TDAH et travail : outils et stratégies gagnantes pour employeur averti
14h30. Irène* (nom fictif) écrit frénétiquement sur son clavier. Les idées et les mots défilent enfin sur la page blanche de son écran. Acculée à l’heure de tombée de 17 h, son cœur palpite et la pression est à son paroxysme.
« Je travaille mieux sous pression », confie la salariée d’une grande organisation, qui a reçu un diagnostic de TDAH par un neuropsychologue à l’âge de… 48 ans.
Son cas n’est pas isolé puisque de nombreuses personnes doivent conjuguer vie professionnelle et spécificités liées au trouble. Voici des pistes de stratégies, d’accommodements et des conseils destinés aux organisations pour favoriser une saine inclusion des personnes avec un TDAH au sein de leurs équipes.
Le TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) est un trouble neurodéveloppemental qui affecte le fonctionnement exécutif, c’est-à-dire la capacité à moduler l’attention, à apprendre et assimiler de nouvelles informations ainsi qu’à planifier.
Les premiers signes, soit l’inattention, l’hyperactivité ou l’impulsivité apparaissent durant l’enfance. À l’âge adulte, de nouveaux termes illustrent ce trouble soit les 3 D :
- Distractibilité : des oublis fréquents, une difficulté à suivre une conversation, la perte de mémoire.
- Désinhibition : la personne interrompt la conversation, n’a pas conscience de l’autre ou de la présence de malaise.
- Désorganisation : des difficultés dans l’organisation, la planification de tâches, une mauvaise gestion du temps.
Une variété de profils TDAH
« Chaque personne est unique. Il n’y a pas deux personnes pareilles, même si elles ont un diagnostic similaire de TDAH. Il faut composer avec le potentiel et les défis de chacun.e », fait valoir Dominique Simard, directrice générale de l’Association PANDA Saguenay-Lac-Saint-Jean, un organisme favorisant la réussite scolaire et sociale des personnes atteintes de TDAH.
Même constat du côté d’Angélique Emeric, consultante professionnelle à la clinique TDAH Montérégie. « Les symptômes varient d’un individu à l’autre et peuvent être teintés par l’éducation, la personnalité ou l’environnement », écrit-elle dans son mémoire de maîtrise portant sur les adultes vivant avec un TDAH en situation d’emploi.
Le TDAH, c’est...
- 1 québécois.e sur 20 environ.
- 3 à 5 % des adultes au Canada.
- 120 millions de journées perdues, attribuées à la mauvaise gestion du TDAH, aux États-Unis, soit jusqu’à 138 milliards de dollars par année.
Les expertes interrogées mettent toutefois en garde face à la recrudescence de l’autodiagnostic. « J’oublie toujours mes clés ; c’est mon TDAH ! », entend-on souvent.
Avant de sauter aux conclusions, il est préférable d’obtenir une évaluation par un.e spécialiste. « Le TDAH est souvent présent avant l’âge de 12 ans. Cela n’apparait pas tout d’un coup à 30 ans parce qu’on a un enfant, une hypothèque, un chum et deux chiens », explique Dominique Simard avec une pointe d’humour.
Des enjeux réels en contexte professionnel
Difficile de travailler calmement alors que le TDAH se définit par une agitation mentale et/ou physique.
L’animateur André Champagne, diagnostiqué depuis 10 ans, se souvient de son épuisement. « Avant d’animer un événement, j’étais stressé, je faisais les 100 pas, raconte-t-il. J’étais brûlé avant de commencer. De plus, j’étais souvent en retard. Au travail, j’avais une complice qui m’aidait à surmonter mes nombreux oublis. »
Le jeune quadragénaire montre une photo de son bureau enseveli sous une tonne de documents. « Je savais que je pouvais faire mieux », confie-t-il.
Si, en général, les personnes TDAH ont une faible estime de soi, la coach spécialisée en TDAH Angélique Emeric observe également chez elles une résilience et une force de caractère. « Ces gens travaillent 3 fois plus fort afin de pallier leurs lacunes, dont les oublis et leur désorganisation. »
Aujourd’hui, André Champagne se sent plus efficace. Quotidiennement, il observe les effets bénéfiques de la médication lui permettant de respecter les engagements de son agenda.
« Le TDAH ce n’est pas un défaut moral, ni un manque d’encadrement, de stimulation ou encore une excuse pour un travail bâclé. »
- André Champagne
Une responsabilité partagée
« Le trouble déficitaire de l’attention n’excuse pas tout. Il y a quand même une responsabilisation. La personne doit vouloir s’organiser et atteindre ses objectifs », affirme la directrice générale de l’Association PANDA Saguenay-Lac-Saint-Jean, Dominique Simard.
Lorsqu’un.e salarié.e est atteint.e du TDAH, au Québec, les entreprises ont l’obligation légale de mettre en place des accommodements raisonnables afin de faciliter l’exécution de ses tâches.
« Comme employeur, on veut être conciliant et flexible face aux gens qui ont un TDAH. Cependant, il faut obtenir au préalable un diagnostic médical officiel », précise-t-elle.
Pour en savoir plus :
Stratégie 1 : Miser sur les qualités de la personne
De l’avis de plusieurs expertes interrogées, les gestionnaires et dirigeant.e.s d’entreprise ont intérêt à voir les points positifs des personnes TDAH dont leur énergie, leur créativtité, leur sens de l’humour et leur empathie.
Les personnes TDAH ont un grand potentiel, croit Dominique Simard. « Au lieu de taper sur le clou de la personne qui remet souvent sa feuille de temps en retard, regardez d’abord ses qualités. Si elle a un trouble déficitaire de l’attention, c’est souvent quelqu’un de passionné, créatif et dévoué à sa tâche. »
La créativité, selon elle, s’avère un atout précieux en entreprise et contribue à augmenter la productivité de l’organisation.
L’atout des personnes TDAH : penser autrement
La consultante professionnelle et coach auprès des adultes TDAH apporte un bémol. « Je n’avancerais pas que les toutes les personnes TDAH sont plus créatives. Il faudrait des études plus poussées là-dessus », dit Angélique Emeric.
Cependant, l’experte met en valeur leur propension à penser autrement en citant l’expression anglaise « think out of the box ». Cela représente un bel avantage pour une organisation qui désire innover en recrutant des profils diversifiés, dont des personnes neurodivergentes comme les TDAH qui enrichissent la vision collective.
Stratégie 2 : proposer des défis stimulants
Certaines personnes TDAH ont tendance à perdre leur motivation et leur attention en raison de l’ennui suscité par un travail routinier.
« En revanche, si l’intérêt est au rendez-vous, indique Angélique Emeric dans son rapport, ces individus peuvent être très performants et même être obsédés par leur travail. »
L’experte pense que si les dirigeant.e.s percevaient ce point, on leur proposerait davantage d’opportunités ciblées et des responsabilités supplémentaires.
De là l’importance pour les gestionnaires de déceler ce besoin de défis et de croissance. « Ces personnes au lieu d’être qualifiées d’instables ou d’insatisfaites, deviendraient des acteur.ice.s clés dans leurs organisations respectives. »
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TDAH : les entrepreneurs aussi !
Plusieurs études dont celle du Wall Street Journal indique que 70% des chef.fe.s d’entreprises américaines les plus prospères présentent des caractéristiques associées au TDAH comme la prise de risque, la capacité à déléguer et celle de trouver des solutions à un problème.
C’est le cas de Samaëlle Belley, propriétaire d’une boutique de mode au Saguenay. « J’ai toujours eu de la difficulté avec les mathématiques, la concentration et la logique », se souvient celle qui a bénéficié du soutien d’une orthopédagogue durant son cheminement académique.
Aujourd’hui, la dirigeante est fière de son parcours. « J’ai été capable de créer une entreprise grâce à ma capacité multitâche. Je développe l’image de marque, le marketing, l’inventaire tout en m’occupant de la gestion de cinq employé.e.s.»
Sa bête noire demeure la comptabilité et la gestion de ses courriels. « Je souhaite être accompagnée afin de pallier mon manque de structure administrative », affirme-t-elle.
Stratégie 3 : Oser aller chercher des ressources spécialisées
En effet, l’accompagnement par des professionnel.le.s peut être bénéfique pour les personnes atteintes du TDAH, dont des ergothérapeutes, thérapeutes ou coachs spécialisé.e.s.
Lors du processus d’embauche, peu de personnes dévoilent leur condition. « Les gens vont avoir tendance à cacher leur déficit d’attention par peur de la stigmatisation et par crainte de ne pas avoir accès à une promotion », mentionne Angélique Emeric qui, cinq ans après la rédaction de son mémoire, constate tout de même une plus grande ouverture des employeurs.
Dans son bureau, elle reçoit des gens de différentes professions, autant des employé.e.s que des décisionnaires. « Je travaille sur les enjeux et problématiques de chacun.e. S’agit-il de relations conflictuelles avec les collègues, de gérer l’autorité ou encore une difficulté à trier des courriels ? »
Cependant, la spécialiste ne donne pas de consultation par téléphone à un.e gestionnaire qui s’interroge à propos d’un.e collaborateur.ice.
« Il y a une multitude de facteurs liés au TDAH, rappelle-t-elle. Et c’est délicat d’évaluer quelqu’un sans consultation. »
Chose certaine, le taux de succès face à des enjeux au travail sera plus élevé si la personne ayant un TDAH décide elle-même de consulter un.e professionnel.le.
Stratégie 4 : Des outils pour les employeurs
Par le passé, Samaëlle Belley a travaillé comme éducatrice spécialisée dans les écoles. Cette expérience l’aide désormais à recruter des employé.e.s neurodivergent.e.s.
Parmi son personnel, elle compte une employée ayant un TDAH. Au quotidien, la propriétaire de la boutique s’assure que sa salariée comprenne bien les tâches.
La dirigeante et l’employée atteignent leurs objectifs grâce à un processus convenu entre elles, incluant la mise en place de Post-it pour le rappel des commandes.
De son côté, la directrice générale de l’Association PANDA Saguenay-Lac-Saint-Jean propose aux employeurs et à leurs équipes une nouvelle plateforme ludique : Bambooza.
Les salarié.e.s ont accès à 7 jeux dispensés lors d’une formation de 2h30. L'objectif est d’acquérir des compétences tout en développant des stratégies pour mieux réussir au travail.
Au quotidien, Mme Simard et son équipe préconisent le diagramme de Gantt, un outil décortiquant les tâches à effectuer par l’équipe selon une échéance précise.
10 exemples d’adaptation pour les employeurs
L’employeur peut soutenir ses employé.e.s ayant un TDAH en mettant en place des mesures d’accommodement selon les difficultés rencontrées. Voici plusieurs pistes :
- Fournir un bureau debout ou réglable favorisant la concentration.
- Établir un calendrier et une liste de tâches variées en s’y référant régulièrement.
- Accorder des pauses plus fréquentes.
- Autoriser l’utilisation des ballons d’exercices ou balles antistress.
- Assigner un projet à la fois.
- Proposer des bureaux fermés pour les entretiens téléphoniques.
- Installer des panneaux d'absorption acoustique et mettre à disposition des écouteurs de qualité.
- Permettre le travail à domicile si les tâches demandent une plus grande concentration.
- Diffuser de l’information sur le TDAH, ses symptômes et ses effets.
- Permettre l'enregistrement ou la prise de notes lors de réunions ou d'instructions longues.
La nécessité pour le personnel atteint de TDAH de trouver sa méthode
À l’occasion de la rédaction de son mémoire, Angélique Emeric a rencontré 15 adultes atteints de TDAH qui ont partagé leurs astuces pour mieux s’organiser au travail, et ainsi ne pas laisser leur condition devenir un frein à leur réussite.
- «Tous les vendredis, je prépare ma semaine dans un document Excel. Donc tout est écrit et documenté m’obligeant à être structurée et disciplinée », relate l’une d’elles.
- « J’écris mes tâches sur une liste avec des codes de couleur. En orange pour les objectifs de la journée au bureau. En bleu, pour ceux à la maison. Tandis que les éléments en vert sont mes loisirs pour favoriser mon bien-être et équilibre », détaille une autre.
Puisque chaque TDAH est différent, insiste l’experte, chaque personne doit trouver la meilleure méthode de travail afin de s’arrimer efficacement aux objectifs des équipes.
Stratégie 5 : l’instauration d’une saine discipline
Les chercheur.euse.s et les spécialistes du TDAH sont unanimes : un mode de vie sain, incluant un sommeil de qualité, de bonnes habitudes alimentaires et de l’activité physique contribuera à diminuer les effets négatifs du trouble.
Les manifestations du TDAH qui peuvent entrer en conflit avec le travail (oublis, inattention, désorganisation, etc.) sont exacerbées par la fatigue ou la consommation d’alcool.
Le secret, selon Dominique Simard, est l’instauration d’une discipline. « Il faut se doter de moments clés dans notre routine afin d’éviter les oublis et varier les tâches. ».
L’entrepreneure Samaëlle Belley propose plus de flexibilité à son personnel à certains égards. Quelqu’un a besoin d’une promenade ou d’un jogging à l’heure du lunch ? Cette pause lui sera généralement accordée, tout comme un léger changement d’horaire pour une autre qui entreprend un cours de tai-chi, bénéfique pour sa tendance à l’hyperactivité.
Si la conciliation est de mise, la cheffe d’entreprise avoue toutefois que sa réussite est conditionnelle à un rythme de vie strict et beaucoup de repos. « Je performe lorsque je suis « overbookée », confie-t-elle. Cependant, cela exige une grande rigidité dans ma vie personnelle. »
Le trouble déficitaire de l’attention est un défi quotidien et la clé du succès réside dans l’organisation.
« J’ai trouvé ma voie et cela m’aide beaucoup. Toutefois, j’ai développé un mécanisme militaire. Ma vie est réglée au quart de tour afin que je n’oublie rien. »
- Angélique Emeric
Envisager le TDAH comme une opportunité
Selon les expertes, si les personnes ayant un TDAH travaillent dans un métier qui le passionne, leur capacité d'adaptation sera plus grande.
Un récent rapport publié sur le TDAH au travail conclut aussi sur l’importance d’un environnement de travail axé sur une bonne communication au quotidien.
En adoptant des mesures d’adaptation, les employeurs voient l’impact tangible sur la motivation, la satisfaction et le sentiment d’accomplissement de leurs employé.e.s neurodivergent.e.s. Et cela a une incidence énorme sur l’efficacité, l’engagement des troupes et les résultats de l’entreprise.