et collectivement. »

Si l’écoanxiété est souvent perçue comme un malaise individuel, elle prend aussi racine dans un sentiment d’isolement. Or, l’une des clés, c’est l’action partagée.

En entreprise comme ailleurs, le collectif devient un véritable facteur de résilience. Pour les organisations qui ont clarifié leur véritable envie de s’engager envers des pratiques durables, c’est l’occasion de « walk the talk » selon les spécialistes, et de créer la cohésion au sein du personnel autour de valeurs environnementales.

« Le fait de savoir qu’on travaille pour un organisme qui fait sa petite part pour la planète, ça donne un sens à ce qu’on fait et au travail. »

- Anne-Marie Houde

Favoriser l’élan de s’engager sans moraliser !

En effet, Anne-Marie Houde observe que la dimension collective est souvent sous-estimée dans les démarches de mieux-être liées à l’environnement.  

L'experte souligne à quel point le fait de déployer des initiatives avec d’autres personnes, même à petite échelle, peut transformer une émotion paralysante en élan mobilisateur. « Rejoindre une initiative aide les gens à se sentir utiles et à diminuer leur anxiété et les entreprises peuvent être les acteurs de ces actions. » 

Elle souligne du même coup l’importance pour les entreprises de ne pas opter pour une approche moralisatrice.  

« Il ne faut pas brusquer les gens. Il faut leur montrer ce qu’ils.elles ont à y gagner ». De plus, cet alignement entre valeurs et action fait toute la différence pour l’adhésion et la rétention des troupes. »

« C’est plus mobilisant de dire : “Voici ce que tu peux faire” que de dire : “Tu ne fais pas assez”. »

- Anne-Marie Houde

Des entreprises québécoises qui s’engagent pour l’environnement

  • Soprema réutilise les papiers siliconés (papier sur lequel les étiquettes sortent pour l’envoi de colis) pour les transformer en isolant dans les constructions ;
  • Chez TerraCycle des collectes de mégots de cigarettes au sol et dans les cendriers sont organisées par les employé.e.s, afin d'être recyclés. Depuis 2020, le personnel a récupéré 42.85 livres de mégots rien qu’avec cette action.  
  • Chaînon récupère les vêtements qui n’ont pas trouvé preneur.euse.s. Des collectes solidaires sont également organisées avec certaines entreprises.
  • Coesio a accompagné certaines entreprises dans des démarches de diagnostic en matière de développement durable.

Des initiatives écoresponsables pour attirer et retenir les talents

Pour les entreprises, agir sur l’environnement, c’est aussi se positionner comme employeur engagé : un facteur d’attractivité croissant.  

« Une entreprise qui s’engage réellement dans une démarche écoresponsable envoie un signal fort, non seulement à ses clients et partenaires, mais aussi à son personnel. Cela peut renforcer le sentiment d’appartenance et donner du sens au travail », observe Anne-Marie Houde de Nature Action Québec.

Plus de 62 % des jeunes travailleur.euse.s de 18 à 34 ans affirment vouloir travailler pour des entreprises qui placent leur mission sociale et environnementale au cœur de leurs opérations, selon un sondage réalisé par la British Columbia Automobile Association (2024).

De plus, 49 % d’entre eux et elles sont même prêt.e.s à accepter une légère réduction de salaire pour travailler pour une entreprise responsable.

Isabelle Béliveau le constate d’ailleurs dans ses accompagnements en entreprise : « les employé.e.s d’aujourd’hui recherchent du sens dans leur travail. Une entreprise qui ne s’adapte pas risque de perdre ses talents. »

Devenir acteur de la transition écologique

Les organisations ne peuvent pas tout faire ni tout résoudre. Mais elles peuvent faire mieux, progressivement. Et surtout, elles peuvent choisir de ne pas rester immobiles !

« L’environnement, ce n’est pas une case à cocher, c’est un état d’esprit à cultiver. », conclut Isabelle Béliveau.