Employés et climat toxique en entreprise : ce qu’il faut savoir
Au quotidien, les relations au sein des membres d’une équipe ressemblent parfois à l’eau miroitante d’un lac, un soir d’été. Derrière cette apparence de tranquillité, se cache parfois des non-dits, des chicanes ou conflits qui risquent d’envenimer considérablement l’ambiance.
Choisissant tacitement l’arme du silence, des employé.e.s acceptent de travailler dans un climat de travail qui rime souvent avec la peur, la méfiance et la tension. Parmi ceux qui déposent une plainte à la CNESST, l’enquêtrice et médiatrice Marie-Josée Douville, CRHA, note qu’un bon nombre d’entre eux n’a jamais témoigné de leur situation à leur organisation.
Contexte de pénurie de main-d’œuvre
En cette période de rareté de main-d’œuvre, le conseiller d’orientation, conférencier et auteur Mathieu Guénette observe une augmentation des problématiques de santé mentale. « Sur le marché du travail, en raison de la récente pandémie, il y a un nombre accru de personnalités difficiles, voire des gens avec des troubles de personnalité. Plusieurs vivent une détresse psychologique. »
La raison, selon lui, est imputable à cette fameuse pénurie de travailleurs.ses. « Les employeurs sont plus tolérants, dit-il, car on diminue les critères d’embauche.»
Un constat corroboré par l’enquêtrice et médiatrice, Marie-Josée Douville, CRHA. Il y a une effervescence au niveau des plaintes de dénonciation, selon elle. « On a la gâchette facile dans un contexte de post-pandémie car les relations interpersonnelles restent fragiles et la consolidation du lien de confiance avec le nouveau milieu de travail peut être encore incertain pour certains d'entre eux.»
Saviez-vous que ?
Hausse de 36 % des lésions liées à la violence en milieu de travail
Un récent rapport de la CNESST publié sur la violence, le stress et le harcèlement indique une hausse de 35,9 % (soit 3605 lésions) liées à la violence en milieu de travail et une augmentation de 8,2 %, soit 883 lésions en 2021 concernant la violence psychique.
Des repères pour identifier une personne toxique
En entreprise, les gestionnaires doivent collaborer avec différentes personnalités et caractères. Comment peut-on repérer une personne toxique ? « C’est quelqu’un qui présente une difficulté de fonctionnement. Par exemple, la personne a une lecture faussée de la réalité. On l’entendra souvent dire : tout le monde m’en veut », explique Mathieu Guénette.
De son côté, Mélina Roy, CRHA, associée chez Lévesque Roy Conseil Inc. et consultante en ressources humaines, renchérit : « Cette personne possède des traits de caractère et des comportements qui ne s’adaptent pas à la vie sociale. De plus, ces gens n’ont pas la capacité de réflexion pour comprendre que leur comportement est nocif », explique-t-elle en entrevue à Marianne Spears à MATV.
Voici d’autres signes, selon elle, pour reconnaître une personne toxique :
- La personne a de la difficulté à contenir ses émotions
- Elle a le sentiment et la conviction d’avoir toujours raison
- Elle rejette souvent la faute sur les autres, soit le conjoint, collègue ou gestionnaire
Chose certaine, une personne toxique, qu’elle soit au 1er échelon ou au sommet de l’entreprise, fait vivre l’enfer aux autres, par son comportement, ses allusions ou remarques dénigrantes.
Les signes d’un comportement toxique
Voici comment reconnaitre un comportement toxique, selon Mélina Roy, auteure du blogue mon amie rh.com
- Tendance à propager de fausses rumeurs ou des propos dénigrants à l’égard de collègues ou gestionnaires
- Propension à humilier, manipuler ou rabaisser les autres
- Prédisposition à utiliser le mensonge pour arriver à ses fins et parfois, même crier après les employé.e.s ou collègues
Des coûts énormes liés à un milieu toxique
Mme Roy évoque les conséquences financières liées à un milieu de travail toxique. Si la situation est évoquée dans les médias, l’entreprise doit gérer la crise par l’embauche d’une firme spécialisée en communications. « Cela entraine des coûts énormes si l’employeur n’agit pas pour régler une situation toxique », dit Mélina Roy.
Outre la gestion de l’image de l’entreprise, voici d’autres coûts possibles :
- Hausse des démissions
- Absence maladie : dépression, épuisement professionnel
- Invalidité de courte et de longue durée
- Difficulté à attirer et à fidéliser la main d’œuvre
Kit de survie pour éloigner le climat toxique en entreprise
Malgré tout, plusieurs employés.e.s., pour diverses raisons, privilégient de rester en poste. De l’aide existe pour ceux et celles qui doivent composer avec ces différentes personnalités. À ce propos, l’auteur et conférencier Mathieu Guénette a élaboré « un kit de survie » soit des outils qui s’adressent autant aux gestionnaires, qu’aux employé.e.s. en entreprise.
1. Comprendre ses propres émotions et celles de l’autre
En milieu de travail, il survient souvent des émotions qu'on éprouve envers quelqu’un. « La colère est une émotion qui a comme caractéristique de nous donner comme conviction que nous avons raison. Cela est comparable à une drogue qui sécrète quelque chose », illustre M. Guénette.
Il faut alors prendre une distance, un recul sur soi et prendre conscience de ses émotions qui riment avec souffrance. « Je tente de faire un exercice de discernement et si possible tu demandes de l’air afin de voir plus clair », ajoute-t-il.
Dans le livre « Le bonheur est dans le travail », l’auteur Thich Nhat Nahn va plus loin en disant: « Quand vous comprenez, vous n’êtes plus en colère. Vous n’avez plus envie de punir qui que ce soit. La compréhension est un grand pouvoir. Elle donne naissance à la compassion. »
2. Attention aux déclencheurs ou situations « gâchette »
Lors de réunions, il survient parfois des désaccords, des prises de bec. « Il faut faire attention aux déclencheurs ou situation gâchette. Par exemple, si on met au défi une personne dans une réunion, il se peut que cela la fasse sortir de ses gonds et la transforme en hulk », image Mathieu Guénette.
Autrement dit, on prend une grande respiration et on évite de peser sur le piton qui risque de déclencher la colère d’un.e collègue. L’auteur Thich Nhat Nahn suggère de lâcher prise sur nos émotions comme la colère, la peur, le désespoir.
3. Développer une relation transactionnelle
Au fil des mois dans l’entreprise, le gestionnaire apprend à reconnaitre que tel.le employé.e a un tempérament méfiant, voire paranoïaque. « J’évite de taquiner cette personne parce qu’elle ne comprendra pas nécessairement mon humour. Je reviens à notre entente : qu’est-ce que je dois livrer aujourd’hui ? », dit Mathieu Guénette.
Un employé difficile va à l’encontre des attentes
L’enquêtrice et médiatrice Marie-Josée Douville a co-écrit le livre Comment gérer un employé difficile? qui en est à sa 2e réédition.
Un employé difficile est celui pour lequel on a des attentes signifiées en matière de rendement ou encore, il est lié à l’adoption d’un savoir-être qui va à l’encontre des comportements promotionnés. « Son gestionnaire va alors mettre en place un plan de redressement qui fait état des attentes émises, lequel doit s’accompagner d’un plan d’encadrement et de suivi », nous explique-t-elle.
« L’employé.e difficile va à l’encontre des règles. Souvent par plaisir ou pour le bénéfice que cela va lui procurer. Pourtant, les exigences sont les mêmes pour tous et toutes. Cette personne saisit l’opportunité de les défier dans la finalité d’affirmer son pouvoir. » -Marie-Josée Douville
De là, l’importance selon Mathieu Guénette, de déterminer les rôles et responsabilités de chacun.e. « J’entends souvent les commentaires : je travaille avec lui, il faut que tu l’acceptes, il est comme ça.»
Attention à définir les troubles de personnalités
En entreprise, Mathieu Guénette entend souvent des réflexions similaires à celle-ci : « Je soupçonne tel.le employé.e d’avoir un trouble de personnalité. Pourrais-tu intervenir avec cette personne? »
« Il faut éviter de taxer quelqu’un comme étant une personnalité difficile, de narcissique ou encore avec un trouble de personnalité. Cela prend des critères et cela doit être diagnostiqué par un.e professionnel.le de la santé. » - Mathieu Guénette
La meilleure façon d’intervenir, ajoute-t-il, c’est de faire preuve d’empathie car souvent la personne n’est même pas consciente de son problème.
3 moyens pour prévenir le climat toxique
Les dirigeant.e.s d’entreprise préviennent de plus en plus un climat toxique.
1. Prioriser les bons comportements
L’employeur priorise des comportements clés à adopter qui tiennent comptent des valeurs de l’entreprise. On documente ces pratiques dans le manuel de l’employé, le guide du gestionnaire, code de civilité, code d’éthique, mais assurément par la mise en place d’une politique prévenant le harcèlement et la violence en milieu du travail qui est une obligation pour tous les employeurs et ce, depuis janvier 2019.
2. Former le personnel et gestionnaires
Tout employeur est encouragé à informer, former et responsabiliser son personnel aux comportements attendus. Dans ce contexte, les employé.e.s et gestionnaires apprennent à reconnaître les comportements toxiques lors de diverses formations ou de sessions d’information sur des sujets comme la communication non violente, la civilité, la prévention de la gestion des conflits, leadership d’influence.
3. Informer son personnel sur les ressources
Le personnel compte sur des ressources disponibles dont le PAE (Programme d’aide aux employé.e.s) pouvant soutenir ceux et celles qui côtoient une personnalité toxique.
Agir rapidement pour sauver les meubles
Les spécialistes interrogé.e.s sont unanimes à parler de l’importance d’agir rapidement advenant un comportement ou situation inadéquate.
Car, un mauvais climat de travail risque de s’enflammer comme un feu de paille. « Malheureusement, nous avons beaucoup d’organisations qui tombent dans l’évitement et la banalisation pour excuser un.e employ.é.e », dit l’enquêtrice et médiatrice, Marie-Josée Douville, CRHA.
«Le principal motif lorsqu’on quitte une organisation, c’est souvent le climat de travail », ajoute-t-elle.
De son côté, la consultante en ressources humaines Mélina Roy, observe que des gens de talents et de bons joueurs dans une équipe vont quitter l’entreprise ou tomber en invalidité. « C’est malheureusement une des conséquences si l’employeur n’agit pas et cela engendre des coûts énormes en recrutement pour l’organisation. »
Que faire si mon meilleur employé est toxique?
Un dirigeant d’une entreprise de Granby comptait parmi son personnel un excellent employé. Sa performance surpassait tous les autres collègues. Cependant, au quotidien, la personne était reconnue pour tenir des propos racistes mettant mal à l’aise l’ensemble du personnel. Les spécialistes interrogés ont évoqué la même solution : les dirigeant.e.s et employeurs doivent faire preuve de rigueur et fermeté, soit de courage managérial.
Ne rien dire c’est endosser la situation
Le conseiller d’orientation Mathieu Guénette compare la situation de l’employé aux propos racistes à la présence d’un chien agressif qui mord l’enfant du voisin.
« Si comme patron, j’entends une remarque désobligeante et que je n’interviens pas, cela veut dire que je l’endosse. »-Mathieu Guénette
Le consultant spécialisé en développement organisationnel, en gestion des relations du travail et des ressources humaines Jacques Malenfant observe que plusieurs dirigeant.e.s préfèrent fermer les yeux. « C’est plus facile de tourner la tête que de dire : un instant, telle chose ne fonctionne et on va procéder autrement. »
Face à la vindicte des employé.e.s ou du syndicat, M. Malenfant croit que le ou la gestionnaire doit se retrousser les manches. « Ce n’est pas vrai que je vais tolérer l’intolérable, dira-t-il courageusement à ses troupes.»
Le courage managérial c’est quoi ?
Les dirigeant.es évitent de se laisser intimider par la popularité de la personne qui sème le trouble. « En poste d’autorité, le gestionnaire doit agir pour le bien de l’entreprise, sinon, il perd sa crédibilité et son leadership aux yeux de son équipe et il finira par perdre son emploi », prédit M. Malenfant.
Le courage managérial, selon Jacques Malenfant c’est :
1. Communiquer ses attentes par une rétroaction authentique. Cela signifie de dire et nommer les choses même si ce n’est pas positif;
2. Encourager et reconnaître les bons comportements, en faisant des gestes pour motiver et en formulant des conseils judicieux;
3. Décourager les comportements inappropriés tout en sachant demeurer humain et en faisant preuve de jugement;
4. Imposer des sanctions sans être démesurées, en fonction de la gravité des situations;
En comparaison, le droit de gestion, selon Me Jean Bernier, avocat à la retraite c'est:
- La définition et l’attribution des tâches
- L’évaluation du rendement au travail
- La gestion de l’assiduité et l’absentéisme
- Cela comprend l’application de sanction disciplinaire, verbale ou écrite jusqu’au le licenciement, les mises à pied et le congédiement
Plus que jamais, les employeurs, gestionnaires et employé.e.s. doivent s’unir pour éviter les comportements ou paroles toxiques qui enveniment le climat. De là, l’importance de prendre tous les outils pour aider le personnel à travailler ensemble en harmonie.