Paroles d’experte : « Un leader n’est pas toujours un bon boss »

Depuis plusieurs années, la présidente et co-fondatrice de l’entreprise BonBoss Jenny Ouellette, Adm. A., s’intéresse au leadership et à sa portée.
Cette notion signifie qu’une personne exerce une influence tout en créant une relation de confiance avec son équipe. Dans le monde du hockey, les fans observent ce talent chez Martin St-Louis, le coach des Canadiens de Montréal.
Au Québec, de nombreux gestionnaires et dirigeant.e.s d’organisations privées et publiques apprennent les rudiments du leadership grâce aux conseils et aux outils de Jenny Ouellette.
Mais alors, comment développer un leadership sain et synonyme de prospérité en tant qu’employeur ? Quelles sont les qualités d’un.e bon.ne leader ? Comment surmonter une crise de leadership dans nos organisations ? Voici le point de vue de l’experte.
Une vision claire pour bâtir un leadership fort au sein des équipes
PRH : Quelles sont vos réflexions sur le leadership ?
Jenny Ouellette : J’entends souvent les gens dire : « un bon boss, c’est quelqu’un qui a du leadership ». Toutefois, un leader n’est pas toujours un bon boss. Prenons l’exemple de Steve Jobs, le fondateur d’Apple, un excellent leader qui n’avait pas la réputation d’être un patron.
Ma rencontre avec Henry Mintzberg, professeur à l’Université McGill et auteur de livres sur le management, a été déterminante. Il m’a dit : « il faut voir le leadership et la gestion comme les deux côtés d’une même pièce ».
Dans les organisations, selon moi, on devrait considérer le leadership et la gestion comme les deux piliers forts qui font progresser le.la dirigeant.e, son équipe et son entreprise.
Enfin, j’observe une crise du leadership et de la gestion dans les organisations. Plusieurs jeunes ne veulent pas devenir gestionnaires et ceux et celles d’expérience songent à quitter la profession.
PRH : Quelles sont les causes de cette crise du leadership et de gestion ?
J.O. : Plusieurs facteurs expliquent cette crise. L’économie et le marché du travail se sont complexifiés. Les changements s’opèrent à un rythme soutenu dans les organisations. Être gestionnaire maintenant, c’est gérer un peu à l’aveuglette sans avoir de certitude quant à l’avenir.
Habituellement, les gestionnaires ont une vision claire. Si un facteur hors de leur contrôle survient, ils réfléchissent et prennent une autre direction.
Aujourd’hui, nous sommes constamment plongé.e.s dans une gestion de changement. Si les gens n’ont pas d’expérience en gestion et qu’ils sont face à l’inconnu, il devient très difficile de prendre une décision éclairée.
Le deuxième facteur est le contexte actuel qui bouleverse les modèles de gestion. Avant, on gérait l’humain comme une ressource. On découpait des tâches et on fixait des objectifs en délaissant l’aspect humain. Aujourd’hui, nous évoluons dans une économie du savoir. Il faut participer au mieux-être des gens et à la performance tout en offrant un sens au travail et à la performance tout en offrant un sens au travail.
Les emplois exigent de plus en plus de concentration et de créativité. Un style de gestion directif où l’on définit les tâches une à une n’est guère propice à la créativité et à l’innovation.
Le leadership, ça ne s’improvise pas !
PRH : Justement, comment outillez-vous les gens à devenir de bons gestionnaires et patrons ?
J.O. : Je partage les outils et les bonnes pratiques de gestion inspirées de la science et des entreprises à succès. L’acquisition de connaissances aide la personne à prendre confiance en ses capacités et à développer son potentiel de leadership et son équipe.
« La formation ne suffit pas. Il faut aussi créer une bonne expérience gestionnaire dans l’organisation qui offrira un contexte propice à l’épanouissement des gestionnaires. »
En ce moment, je suis impressionnée par le succès qu’obtiennent certain.e.s gestionnaires. En modernisant leurs pratiques, ces personnes apprennent à fixer de bons objectifs, à responsabiliser et à utiliser par exemple les indicateurs de performance alignés aux enjeux stratégiques. Cette approche indique si le travail est bien fait ou non et si l’équipe progresse.
Cela évite le phénomène de microgestion qui relève d’un problème de confiance, peut-être inconscient, face aux compétences de la main-d'œuvre ou à ses méthodes de travail.
Cet enjeu s’explique notamment par le taux de roulement chez les entreprises qui ont des défis de recrutement et une intégration inadéquate des recrues.
PRH : Quelles erreurs sont-elles à éviter dans la formation des gestionnaires ?
J.O. : J’observe l’arrivée de bon.ne.s candidat.e.s avec un énorme potentiel. Malheureusement, plusieurs adoptent un leadership inadéquat en raison des pratiques internes déficientes ou de la lourde structure organisationnelle. Finalement, la personne subit des échecs et décide de quitter l’entreprise.
Une autre erreur consiste à présumer qu’un.e expert.e devient la personne la plus qualifiée pour occuper un poste de gestion. Laissée à elle-même, cette personne pourrait alors vivre une démotivation ou des échecs puisqu'elle doit apprendre un tout nouveau rôle. Avant de pourvoir ce poste, il est donc essentiel que l’organisation évalue les compétences spécifiques à ce rôle et identifie la personne adéquate.
Car si la personne est mal accompagnée, elle finira aussi par partir. La clé réside dans un processus de recrutement et de développement des compétences.
Faire preuve de courage managérial dans un contexte incertain
PRH : Selon vous, s'il fallait nommer un défi majeur, lequel serait-il ?
J.O. : Actuellement, les gestionnaires sont aux prises avec une surcharge de travail continuelle.
Je conseille de prendre un pas de recul et de mettre l’équipe à contribution. Car une mauvaise décision peut coûter cher.
Entretemps, il faut savoir bien organiser le travail, déléguer et créer un bon climat de travail, exempt de conflits récurrents qui minent la confiance et la productivité.
Quelques questions essentielles à se poser en tant que gestionnaire selon Jenny Ouellette
- Lorsque j’octroie une reconnaissance à mes troupes, est-ce que je participe à la performance de mon département ?
- Comment contribuer au succès de l’organisation tout en participant au mieux-être du personnel et du mien, en tant que chef.fe d’équipe ?
- Qu’est-ce que je dois tolérer dans mon équipe et au contraire, ce que je dois éviter de laisser passer ?
Lorsque ces réponses sont claires, il devient beaucoup plus facile de s’épanouir comme gestionnaire, estime la spécialiste.
PRH : Quelles sont les qualités d’un bon leader ?
J.O. : Trop souvent, les gestionnaires tentent de trouver l’unanimité, c’est-à-dire l’adhésion des employé.e.s. Il s’agit d’une erreur selon moi. Il faut d’abord chercher l’unité. Cette compétence s’appelle la capacité de mobiliser et de partager une vision et être humble.
« Je crois qu’il faut beaucoup courage managérial dans nos organisations. Cela veut dire de prendre parfois des décisions impopulaires. »
Je vois une corrélation entre la qualité d’un leader et l’humilité. Le.la leader ne doit pas s’approprier le mérite des autres. De plus, il faut reconnaitre l’expertise de certain.e.s. Si nous avons un. expert.e. dans l’équipe, nous devons être capables de l’écouter et de lui laisser de l’autonomie.
Je pense que les organisations doivent miser sur un style « rassembleur » qui motive, mais connait aussi les limites de ses équipes.
Parfois, en gestion de changement, la personne en position de leadership doit comprendre que son équipe puisse être fatiguée. Il faut alors posséder la sagesse de mettre un projet sur pause.
Un.e bon.ne leader est aussi capable d’entrer en relation avec les gens. Il partage sa vision en développant la meilleure équipe selon les forces de ses membres.
Le leader va ainsi créer des allié.e.s forts à ses côtés pour répondre aux différents changements et accomplir sa vision. Enfin, il ou elle consulte son équipe et prend des décisions qui sont connectées aux opérations, au bien-être de sa main-d'œuvre ou encore aux besoins des clients.
Enfin, s’assurer qu’ensemble, on accomplit plus et mieux. Peu importe les problèmes qui surviennent, l’entreprise évolue alors dans un leadership engageant. Une fois que les gestionnaires et employeurs entreprennent ce virage, les équipes vivront de grands succès.
PRH : Sur le terrain, rencontrez-vous des exemples de PDG qui ont un leadership exemplaire selon vous ?
J.O. : J’ai rencontré récemment Catherine Blais-Adam, directrice générale de la Ville de Rosemère. En collaboration avec Isabelle Rivest, la directrice des ressources humaines, elles ont eu le courage et la vision de faire évoluer leur organisation qui vit de nombreux changements.
Mme Blais-Adam a impliqué et fait confiance à son équipe de direction qui a mené de front plusieurs projets. Les équipes ont par la suite élaboré un mode de collaboration basé sur les valeurs organisationnelles.
Il s’agit, là, d’un bel exemple de leadership collaboratif où le groupe est mise à contribution.
PRH : Vous êtes en affaires depuis 6 ans, y a-t-il un constat percutant que vous désirez partager ?
J.O. : En ce moment, j’observe combien les interruptions minent la productivité dans les organisations. Or, chez BonBoss, j’ai réduit au minimum les interruptions.
Avec mon équipe, nous avons cessé la tenue de rencontres régulières le matin. Bien sûr, on peut déroger à la formule advenant une urgence ou une demande pressante d’un client. Entretemps, cela nous a permis d’avancer nos dossiers.
Aussi, j’ai pris la bonne habitude de ne plus attendre au jeudi pour réaliser les choses très importantes. De cette façon, j’ai réussi à maximiser la productivité de mon équipe et de la mienne. En fin de compte, j’intègre davantage de pauses dans mon horaire. Cela permet de diminuer ce brouillard intellectuel qui peut survenir durant une surcharge de travail.
PRH : En terminant, quels sont les facteurs de réussite d’un bon leader qui gère les membres d’une équipe ?
J.O. : Cette personne doit être capable de fixer de bons objectifs et de mettre les bonnes personnes aux bons postes. Elle doit savoir identifier le potentiel de chacun.e et les aider dans leur développement.
« Peu à peu, le.la gestionnaire construit une équipe diversifiée qui se complète. Je pense qu’il s’agit des ingrédients clés pour être à la fois un bon.ne gestionnaire et un.e bon.ne leader. »
- Stefan Kolovic
Cette recette crée un environnement propice à l’adaptabilité. Il est plus facile de s’ajuster advenant un changement ou si le marché évolue brusquement. Deux phénomènes qui risquent de survenir ces prochains mois et de mettre à défi les gestionnaires.