Entre audace et soif d’apprendre, l’édifiante trajectoire d’une femme en STIM

06-03-2024
La place des femmes en STIM : un exemple des plus motivants !
Rédigé par :
Marilyn Bouchain
Marie-Hélène Durivage Maher, les  femmes dans les sciences

Les domaines des STIM - ou des sciences, de la technologie, de l'ingénierie et des mathématiques - ne comptabilisent en 2023 que 23 % d’employés femmes. Manque d’ouverture de la part des entreprises ou de confiance en soi de la part des candidates potentielles ? Des réponses ici ! 

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Du fait de sa propre trajectoire professionnelle, son engagement en tant que présidente de la jeune chambre de commerce des femmes de Montréal et sa volonté de porter la cause des femmes en STIM sur la place publique, Marie-Hélène Durivage Maher est une voix qui vaut la peine d’être entendue : son témoignage a valeur d’exemple ! 

Entrer en STIM… par une porte latérale  

À plus d’un titre, votre expérience est riche en enseignements, c’est pourquoi j’aimerais tout d’abord connaître votre parcours professionnel…

J'ai fait mes premières armes en relations de presse. Peu à peu, les communications se sont digitalisées. Bien que n’étant de prime abord pas véritablement attirée par la technologie, ce virage m’a intéressée. Je me suis donc formée en SEM, SEO et marketing numérique qui sont devenus mon expertise. J’ai travaillé pour la société canadienne du cancer dont j’ai géré toutes les campagnes numériques au Québec, puis je suis passée par plusieurs agences. Vers la trentaine, j’ai fait un burnout.

Je me suis interrogée sur ce que je voulais réellement. J’ai décidé que j’allais travailler en PME afin de pouvoir me concentrer sur un seul et même message. C'est ainsi que je suis arrivée à la Financière des professionnels, pour laquelle je travaille actuellement, avec pour mandat initial la transformation numérique et la stratégie digitale. 

Vous n’êtes donc pas entrée directement en STIM … Comment s’est opéré ce tournant ?

J'ai rencontré une personne très importante dans ma vie : mon patron (rires) ! À la Financière des professionnels, nous aimons organiser des rencontres d'intégration pour accueillir les nouveaux venus, ce qui leur permet de comprendre les différents départements. Je suis donc passée par tous les services. Arrivée au service techno, en écoutant le vice-président, je me suis dit « Waouh, quelle belle vision d'avenir ! Il y a quelque chose là-dedans qui vient chercher mes valeurs d'innovation. » 

S’auto-former pour sonder ses possibilités 

On vous a proposé directement un poste en technologie ?

C'est moi qui ai osé. Je suis retournée voir le V.-P. Nous avons discuté des heures. Tout m'intéressait, les données, l'intelligence artificielle… Au fil de la conversation, mon interlocuteur a décelé en moi des aptitudes à la gestion. Je n’étais vraiment pas sûre d’être à la hauteur. Je suis donc allée faire quelques formations pour sonder mes capacités. 

Ces formations étaient-elles de votre propre initiative ?

Oui, j’avais besoin de me tester. Parfois, les gens vous accordent plus de crédit que vous ne le faites vous-même : les doutes sont là…  

Les circonstances ont fait que justement, un poste de direction au niveau du bureau de projets technologiques se libérait. J’avais déjà fait de la gestion de projet mais uniquement en numérique. Néanmoins, en lisant la description de tâches, j’ai eu la sensation que ce poste était pour moi. Mon entourage m’a encouragée à tenter, quitte à apprendre en cours de route, aller chercher ce qui me manquait. 

Donner l’opportunité sans a priori 

Pensez-vous avoir bénéficié d’une sorte de discrimination positive ?

Pas du tout : j'ai eu une entrevue relativement corsée ! On m’a confirmé par la suite que l’on ne m’avait pas fait de cadeau, que j’avais été testée afin de s’assurer que, malgré mon profil atypique, j’avais les aptitudes pour ce poste. Et finalement je l'ai eu !
 

Je me souviens très bien de la manière dont les choses se sont déroulées : nous étions en pleine pandémie. J’étais chez moi, attendant la rencontre visio au sujet de ma candidature (pour laquelle je n’étais pas très optimiste). Lorsque mon futur patron est apparu à l’écran, j’ai pu noter qu’il passait l’appel de l’extérieur. C’est en reconnaissant un immeuble que j’ai compris qu’il était à quelques pas de chez nous : il s’était déplacé dans mon quartier pour m'annoncer que j'avais le poste ! J’ai trouvé le geste touchant.  

C'est à partir de là que nous avons commencé à travailler ensemble. 

Se faire confiance avant tout

Comment avez-vous appréhendé cette entrée en STIM ?

Je me suis tout d’abord formée sur l'intelligence artificielle, la transformation numérique, Microsoft Dynamics, Azur, pour mieux comprendre, sans pour autant toucher véritablement à ces domaines puisque j’avais un alter ego techno qui s’en occupait. Lorsque ce collègue est parti, on m’a proposé de prendre l'intérim. Ce à quoi j'ai répondu, « Non, pas d'intérim. Si j'ai le poste, c’est définitif. » Ils ont accepté ! 

Depuis, je gère autant le bureau de projet que les équipes technologiques. J’ai vingt personnes sous ma gouverne, des consultants, des firmes qui travaillent pour nous. Ce qui m'aide en tant que gestionnaire, c'est de savoir m'entourer. Je suis très humble face au fait que je ne sais pas tout, et que je ne saurai jamais tout. Ce sont des corps de métier très complexes, pointus. Je m'entoure de gens motivés, professionnels, qui ont le goût de bâtir mais aussi, ce qui est extrêmement important, doués de savoir-être. 

Trouver les candidates « STIM compatibles » 

Finalement, vous êtes un profil totalement atypique pour les STIM : une littéraire !

 Ah oui ! Et je dirais même que c'est une force dans mon métier de gestionnaire de savoir comment communiquer, comment bien rédiger. Au niveau des projets aussi, il faut savoir vulgariser. Un.e développeur.se peut être hyper compétent.e mais ne pas savoir expliquer ce qu’il.elle fait. C’est là où mon parcours est un plus, tout comme celui des femmes qui opèrent une redirection dans leur carrière pour aller vers les STIM alors qu’elles arrivent d’un autre secteur : leur vision va être neuve, chargée d’acquis non stéréotypés.  

Tout cela implique un vrai positionnement des RH… 

Bien sûr. Je parle beaucoup des profils atypiques avec des ami.e.s RH. Auparavant, le discours était : « Tu n’as fait ni ingénierie, ni science informatique… Quelle est la logique ? Vas-tu changer d’avis et quitter dans deux mois ? ». À présent, on se rend compte que non. La force de ce type de personne, c’est justement d’être polyvalente dans ses intérêts… Une qualité qu’on retrouve souvent chez les femmes : l’envie de toucher à beaucoup de domaines, de s’ouvrir.  

Du côté des RH, Il faut aussi cette volonté de diversifier les équipes… Se demander, sans nécessairement avoir recours à des quotas : « En n’ayant pas ou peu de femmes dans mes équipes, est-ce que je passe à côté d’opportunités de bonification des idées ? »  
Puis à partir de là, réfléchir à ce que l’on va aller chercher dans un CV.  

En tant que gestionnaire, quel type de profil féminin privilégiez-vous ?

Pour ma part, je joue franc jeu avec les candidates. Je leur dis directement pourquoi nous sommes allé.e.s vers leur CV et quel rôle je voudrais leur donner au sein de l’équipe. 

Je veux des femmes qui puissent y arriver, qui sont assez dégourdies pour faire leur chemin dans ce monde masculin… Mais ça passe aussi par l'embauche d’hommes capables d’une ouverture à une autre perception de la programmation ou des sciences ! Ils auront beau être d'excellents développeurs ou analystes, si la curiosité, l'échange, la collaboration n’y sont pas, je ne les engagerai pas.  

Savoir détecter les aptitudes 

Il faut aussi envisager les ressources internes. Chez nous par exemple, la gouvernance au féminin est très présente : beaucoup de directeurs sont des directrices; nous avons des VP femmes. Nous offrons des formations au personnel féminin pour le pousser au leadership. C'est ce que nous mettons de l'avant dans notre marque employeur… Si l’entreprise peut permettre à ses employées de suivre des programmes, de monter en compétences ou de se réorienter, tant mieux : de cette manière, elle s’assure d’avoir affaire à une candidate dédiée, qui va se donner à fond. 

Techno’elles : provoquer des vocations STIM 

Le 1er juin 2023 se tenait à Montréal la conférence Techno’elles organisée par le regroupement des jeunes chambres de commerce de Montréal. Vous y étiez panéliste en compagnie de quatre autres intervenantes. Quelle était la motivation des participantes ? 

Nous voulions soutenir l’idée que voir au-delà d’un CV ou d’un parcours en focalisant sur les habiletés est une façon d’ouvrir les portes aux femmes en STIM : si j'ai une personne extrêmement analytique aux opérations, je peux présumer qu’elle pourrait devenir une excellente analyste d'affaires ou de solutions…  Un autre défi que relève Techno’elles, c’est de mettre de l’avant des mentores, des femmes qui sont capables de prendre la parole, de témoigner qu’il est possible de franchir le pas. Nous cherchons à visibiliser cette réalité. 

Des initiatives pour soutenir les femmes en science, technologie, ingénierie et mathématiques

Sensibiliser et éveiller l’intérêt des jeunes filles 

  • Les Scientifines s’adresse aux jeunes filles de 8 à 17 ans issues de milieux défavorisés 

  • Les filles et les sciences est un événement se déroulant à Montréal, Québec, Rimouski et Sherbrooke 

  • La chaîne Youtube SCIGirls propose des épisodes ludiques d’initiation aux sciences (en anglais et version traduite) 

Promouvoir 

  • Techno’elles est une tournée de conférences-discussions visant à outiller les femmes en matière de formation, de rehaussement de compétences et de requalification 

  • L’initiative Diversité en STIM a pour objectif de susciter l’intérêt des jeunes femmes, des personnes non binaires et d’autres publics divers pour le secteur 

De femmes à femmes : la valeur de l’exemple

Ce que je déplore, c'est que dans les très nombreux congrès portant sur les technologies, que ce soit du point de vue des présentateurs ou des panélistes, les femmes sont réduites à la portion congrue, et rares sont les occasions pour elles de faire valoir leur expertise ou leur cheminement... Nous gagnerions beaucoup à écouter ces femmes s'exprimer.  

Avec Techno’elles, c’est ce que nous nous efforçons de faire, en espérant changer la perspective des entreprises et les entraîner dans notre sillage !  

Passer à l’action au féminin

De ce que vous venez de dire se dégagent deux problématiques : le manque de réactivité des entreprises lorsqu’il s’agit de donner la parole aux femmes et la nécessité pour ces dernières de s’affirmer.

Ça, c'est le nerf de la guerre : la confiance en soi ! Si je prends mon cas personnel, je pense que mon impulsivité a joué en ma faveur : j’allais peut-être me tromper, avoir des lacunes mais l’important était d’embarquer dans ces projets qui m’animaient, d’essayer d’y apporter tout ce que je pouvais. Advienne que pourra ! C’est une position que beaucoup de femmes ont du mal à adopter : se libérer du perfectionnisme, se sentir légitimes parce qu’on agit et ne pas attendre de l’être pour s’autoriser à s’engager. 

Des chances à saisir dans le secteur

Il faut arrêter de se dire que tout est blanc ou noir. Il y a beaucoup de zones grises : c'est à nous d’y entrer, d’y trouver nos allié.e.s… Je pense que les femmes ont assez réfléchi, il faut qu’elles se lancent. Et c’est plus que jamais le moment :  de nombreux postes restent vacants. Elles ont le goût de le faire ? Qu’elles lèvent la main ! Qu’elles expriment cette envie car les gestionnaires ne sont pas devins ! 

Il faut être proactif. C’est aussi valable pour les employeurs car s’ils n’embarquent pas rapidement, le bateau qui mène les femmes vers les STIM va passer devant eux sans s’arrêter à quai ! »