Gestion des conflits au travail : quand et comment intervenir ?

Gérer un conflit entre employé.e.s n’est pas toujours évident pour l’employeur. Ces situations engendrent généralement leur lot d’échanges peu cordiaux, de tensions et un manque de collaboration peu favorable à l’avancement des projets. Quelles actions devraient être priorisées pour y faire face ?
Ne pas ignorer le problème et intervenir rapidement
Comment éviter qu’une situation conflictuelle entre deux employé.e.s empire ? Marie-Michèle Dugas, médiatrice agréée et fondatrice de Fika RH est d’avis que l’erreur la plus fréquente avec les conflits, c’est de ne pas intervenir à temps.
« Les conflits majeurs sont habituellement ceux qui ont escaladé parce qu’ils n’ont pas été adressés rapidement. Plus le temps passe, plus les difficultés se cristallisent et il devient davantage difficile de les résoudre. »
Trop souvent, ne sachant pas comment intervenir, les gestionnaires et la direction évitent la situation en minimisant les impacts de celle-ci ou en croyant qu’il ne s’agit que d’enfantillages et que le temps arrangera les choses.
La fondatrice de Fika RH évoque une PME où son équipe est intervenue. Depuis plusieurs mois, le climat de travail était devenu toxique, des plaintes pour harcèlement avaient été déposées et certaines personnes avaient même démissionné.e.s de leur poste.
« Si nous avions eu la chance d’intervenir plus vite en faisant une seule médiation entre les protagonistes au départ, en travaillant la communication et en amenant l’employeur à jouer un rôle plus actif, les dommages auraient été moindres », soulève-t-elle.
À écouter
Sonder le climat de travail régulièrement
Jean Poitras, professeur titulaire au département de gestion des ressources humaines à HEC Montréal, psychologue et expert en gestion de conflits, mentionne que la gestion de conflits demande du temps et un.e gestionnaire n’en a pas toujours beaucoup.
« Le.la gestionnaire n’agit pas tout de suite en souhaitant que les choses se règlent d’elles-mêmes et parce qu’il.elle ne sait pas toujours quoi faire. Puis, la situation s’aggrave et comme cette dernière est encore plus difficile à gérer, il.elle demeure dans l’inaction, sachant encore moins comment la résoudre », dit-il en mettant de l’avant la création d’un cycle d’évitement.
Le professeur indique qu’il est évidemment essentiel que les employé.e.s se sentent à l’aise d’aller voir leur gestionnaire lorsque survient une situation conflictuelle.
L’emploi d’une application comme Office Vibe peut être une excellente façon de sonder le climat de travail pour « avoir un indice précoce si une source de conflit se manifeste », relève-t-il.
« L’idée est d’avoir un mécanisme qui permet d’avoir le pouls de l’équipe. Si le climat se détériore, l’idéal est de faire de la prévention. Le.la gestionnaire peut alors consulter les gens afin de comprendre la source du problème. »
Des conflits interpersonnels... de nature structurelle
Marie-Michèle Dugas insiste sur le fait qu’un conflit est le symptôme de quelque chose qui ne fonctionne pas.
« Donc, avec tout conflit, les organisations devraient être en mesure d’améliorer un processus, de clarifier un rôle, de revoir les façons de faire ou de revoir comment on échange ensemble. »
Jean Poitras évoque qu’il peut y avoir des conflits répétitifs. « C’est-à-dire que la source du différend est toujours la même, mais que la situation se répète avec plusieurs employé.e.s. » En pareille situation, cela démontre pour lui la présence d’un problème structurel.
« Il est possible que les tâches ne soient pas claires, qu’il existe une injustice dans la manière de les attribuer, puis que le conflit soit un symptôme d'un problème organisationnel qui dépasse le cadre d’une équipe ou de quelques personnes. »
Le conflit comme opportunité d'amélioration pour l’entreprise et l’équipe
Selon l’expert, il est donc nécessaire, pour l’employeur, de faire « un ménage structurel et de revoir les processus qui génèrent autant d’accrochages avec une diversité de gens ».
Quand un différend survient, Marie-Michèle Dugas souligne aussi qu’il faut voir au-delà des personnes impliquées et se demander ce qui se passe au niveau de l’organisation.
« Plus les choses sont claires concernant la mission de l’organisation, ses valeurs et ses stratégies organisationnelles, plus les employé.e.s vont avoir de la facilité à prendre des initiatives qui vont aller dans la même direction que l’entreprise. »
- Marie-Michèle Dugas, médiatrice agréée et fondatrice de Fika RH
De surcroît, des règles de fonctionnement, un code de conduite ou d’éthique peuvent donner un cadre utile pour discuter des attentes mutuelles. « Un exercice important à faire », ajoute-t-elle.
Mme Dugas explique qu’il est aussi de la responsabilité de la direction de « normaliser le conflit ». « Cela peut être une opportunité de développement, de débattre d’un enjeu, de tenir une discussion en profondeur. »
La médiatrice agréée insiste sur le fait que le conflit est une partie inhérente de la phase de développement de l’équipe. « Il est impératif d’apprendre aux gens comment débattre et voir la différence entre un conflit destructeur et un conflit constructeur, ce dernier permettant de trouver une solution et de la critiquer, pour ensuite avancer et innover. »
Créer les conditions gagnantes pour une bonne communication
En amont de cette réflexion sur les conditions favorables à l’établissement d’une bonne communication interpersonnelle, l’experte en médiation relève qu’il faut être clair sur ce qui est attendu au sein de l’entreprise. « En tant qu’employeur, on doit se responsabiliser. Il faut établir ce qu’on veut entendre et ne pas entendre. »
« Les organisations doivent se demander : dans le cadre de notre culture, de nos façons de faire, c’est quoi une bonne communication chez nous ? »
- Marie-Michèle Dugas, médiatrice agréée et fondatrice de Fika RH
Plusieurs recherches tendent à démontrer que plus le réseau de communication entre les employé.e.s est diversifié, moins il y a de conflits, insiste de son côté Jean Poitras.
« Plus les salarié.e.s sont connecté.e.s les un.e.s aux autres, plus ils et elles vont avoir le réflexe d’aller vers les autres pour communiquer leur malaise lorsqu’un problème survient. »
De ce fait, il encourage les gestionnaires à créer des occasions pour les employé.e.s qui ne se connaissent pas ou qui ne s’apprécient pas particulièrement d’échanger lors d’activités ou d’un dîner par exemple.
« L’important n’est pas tant la manière de communiquer, mais plutôt d’être à l’aise de communiquer avec l’autre. Je miserais sur la création d’un réseau, sur le fait de créer des liens entre les gens pour qu’ils.elles soient à l’aise de se parler. »
- Jean Poitras, professeur titulaire au département de gestion des ressources humaines à HEC Montréal, psychologue et expert en gestion de conflits
À son avis, il ne faut donc pas mettre l’emphase sur « la création d’un environnement de travail où il n’y a pas de conflits, mais plutôt sur un cadre où c’est facile de les régler ».
Marie-Michèle Dugas réitère que les gestionnaires doivent « favoriser le dialogue, encourager les employé.e.s à aborder le conflit et à tenir des discussions difficiles en montrant l’exemple ».
Une approche en médiation pour trouver des solutions
Lorsqu’un conflit devient ouvert, que des gens se sentent blessés et commencent à chercher des allié.e.s, Jean Poitras est d’avis que la médiation informelle peut s’avérer utile.
Le.la gestionnaire rencontre les personnes individuellement afin de comprendre leurs perspectives et leurs besoins et tente de favoriser un dialogue qui serait impossible autrement.
L’expert en gestion de conflits précise qu’un.e gestionnaire se sentant moins outillé.e pour effectuer cette démarche auprès des salarié.e.s pourrait recourir à l’aide des ressources humaines ou d’un.e conseiller.ère syndical.e afin de faire une co-médiation.
« Ainsi, le ou la gestionnaire peut s’impliquer auprès de ses employé.e.s, participer à la solution et gagner beaucoup en crédibilité auprès de la main-d'œuvre », soutient-il.
« Dans le cas où le conflit est devenu chronique, c’est-à-dire qu’il est rendu dans tout le département et que l’équipe de travail a modifié ses comportements pour l’accommoder, la situation peut devenir plus compliquée à gérer pour le.la gestionnaire », soutient-il.
Dans ce cas, Jean Poitras est d’avis que le recours à une aide extérieure ou aux ressources humaines est nécessaire.
Intervenir ou pas lors d’un conflit ?
S’il est parfois nécessaire d’intervenir dans un conflit entre deux salarié.e.s, l’expert souligne qu’il est impossible de gérer la totalité des différends qui peuvent survenir.
Voilà pourquoi il suggère « d’impliquer les salarié.e.s dans le processus de résolution du conflit afin qu’ils et elles puissent gérer la situation la prochaine fois ».
Selon Marie-Michèle Dugas, un investissement moins marqué de l’employeur dans la gestion du conflit est possible lorsque « l’équipe est avancée dans son développement, que les gens sont outillés et sensibilisés sur l’importance de gérer des conflits ou que l’équipe est autonome ».
Cependant, si les personnes concernées sont moins habituées de gérer des conflits, semblent fatiguées ou qu’une de celles-ci est nouvelle dans l’équipe et connaît moins la culture de l’entreprise, une intervention de l’employeur est souhaitable, selon elle.
La clé d’une gestion de conflit efficace ? La responsabilisation des employé.e.s dans la quête d’une solution. « L’idéal, c’est d’encourager les gens à se responsabiliser. De cette façon, ils peuvent résoudre la situation par eux-mêmes. Toutefois, si la situation dégénère, l’employeur doit intervenir. »
« L’employeur a des obligations légales en matière de climat de travail et de prévention du harcèlement. Donc, s’il y a un conflit, il doit s’assurer que les gens soient outillés pour pouvoir l’adresser adéquatement afin que la situation n’escalade pas vers la violence. »
- Marie-Michèle Dugas, médiatrice agréée et fondatrice de Fika RH
Pour aller plus loin
Quand le conflit mène au harcèlement en milieu de travail
« Lorsqu’on remarque que l’objet du conflit n’est plus une tâche, un irritant lié à l’horaire ou des rôles dont les responsabilités s’entrecoupent, mais plutôt sur l’autre, ses aptitudes, ses connaissances, son origine ou ses valeurs, le conflit peut donner lieu à du harcèlement », met en garde Mme Dugas.
Elle souligne le caractère insidieux du harcèlement, lequel peut commencer par « de légers manques de respect, un regard fuyant ou une marque de politesse qui n’est pas là ». « En l’absence d’intervention, le conflit passera au prochain niveau et escaladera », précise-t-elle.
Jean Poitras indique également que cette dynamique va débuter de façon graduelle, « le harcèlement débutant par de l’incivilité, du refus de communication. Il s’agit de harcèlement passif ».
À lire aussi
Voir au-delà du conflit pour s’améliorer
À défaut de pouvoir l’éviter, le conflit entre employé.e.s peut être encadré de façon à être porteur de développement pour la culture d’entreprise et améliorer les habiletés en communication au sein de l’équipe.
S’il n’est pas toujours nécessaire pour un.e gestionnaire d’intervenir, plusieurs circonstances devraient l’inciter à prendre action afin d’éviter une dégradation de l’environnement de travail. Faire du conflit une source de débat constructif est une chose possible et souhaitable !