Prise de parole : la nécessité de valoriser le travail par la communication orale

La prise de parole en public est un exercice redouté par de nombreuses personnes, tous profils confondus. Pourtant, elle peut devenir un levier puissant pour affirmer un leadership, mobiliser une équipe et valoriser des actions.
Communiquer à l’oral : une compétence qui s’apprend
« Parler, c’est une pensée qui s’élabore dans le moment présent. Contrairement à l’écrit, on ne peut pas revenir en arrière. Cela exige un important travail de préparation », souligne Olivier Turbide, professeur de communication et de rhétorique à l’UQAM.
La prise de parole n’est pas un don réservé à quelques élu.e.s. Elle s’apprend, se pratique, se renforce. « C’est un muscle à entraîner », insiste Nicolas Sève, professeur à l’UQAM et formateur à C3PH. Son binôme Dominic Migneault le confirme : « même les plus grands orateur.ice.s, comme Barack Obama, s’entraînent sans relâche. Ce n’est pas parce qu’on est à l’aise devant une caméra qu’on l’a toujours été. »
Un.e employé.e peu à l’aise en réunion décide de suivre une formation immersive en réalité virtuelle. À force de pratique, il.elle développe des réflexes, apprivoise son trac et parvient à proposer une idée lors d’un échange stratégique.
Olivier Turbide insiste sur cette progression. « Parler, c’est s’exposer. Et s’exposer, c’est risqué. Mais c’est aussi ce qui permet de connecter avec l’auditoire. »
Nicolas Sève évoque le parcours de Robert Dutton, ex-PDG de Rona. Ancien grand timide, il a su transformer sa difficulté à s’exprimer en une force. « Enfant, il était tellement timide qu’il connaissait les chaussures de tout le monde, mais pas leurs visages ! Aujourd’hui, c’est un orateur accompli. »
La peur de prendre la parole : un frein à l’évolution professionnelle
Pour certaines personnes, le trac se manifeste par une simple nervosité. Pour d’autres, il prend la forme d’une phobie bien ancrée, appelée glossophobie, qui nuit à la capacité de s’exprimer efficacement en public.
La glossophobie : une crainte méconnue, mais répandue
Une enquête menée par Research Co en 2022 révèle que 52 % des Canadien.ne.s se sentent mal à l'aise à l'idée de prononcer un discours en public.
Définition
La glossophobie est un trouble psychologique caractérisé par une anxiété intense et irrationnelle liée à la prise de parole en public. Cette appréhension peut se manifester à divers degrés, allant d'une simple nervosité à une terreur paralysante.
Le gouvernement du Québec classe cette peur parmi les manifestations de l’anxiété sociale, liée à certaines situations de performance comme cela est souvent le cas au travail. De plus, la glossophobie, est l'une des angoisses sociales les plus répandues.
Les répercussions d’une absence de prise de parole
Rester silencieux ou silencieuse en contexte professionnel influence directement la manière dont une personne est perçue, quel que soit son rôle. « Quand on n’ose pas parler, on laisse l’espace à d’autres de raconter notre histoire à notre place », souligne Nicolas Sève.
Ce silence peut être interprété comme un manque d’engagement voire même de compétence, alors qu’il traduit bien souvent une peur de mal faire ou de perdre le fil.
« Ne pas parler, surtout au travail, c’est donner l’impression qu’on n’a rien à dire », affirme Olivier Turbide.
Cette retenue a un coût. Par exemple, un.e chargé.e de projet peut éviter de présenter son travail devant la direction, laissant à d’autres le soin d’en parler. Le projet risque de perdre en lisibilité, et les efforts de l’équipe en visibilité.
Même constat chez un.e gestionnaire qui reste en retrait : son implication peut passer inaperçue. Son intervention au sein d’un conflit ou encore sa gestion des imprévus risquent de rester invisibles faute d’avoir été racontées.
Pour Dominic Migneault, ce choix du silence s’apparente à un mécanisme de protection. Autrement dit, éviter de prendre la parole peut éviter l’erreur… Mais empêche aussi toute reconnaissance, toute influence, toute valorisation du travail !
Pourquoi la prise de parole est-elle si importante ?
Dans des environnements où les décisions se prennent vite et où la visibilité compte, s’exprimer avec clarté est une aptitude incontournable, notamment pour les membres du personnel qui assument des responsabilités, incluant les chef.fe.s d’équipe.
En réunion stratégique, raconter une difficulté surmontée ou une réussite collective permet de donner du relief à un projet. Ce type de récit renforce le lien avec le reste du personnel.
Pour Nicolas Sève, l’impact d’une prise de parole ne réside pas seulement dans les mots, mais dans la capacité à mobiliser son auditoire et à faire passer une émotion.
« Parler, ce n’est pas juste transmettre une information. C’est toucher, c’est mobiliser, c’est inciter à l’action. »
- Nicolas Sève
Créer un impact par le récit : la puissance des histoires
Même structuré avec soin, un message peine à convaincre s’il ne crée pas de lien. Pour Dominic Migneault, c’est la mise en récit qui déclenche cette connexion : « Les chiffres, ça ne parle pas. Ce qui parle, c’est l’histoire que l’on construit autour. »
Un discours sans incarnation laisse souvent l’auditoire indifférent. À l’inverse, évoquer un défi surmonté ou nommer les personnes impliquées donne vie à un projet et facilite l’adhésion.
Un message, c’est aussi un ton, un rythme, une façon de raconter. Cette part humaine, selon les experts, fait toute la différence entre un discours entendu et un discours retenu.
Les stratégies pour une prise de parole percutante
Selon des données du cégep de Sherbrooke, 62 % des gestionnaires québécois.e.s estiment que la capacité d’adaptation à son auditoire est un facteur clé de réussite en communication.
Une prise de parole efficace repose sur l'écoute active, l’anticipation et l’ajustement constant au contexte.
De plus, même dans les contextes les plus formels, Olivier Turbide rappelle qu’un discours reste un dialogue implicite.
« Un public n’est jamais acquis d’avance. L’attention est fragile, surtout aujourd’hui où tout le monde est habitué à zapper d’un contenu à l’autre »
- Dominic Migneault
Nicolas Sève, quant à lui, insiste sur la nécessité de relancer l’attention en continu. « Si l’on veut que les gens écoutent, il faut les relancer régulièrement. Ça peut être par une question, un geste, une variation de rythme. »
Des formations disponibles
- C3pH : Démystifier la prise de parole en public, pour dépasser la peur de s’exprimer et développer une présence orale mobilisatrice, en misant sur l’authenticité et la mise en récit.
- Technologia Communication : l’art de prendre la parole en public, pour structurer son message, apprivoiser le trac et capter l’attention dans toute situation professionnelle.
- HEC Montréal : Communiquer avec impact, afin de maîtriser les techniques d’expression orale qui permettent d’être clair.e, convaincant.e et inspirant.e.
- CFCQ : Prise de parole en public, pour apprendre à parler devant un groupe avec aisance, gérer son stress et adapter son discours à l’auditoire.
La prise de parole suppose aussi d’anticiper les attentes et les résistances du public, et d’adapter son registre selon la composition de l’auditoire.
Parler devant son propre département, où les codes et les enjeux sont partagés, n’exige pas les mêmes ajustements que de s’adresser à l’ensemble du personnel ou à la direction.
« On ne parle pas de la même façon à un public homogène qu’à un auditoire mélangé », précise Olivier Turbide.
Enfin, beaucoup de gestionnaires sont des professionnel.le.s de l’écrit. Ils.elles abordent la prise de parole comme un exercice de lecture, alors que c’est un tout autre mode de communication, soutient le spécialiste. « Il y a toujours deux partitions : celle du texte, qu’on maîtrise, et celle qu’on construit en direct. Les deux doivent être en harmonie. »
Structurer son message : mode d’emploi
1. Une bonne préparation : la clé de la confiance
Pour Guylaine Beaudoin, spécialiste en communication, préparer sa prise de parole permet de gagner en assurance. « Le truc infaillible qui se prête à toutes les situations lors de la prise de parole en public ? Se préparer », déclare-t-elle dans un article à Grenier.
L’experte met toutefois en garde contre l’excès de préparation. « On devient alors un robot qui récite un texte appris par cœur. » Trop de rigidité, et l’authenticité s’efface.
Et l’authenticité ne se trouve pas dans la fidélité au texte, mais dans l’ajustement à la situation. « Ce qui crée l’authenticité, c’est cette capacité à livrer un discours comme s’il se construisait en direct, souffle après souffle », ajoute Mr Turbide.
2. Miser sur l’ouverture et la clôture
« Une bonne ouverture met en confiance, une bonne clôture laisse une impression forte », rappelle Dominic Migneault.
Une formule bien choisie suffit parfois à briser la glace. Par exemple, un.e gestionnaire commence son intervention par une question inattendue, teintée d’humour : « Vous aussi, vous êtes à l’aise avec un micro ? » Ce simple décalage crée une rupture, capte l’attention et pose un ton plus incarné.
3. Le storytelling ou l’art de capter l’attention
« Les anecdotes permettent de capter l’attention et d’humaniser le message », souligne Nicolas Sève.
Trac et imprévus : comment garder le cap ?
Le trac ne disparaît pas, il s'apprivoise. « C’est une forme d’énergie. Si on apprend à le canaliser, il peut devenir un atout », observe Nicolas Sève. Dominic Migneault recommande de revenir au corps. « Quand le trac est trop fort, il faut ramener son attention à des choses concrètes : sa respiration, son ancrage au sol. »
Et lorsqu’un imprévu survient (panne technique, réaction inattendue) les deux experts s’accordent : il est possible de rebondir en s’appuyant sur une anecdote, une reformulation, une touche d’humour ou une interaction spontanée.
La prise de parole comme outil de leadership
La prise de parole dépasse le simple exercice de style. Elle devient un outil de positionnement pour incarner un rôle de leader, clarifier une vision et mobiliser autour d’un objectif.
« Vouloir être parfait.e, c’est souvent ce qui bloque le plus, croit Dominic Migneault. Les meilleures prises de parole sont celles où on accepte de montrer un peu de vulnérabilité. »
C’est justement cette part humaine, cette marge assumée d’imperfection, qui rend une intervention marquante.
« Le bon orateur, ce n’est pas celui qui parle bien. C’est celui qui écoute pendant qu’il parle », conclut Olivier Turbide.