Trois femmes en TI ou la passion des algorithmes

11-03-2022
Animées par une insatiable curiosité et le désir d’apprendre, elles ont bifurqué de carrière pour plonger en TI -Technologies de l’Information. Portrait de 3 dirigeantes d’entreprises en région, des battantes qui ont osé croire en leur rêve, malgré les nombreux obstacles.
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Annie Bourque, Pratiques RH
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Pratiques RH, femmes, TI, dirigeantes, Québec
 De gauche à droite : France Lavoie, vice-présidente et dg de Devicom, Caroline Marceau, présidente d'Elenco et Annie Chénier, fondatrice de Cpourca. 

De gestionnaire à spécialiste du numérique 

Annie Chénier, fondatrice de Cpourça - Baie des Chaleurs, Gaspésie. 

En 2010, Annie Chénier entreprend une remise en question de ses compétences professionnelles l’incitant à suivre une formation sur la gestion de sites Web et des réseaux sociaux. 

Cette gestionnaire d’expérience travaille alors depuis 10 ans pour le Conseil de la culture de Gaspésie. « Les premières formations sur la littératie numérique ont été pour moi un véritable élément déclencheur : je comprenais (enfin) le potentiel des outils numériques », explique celle qui a pratiqué les relations publiques et de presse durant 17 ans. 

À l’âge de 40 ans, elle retourne aux études, à l’Inis pour approfondir ses connaissances. Puis, en 2012, elle lance son entreprise Cpour.ca

Avec aplomb et détermination, elle surmonte les différentes phases de démarrage, sans aucune source possible de financement. «Malheureusement, je faisais partie des clientèles exclues des programmes: trop vieille, pénalisée en raison de mon emploi stable (avant de partir à mon compte) et mon entreprise était dans la catégorie de services et non de production », énumère-t-elle. 

Sa patience et ses efforts ont portés fruit. Aujourd’hui, son expertise est appréciée des organisations du secteur culturel, de l’éducation et touristique. 

Elle accompagne les organisations dans leurs transformations numériques, mais aussi au point de vue de leurs stratégies et communications. «Au départ, j’étais une « techno-nulle» et aujourd’hui, je conseille le gouvernement en matière de transformation numérique. Cela me rend fière », dit-elle. 

20 % de femmes 

Les femmes sont peu présentes dans le secteur des TIC au Québec. Selon un rapport de TECHNOCompétences sur la place des femmes en TI, seulement 20 % de femmes occupaient les quelques 136 000 emplois disponibles en TI en 2017. En 2021, les hommes représentent 78% de la main d'oeuvre employée dans le secteur d'après le dernier diagnostic sectoriel 2021-2024 produit par l'organisation. 

Face à ces statistiques, la fondatrice de Cpour.ca estime qu’il faut davantage sensibiliser les jeunes filles aux avantages des TI. « Au Québec, nous avons développé une filière intéressante en intelligence artificielle. À l'heure actuelle, on constate un besoin important en matière de recrutement. Le terreau est fertile et le salaire, fort intéressant», dit-elle. 

Il y a de la place, selon elle, pour les femmes en TI, un secteur voué à une souplesse d'horaires. Au moment où l’on parle de plus en plus de sobriété numérique ou du droit à la déconnexion, Annie Chénier croit qu’il est possible de travailler dans ce domaine, selon des normes éthiques et responsables. 

En retournant à l’école à 40 ans, Annie Chénier avoue avoir vécu le syndrome de l’imposteur qui revient la hanter parfois encore aujourd’hui. 

Syndrome de l’imposteur 

Deux psychologues, Pauline Rose Clance et Suzanne Imes ont dévoilé ce phénomène en 1978. Elles ont étudié les cas de 150 femmes qui exercent des métiers prestigieux. Or, celles-ci ne ressentent nullement ce sentiment de réussite. Pire, elles croient que leur parcours est redevable à la chance ou au hasard. 
Par crainte d’être démasquées, elles vont travailler avec acharnement. D’autres, en visant toujours la perfection, finissent par s’épuiser professionnellement. Et cela vient renforcer leur sentiment d’incompétence lié aux efforts fournis. 

Au quotidien, Annie Chénier reste constamment à l’affût de nouvelles connaissances puisque le domaine numérique évolue à une cadence accélérée. 

Récemment, cite-t-elle en exemple, elle a développé un nouveau contenu de formation pour ses clients concernant la « découvrabilité.» « J’explique comment on peut influencer nos données sur le Web afin d’être plus visible. Autrement dit, comment faire afin que les algorithmes viennent nous voir et nous chercher. La recette, c’est de bien gérer ses données », explique-t-elle, d’un ton passionné. 

Malgré un agenda chargé, l’entrepreneure se réserve du temps pour skier sur les monts enneigés des Chics Chocs en Gaspésie. La spécialiste des transformations numériques vise d’aller toujours plus loin et plus haut dans sa quête de dépassement de soi.

Contenu supplémentaire

Programmes d’appui financier disponibles pour les femmes​​​​​​

Une gestion axée sur l’humain 

France Lavoie, directrice générale de Devicom - Chicoutimi, Saguenay. 

Depuis 35 ans, France Lavoie dirige Devicom, un fleuron spécialisé dans les TI au Saguenay. Une entreprise innovante dont le succès repose sur la confiance et le leadership collaboratif de ses 55 employé.e.s.

En toute franchise, elle raconte son parcours qui a commencé par des études pour devenir technicienne de laboratoire médical. « Je ne comprenais absolument rien des technologies », raconte la co-fondatrice de Devicom qui était en 1987, le premier fournisseur d’Internet au Saguenay-Lac Saint-Jean. 

Autodidacte, elle lance le premier Café Internet de la région, Cybernaute, situé à Chicoutimi. Entretemps, fin des années 90, elle devient la 3e meilleure vendeuse de logiciels éducatifs au Québec. «Quand j’embarque dans quelque chose, confie-t-elle, j’ai une soif de découvrir et j’apprends à fond.» 

Entourée d’un monde d’hommes, France Lavoie a compris l’importance de bâtir sa confiance et son estime personnelle. « J’ai suivi des cours qui n’ont pas été couronnés de succès. Puis, c’est en donnant la confiance aux autres comme PDG de Devicom que j’ai alors développé ma propre confiance. »

Aujourd’hui, elle explique à ses 55 employé.e.s l’importance de se transformer soi-même. L’innovation, selon elle, c’est d’être capable de sortir de sa zone de confort en cessant de vouloir tout contrôler et de toujours accomplir les mêmes choses. « Pour moi, l’innovation, c’est d’emmener les autres à travailler ensemble », confie-t-elle en citant le développement d’un projet de recherche en cybersécurité ou encore du futur Lab en innovation. 

Au fil des ans, son entreprise a développé différents styles de gestion dont le modèle Hiérarchique, Lean management, Holocratie et l’Harmocratie. « Chez nous, le plus important, c’est l’humain. On expérimente le leadership collaboratif incitant les gens à prendre des initiatives et des décisions qui mènent l’entreprise à un niveau incroyable », dit-elle d’un ton enthousiaste. 

Au moment de mettre fin à l’entrevue, on lui demande si elle est fière de son parcours. « Je ne regrette rien, dit-elle, je me suis pardonnée toutes mes erreurs. Au fait, ce ne sont pas des erreurs, mais plutôt des expérimentations », rectifie-t-elle du même souffle. 

Évoquant les deux dernières années, France Lavoie compare la pandémie à une opportunité. « Comme plusieurs, nous avons eu un chiffre d’affaires moins élevé, mais le gouvernement nous a aidés. Avec la pandémie, nous avons eu du temps pour faire grandir notre entreprise et se réinventer. Ce fut un beau cadeau.» 


Son credo : CRÉER 

En temps de pandémie, France Lavoie et son équipe ont inventé la formule CRÉER, un leitmotiv comparable à une ancre afin de garder le cap sur l’avenir et la réalisation des projets. 

C pour Courage - Le courage en entreprise pour dire les points positifs, mais encore plus pour les points négatifs. 

R pour Rigueur - La rigueur pour suivre le plan d’action mis en place. 

É pour Équilibre - Pour réussir, il faut tendre vers l’équilibre dont un bon sommeil, de l’exercice, saine alimentation. 

E pour Exécution - Souvent, on parle, mais rien n’avance. L’exécution est le point d’ancrage pour atteindre son but. 

R pour Résilience - Il faut la résilience pour surmonter toutes les difficultés.


Une femme dans l’industrie de la construction 

Caroline Marceau, présidente d'Elenco - Trois-Rivières, Centre du Québec. 

Parfois, l’adversité devient un puissant moteur pour changer de vie et réaliser un rêve. C’est le cas de Caroline Marceau qui a créé la plateforme Elenco qui automatise le processus d’appel d’offres dans le milieu de la construction. Explications.

En 2015, Caroline doit quitter la ville de Québec et son emploi pour se rapprocher de sa famille. Bénéficiant d’une bonne expérience comme estimatrice en construction, elle est confiante de se trouver un boulot rapidement. 

Malheureusement, la Mauricie fait partie des régions qui vivent alors un ralentissement au niveau des mises en chantiers. Sans possibilité de travail, elle décide de surmonter cette période d’insécurité pour tirer avantage de cette situation inattendue. 

Répondre à un besoin

L’idée lui vient de se lancer en affaires et de créer un outil pour être davantage performante comme estimatrice en construction. « Je voulais simplement devenir plus efficace et décrocher plus de contrats », confie-t-elle, en souriant. 

Citant en exemple la construction d’une bâtisse commerciale, Caroline explique que ce projet peut demander jusqu’à 300 demandes de prix pour un.e ou un.e entrepreneur.e. « C’est long et compliqué d’envoyer tous ces renseignements par courriel. Cela prend facilement une dizaine d’heures », évalue-t-elle. 

En créant en 2017 la plateforme Elenco, cela permet à l’entrepreneur.e de réduire ce fardeau à environ une heure. D’un seul clic, il pourra contacter les bonnes personnes. Le logiciel permet d’automatiser tout le processus de communication et l’envoi de documents.

Un apport précieux 

Elle a pu concrétiser son rêve grâce à des programmes comme le Fonds Mauricie, I'IDETR et ainsi que Femmessor devenu Evol qui l'ont soutenue financièrement dans son projet. 

« Lorsqu'on lance une entreprise, dit-elle, il y a une panoplie d'obstacles. La force d'un entrepreneur est justement sa capacité à trouver les solutions et surmonter tous les défis qui se présentent. » 

Au fil des ans, la persévérance, la résilience, le développement de son expertise et la capacité de bien s'entourer ont été ses fidèles et précieux alliés. 

Plus de 6000 femmes 

Alors que l'on comptait un peu plus de 2 000 femmes sur les chantiers de construction en 2010, c'est aujourd'hui tout plus de 6 000 femmes qui œuvrent dans l'industrie de la construction, selon les données de la Commission de la construction du Québec (CCQ).

Entre 12 et 15 % du personnel des entreprises de construction au Québec serait des femmes.

Dure réalité  

Caroline se souvient de ses débuts comme estimatrice en construction. Elle admet avoir vécu la difficile réalité d’être une femme dans un milieu d’hommes. « Même si j’obtenais les meilleurs résultats, j’étais moins bien payée que mes collègues masculins », se rappelle-t-elle en précisant que son salaire a été revu à la hausse en raison de l’intervention de la Commission des normes du travail, de l’équité, de la santé et sécurité au travail aujourd’hui devenue la CNESST. 

Moins de cinq ans après le lancement d’Elenco, Caroline Marceau savoure un sentiment d’accomplissement. En février, note-t-elle, Elenco a généré quelques 450 000 courriels de demandes de prix. 

«Ce qui me rend fière, précise Caroline, c’est le fait d’avoir dépassé le stade d’une Start up. On fait maintenant partie du quotidien des entreprises de construction.»

Son succès l’incite à voir plus loin. D’ici les 3 prochaines années, elle songe à exporter sa plateforme à l’extérieur des frontières. « J’ai envie de dire aux filles qui veulent se lancer en TI de se faire confiance et de prendre leur place sur le marché », conclut-elle d’un ton enthousiaste.