Les différentes tendances en matière de déconnexion

05-04-2023
Au Québec, plusieurs dirigeant.e.s d’entreprise adoptent une politique de déconnexion qui interdit les courriels, textos, appels, à l’extérieur des heures de travail. Coup d’œil sur les nouvelles tendances.
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Annie Bourque, Pratiques RH
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Les vacances, c'est aussi être capable de décrocher totalement du travail

Au Québec, plusieurs dirigeant.e.s d’entreprise adoptent une politique de déconnexion qui interdit les courriels, textos, appels, à l’extérieur des heures de travail. Coup d’œil sur les nouvelles tendances.  

« Plusieurs études le démontrent : l’hyperconnectivité crée des enjeux sur la santé physique et mentale dont les troubles musculosquelettiques (mal de dos, douleurs aux épaules, au cou, tendinite, bursite). Souvent, les gens adoptent une mauvaise posture liée à la sédentarité, précise Me Marianne Plamondon lors d’un webinaire portant sur les enjeux de la déconnexion du travail. 

De plus, la surexposition aux écrans suscite un sentiment de fatigue et différents troubles de sommeil. 

Promouvoir les bienfaits de la déconnexion 

Avec la popularité du télétravail et la multiplication d’outils technologiques, Me Plamondon estime que l’enjeu de la déconnexion est plus présent que jamais. Les juristes, tout comme bien des professionnel.le.s, constatent l’absence de frontière entre la vie professionnelle et personnelle. 

« Il est important de promouvoir des périodes de repos de la vie professionnelle pour permettre une bonne santé mentale et le plein épanouissement », souligne la porte-parole du Défi je décroche, présenté par le Barreau du Québec.  

Si les salarié.e.s ont la capacité d’accéder à la déconnexion, cela occasionne des effets bénéfiques sur la créativité, la productivité, la motivation et l'engagement au travail, ajoute-t-elle.

Aucune règle précise au Québec 

Spécialiste en droit du travail et de l’emploi et associée chez Langlois Avocats, Me Plamondon explique l’importance d’adopter des règles précises concernant la déconnexion. « En pénurie de main-d’œuvre, dit-elle, l’employeur a intérêt à investir dans l’enjeu de l'hyperconnectivité. Plus les balises sont claires, plus les gens vont se déconnecter adéquatement. Quand les gens reçoivent de multiples textos, courriels après les heures de travail, cela peut entraîner une plainte de harcèlement. »

Contrairement à l’Ontario ou dans certains pays dans le monde, au Québec, il n’existe pas de loi ni de cadre précis par rapport à la déconnexion. 

Cependant, au sein de diverses entreprises, des comités de salarié.e.s donnent leur opinion sur la déconnexion. En général, les entreprises de 50 employé.e.s et plus ont une politique sur l’utilisation des outils numériques. « S’il n’y a pas d’accord avec le personnel et l’entreprise, observe-t-elle, une charte peut définir les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion.» 

Ailleurs dans le monde  

  • En Belgique, la loi adoptée en 2018 oblige l’employeur à créer une table de concertation avec les travailleur.se.s au sujet de la déconnexion du travail. Dès le 1er avril 2023, les entreprises employant 20 travailleur.se.s et plus devront leur assurer le droit à la déconnexion et définir les modalités pour y parvenir. 
  • En Espagne, depuis 2019, une loi oblige les entreprises à élaborer des politiques internes sur la déconnexion. Cela permet de mettre des balises claires tout en permettant aux gens de déconnecter. 
  • Au Portugal, la loi est sévère sur la déconnexion. Si une personne contacte un.e salarié.e à l’extérieur des heures de travail, cela peut entraîner une amende. 
  • En Allemagne, l’entreprise Volkswagen a bloqué ses serveurs à ses 3000 salarié.e.s entre 18 h 15 et 7 h. 
  • En France, depuis 2017, la législation non contraignante vise l’obligation des employeurs de mettre en place des dispositifs pour réguler l’utilisation des outils numériques de manière à limiter les communications en dehors des heures régulières de travail. 

Attention aux attentes élevées 

De l’avis de Me Plamondon, le droit à la déconnexion peut susciter des attentes élevées. « Il y a parfois des situations qui vont nécessiter le dérangement d’un.e employé.e. Pendant une demande d’injonction, par exemple, ce n’est pas le moment pour nous, les avocat.e.s, de se déconnecter », illustre-t-elle. 

La nouvelle tendance, c’est un cadre simple qui évite les dérapages. Souvent, entre 19 h et 7 h, il y a une mention que les communications ne nécessitent pas de réponse immédiate. 

De plus, il y a une limite à enchaîner les zooms ou réunion TEAMS pendant 8 heures consécutives. « De plus en plus, on tend à limiter la connectivité. Des créneaux horaires -soit en matinée ou en après-midi- sont consacrés à la créativité ou aux rencontres virtuelles. 

Respect des congés de vacances ou maladie 

Me Plamondon suggère que la politique contienne un énoncé qui respecte le droit aux conditions de vacances ou de maladie. Durant une journée de congé ou de repos, il n’est pas question de répondre aux courriels ou au téléphone. 

Dans certains milieux, le droit à des vacances est rarement quelque chose de tangible. Par exemple, une personne part en vacances en prenant l’avion. « On continue à lui parler au téléphone comme si elle était à Montréal. Cela peut donner lieu à des plaintes d’abus. Les vacances sont prises afin qu’elles soient respectées et ce, à moins d’une urgence ou d’une circonstance exceptionnelle », soutient Me Plamondon. 


Difficile de décrocher même en congé 

54 % des travailleur.se.s n’arrivent pas à décrocher durant cette pause.

Pire encore, plusieurs ne pensent pas être en mesure de décrocher complètement durant leurs congés

80 % consultent leurs messages et demeurent connecté.e.s en dehors des heures de travail. 

Les membres du Jeune Barreau du Québec disent ressentir des pressions afin de demeurer connecté.e.s en dehors des heures régulières de travail. Une proportion de 80 % d’entre eux avouent consulter leurs messages sur leur téléphone intelligent en dehors des heures normales de travail et 60 % à ne pas l'éteindre pendant les vacances.


Le phénomène des « tracances » là pour rester ? 

Lors de sa présentation, Me Plamondon a évoqué les différentes tendances en matière de déconnexion dont les « tracances ». Ce nouveau vocable provient de la contraction de travail et vacances. Autrement dit, c’est le télétravail à l’extérieur de son domicile. 

Depuis la pandémie, plusieurs employeurs permettent à leurs salarié.e.s de travailler à distance, d’un autre pays, pour une période maximale variant de 4 à 8 semaines. C’est le cas du magazine Protégez-vous qui a adopté une politique de télétravail à l’extérieur en septembre 2021.  

Déjà, depuis quelques années, l’entreprise embauche des employé.e.s originaires de France, Mexique, Chili. Durant la pandémie personne n’a pu voyager et visiter leur famille. 

Ceux et celles qui cumulent plus de 2 ans d’ancienneté obtiennent ainsi le privilège du télétravail à l’extérieur. « Au total, 7 employé.e.s sur 30 l’ont fait. Par exemple, quelqu’un a pris 3 semaines de télétravail en France et a ajouté des vacances. Un autre employé a loué une maison au Mexique avec des amis, et a télétravaillé de là-bas », explique Jade Gariépy, conseillère RH et administration. 

Lors du processus de recrutement, l’employeur mise sur ce précieux atout dans son jeu. Toutefois, la politique fait l’objet d’un étroit suivi avec les gestionnaires. « On a décidé par exemple d’interdire des journées de télétravail et de vacances dans la même semaine parce que cela créait trop de confusion dans les équipes », dit-elle. 

Mis à part cet ajustement, tout fonctionne bien. L’entreprise ne rapporte aucune diminution de rendement ni de baisse de productivité ou d’impact négatif sur les livrables. Notons que 6 des 7 salarié.e.s qui ont bénéficié du télétravail à l’extérieur sont toujours en poste. L’un d’entre eux s’apprête même à faire une deuxième demande pour télétravailler ailleurs que de son domicile l’été prochain. 
 

Contenu supplémentaire

27 %

des employé.e.s, majoritairement de la génération Z, avaient l’intention de prendre des tracances à l’été 2022. Les destinations les plus prisées ? Lisbonne au Portugal, Barcelone en Espagne, ou encore Santa Teresa au Costa Rica et Bocas del Toro, au Panama. Des métropoles ayant des plages à proximité.

28 %

Selon le sondage, le quart des employé.e.s canadiens se disent épuisé.e.s par leur poste. Près d’un tiers estime qu’un changement de décor leur permettrait de lutter contre l’épuisement professionnel.

Travailler de n'importe quel endroit du monde

Josée Marcotte est stratège en management des talents et présidente de la firme Émergence. Elle explique ce phénomène en disant : « Les jeunes veulent être impliqué.e.s dans la vie de l’entreprise, mais ils tiennent aussi à cette liberté dont celles de travailler de l’étranger. Ils aiment les modes de travail hybride dont celui de travailler d’un café ou au Mexique durant quelques semaines. » 

Cette multiplication d’espaces de travail bouleverse sans aucun doute la gestion d’encadrement du travail. Forcément, les habitudes de gestion changent. « On ne peut plus encadrer le travail dans l’espace et dans le temps. Il faut trouver d’autres façons de le faire et de générer la performance », dit Mme Marcotte. 

De plus en plus, est évoquée l'idée de communauté de travail inspirée, d’entreprise libérée, de gestion collaborative en éliminant davantage les barrières hiérarchiques. 

Un chalet pour les membres de l'équipe

Enfin, une autre tendance qui ressort ces derniers temps, est l’accessibilité d’un chalet pour son personnel. En Mauricie, tout près du Lac Perchaude, un grand chalet accueille les membres de l’équipe de Médiaclip, une entreprise spécialisée dans les logiciels de retouche photographique. Ne pouvant rivaliser avec les salaires de l’industrie, la présidente Marion Duchesne invite sa trentaine d’employé.e.s à venir travailler dans ce chalet.

À leur pause lunch, certains vont emprunter un vélo électrique. D’autres vont tenir des réunions sur le quai. Une façon audacieuse de trouver de bonnes idées dans la détente et les éclats de rire. « J’ai songé à proposer un chalet aux membres de mon équipe, parce que les développeurs âgés dans la vingtaine n’ont pas accès à la propriété », raconte-t-elle dans une entrevue en décembre dernier. 

Les employé.e.s apprécient cet environnement bucolique et n’ont presque plus envie de retourner au bureau. De l’avis de tous et toutes, le chalet favorise la rétention des employé.e.s. « Déjà, il s’est créé de beaux souvenirs dont une demande en mariage », dit Mme Duchesne qui souhaite de cette façon conserver ses talents le plus longtemps possible.