Hyperconnectivité : quand la déconnexion s’invite au travail

24-03-2022
L’exposition prolongée aux multiples écrans d’ordinateurs, tablettes, cellulaires entraine des problèmes de sommeil, concentration et fatigue pour une majorité de gens en télétravail. Un phénomène connu sous le nom d’hyperconnectivité ou hyperconnexion. Face à ces excès, quelques rares entreprises au Québec mettent en place des balises de déconnexion pour mieux protéger les travailleurs du risque d’épuisement professionnel. Des spécialistes évoquent de nouvelles tendances comme la sobriété numérique et l’hygiène digitale.
Rédigé par :
Author
Annie Bourque, Pratiques RH
Image
Pratiques RH  Hyperconnectivité et déconnexion

À l’heure actuelle, plusieurs ressentent ce sentiment d’être submergé.es d’informations. « Aujourd’hui, une personne reçoit environ 36 000 courriels et autres communications par année comparativement à 1000 communications externes par an dans les années 70 », explique Laurie Michel, autrice du livre Moins d’écrans, plus de moments présents. 

La fondatrice de l’entreprise Vivala offre des services de formation et d’accompagnement aux entreprises qui désirent mettre en place des procédures de bien-être numérique. 

Récipiendaire en 2021 du prix Innovation technologique au défi OSEentreprendre de la région des Laurentides, Mme Michel propose par ailleurs un programme de déconnexion de 30 jours. 

100 courriels reçus en moyenne par jour

24 000 courriels reçus en moyenne par an

La spécialiste du numérique dit qu’il faut se méfier de la « télépression », ce besoin de répondre immédiatement au courriel reçu. Imaginez : 70 % des courriels sont ouverts dans les 6 secondes après leur réception.

Enfin, peu de gens savent que l’envoi de 20 courriels par jour équivaut à faire 100 kilomètres en voiture en termes de pollution. Le numérique, ce voleur de notre attention, souligne Laurie Michel, représente 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde en 2019. Autrement dit, l’équivalent de la pollution numérique du transport aérien. 

L’hyperconnectivité pour les dirigeants et gestionnaires, en quête de performance, c’est l’habitude de tout savoir de son domaine d’activité en consommant allègrement les médias et infolettres de la boite courriel.

« C’est impossible de tout lire et assimiler, dit Mme Michel. Plusieurs se donnent de la pression considérable pour tenir ce rythme. On se compare aux autres, de véritables machines de performance par leurs clics et cela finit par avoir un impact sur notre santé mentale. » 

La fatigue numérique et pandémique arrive au top 3 des 10 tendances et perspectives internationales en matière de santé mentale et de bien-être au travail, évalue Marie-Claude Pelletier, présidente fondatrice de Global-Watch.com, une plateforme internationale de bonnes pratiques en santé et qualité de vie au travail. 

Cette lassitude suscite, selon elle, une augmentation du stress, ainsi qu'une baisse de motivation, de productivité et d’engagement au travail. Les études menées par Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH - communauté de 5000 experts en RH en France - illustrent l’impact de la crise sanitaire concernant la santé psychique qui a augmenté les dépendances dont celles des drogues, alcool, médicaments, mais aussi, l’hyperconnexion, le workaholisme. 

« Tous ces excès ont un impact sur le travail et la performance. Et la distance accentue les risques de pratiques addictives qui sont plus fréquentes à domicile que dans les locaux de l’entreprise », souligne Mme Breton-Kueny, lors d’un Webinaire présenté par Global-Watch, en mars. 

Accro au cellulaire 

En 2022, un des responsables de cette hyperconnectivité est le cellulaire. Un capteur d’attention, de divertissement et de procrastination. On fuit la tâche fastidieuse en attrapant son téléphone. 

160 fois 

Un adulte ouvre en moyenne son téléphone 160 fois par jour, 1 fois, toutes les 2 minutes. 

56 minutes

Une personne perd 56 minutes de temps productif par jour sur son téléphone cellulaire. 

Plusieurs ignorent être atteints de la «nomophobie» ou «mobidépendance» provenant de l’expression «no mobile phone», soit la peur de se séparer de son téléphone qui se traduit par une dépendance à son portable. 
Dans ses conférences aux gestionnaires et dirigeants, Mme Michel explique les méfaits de l’hyperconnectivité : 

  • Problème d’organisation et gestion des priorités 
  • Difficulté de concentration
  • Fatigue mentale 
  • Sécheresse oculaire 
  • Baisse de productivité

Importance de la déconnexion 

Au Québec, les dirigeants d'entreprises sont de plus en plus conscients de l'importance d'une saine hygiène digitale. « On ne doit pas être esclave de la technologie. Se déconnecter, cela ne veut pas dire être paresseux. On a le droit d’être «off line», d’être au calme et permettre au cerveau d’être au repos dans une forêt ou une baignoire », soutient la fondatrice de Vivala. 

Se reposer loin des écrans est vital, selon elle. Une pause permet au cerveau de traiter toutes les informations qu’il a assimilées. Plusieurs vivent l’expérience : lors d’une marche ou en cuisinant, surgit alors une idée créatrice ou piste de solution liée à notre travail. 

Exit la fatigue zoom

À l’été 2021, la firme KEZBER a innové en décrétant des journées sans réunion virtuelle dans le but de contrer la fatigue « teams ou zoom », un phénomène observé par des chercheurs de l’Université Stanford.  

« De façon réactive, on a mis en place des solutions à des problématiques comme la fatigue. On a incité nos gens à prendre du temps pour eux et surtout à faire une chose à la fois », explique Alexandra Bélanger, directrice des ressources humaines de l’entreprise qui a pignon sur rue à Magog, Drummondville et Brossard. 

La compagnie de plus de 90 employé.e.s a aussi initié le concept « Focus time » qui permet de réserver environ 2 heures à son agenda pour travailler à sa tâche. Durant cette période, impossible d’être contacté.e par un.e collègue sur Teams ou par Zoom. 

Le plus grand problème, selon elle, c’est le manque de concentration lié à l’entrée de notifications, ces multiples alertes sonores nous prévenant d’une nouvelle importante dans l’actualité ou l’arrivée de courriels, messages provenant des réseaux sociaux. 

La compagnie KEZBER, spécialisée dans les solutions informatiques et numériques a eu recours à l’outil «Viva Insights» de Microsoft qui permet de bloquer les sonneries provenant de ces notifications. « Ces distractions numériques représentent une perte de 28 % de temps dans une journée de travail », précise de son côté Laurie Michel. 

Contenu supplémentaire

Prise de conscience 

Lors de ses rencontres avec les entrepreneur.e.s, Mme Michel préconise d’observer les répercussions du numérique dans sa vie. « On se positionne comme cobaye et on se pose la question : combien de temps, je passe sur les écrans et à quels moments suis-je trop connecté.e? », dit-elle. 

Le personnel de Kezber a justement réfléchi à ce dilemme en gardant en tête le respect des collègues. La flexibilité actuelle des horaires permet à un jeune parent de s’occuper durant la journée de son enfant malade. En soirée, en récupérant ses heures de travail, il évitera de communiquer par texto ou par l’entremise du chat. « On privilégie d’envoyer un courriel programmé qui sera expédié le lendemain », précise Alexandra Bélanger.

En ouvrant son ordinateur à 8 h 30, le collègue pourra lui répondre. De cette façon, celui qui était en mode repos n’a pas ressenti l’obligation de répondre. Encore mieux, il n’éprouvera pas de sentiment de culpabilité.

« C’est une prise de conscience permettant de respecter son quart de travail, ses limites et celles de chacun. Une façon d’être indulgent.e envers soi-même et envers les autres », ajoute Mme Bélanger. 

Car, en expédiant un message à 22 heures à un.e collègue ou à un.e client, cela envoie un message implicite que vous pratiquez la culture du sans repos, observe la spécialiste du numérique, Laurie Michel. « On a tous une responsabilité dans l’hyperconnectivité des autres. Nos actions auprès des écrans ont un impact dans notre entourage », dit-elle. 

Question d’équilibre 

Désirant favoriser le bien-être et la conciliation travail-famille, le fabricant de jeux vidéos Ubisoft, présent dans 7 villes au Canada, a adopté en novembre 2021 une gamme de mesures pour ses 5000 employé.e.s qui incluent le droit à la déconnexion.  

« Durant la pandémie, on s’est aperçu que certains employé.e.s ne se donnaient plus le droit de s’arrêter de travailler. C’est pourquoi, il fallait se donner un cadre formel portant sur la déconnexion », explique Louis-François Poiré, directeur Talent & Culture de la multinationale.  

Après 18 heures, les gestionnaires et membres de l’équipe de la direction de l’entreprise évitent d’envoyer des communications au personnel. «Quand ton boss t’écrit sur le TEAMS à 21 heures, tu as tendance à répondre si tu vois la question », illustre M. Poiré.  

Chez Ubisoft, la flexibilité et l’aménagement des horaires permettent toutefois à des collègues qui le désirent de travailler durant la soirée. Cela coïncide avec une notion de liberté. « On n’a pas de notion de 8 heures de travail, mais de livrables et l’important c’est de réaliser ce qu’on a à faire et de réaliser une bonne performance collective et individuelle. » 

« La déconnexion, ajoute Louis-François Poiré, c’est le principe de dire : quand tu n’es pas au travail, tu as le droit d’être OFF ». 

Équilibre et bien-être 

Plusieurs ressentent l’impression d’une charge mentale moins élevée. « Le droit à la déconnexion, cela vient avec le sentiment de liberté, du temps pour soi et sa famille. En étant déconnecté le soir, cela donne tellement un meilleur équilibre de vie », s’exclame spontanément Antoine Leduc-Labelle, chef des relations publiques chez Ubisoft. 

Même son de cloche chez Alan Kezber, président chez KEZBER qui observe une augmentation de la productivité et une diminution du stress. « Ce qui ressort, dit-il, c’est notre bien-être. Nous sommes concentrés et « focus » à chaque portion de notre vie. Quand on est au travail, on est pleinement au travail. Une fois que tu as terminé, tu peux lire un livre avec ton enfant ou faire une activité sportive qui te plait. C’est l’équilibre en fait. »


Bienfaits de la déconnexion 

  • Notre cerveau se met en mode pause 
  • Créativité : les meilleures idées surgissent en étant loin des écrans
  • Du temps pour soi pour l’activité sportive ou artistique 
  • Hausse de motivation au travail
  • Meilleur sommeil 
  • Temps de qualité avec sa famille ou amis

« Ce dont je suis le plus fière, conclut de son côté Alexandra Bélanger, directrice des ressources humaines chez KEZBER, c’est le bien-être que ça procure à nos gens. Il n’y a rien de mieux que de pouvoir savourer chaque moment. Être pleinement au travail ou pleinement dans sa propre activité sportive sans ce petit moteur qui est encore accroché au travail. » 

Alors que des pays comme la France, l’Allemagne et le Portugal adoptent des lois pour privilégier la déconnexion, Laurie Michel exprime son point de vue. « Légiférer peut-être problématique pour certains secteurs d’activité. L’important, c’est de mettre en place des procédures pour aider les équipes à obtenir une espèce de cadre et de réduire l’anxiété », conclut Laurie Michel. 

Une précision s'impose : jusqu'à maintenant, ni le Québec ni le Canada n’ont encore légiféré sur ce sujet. En décembre 2021, l’Ontario a toutefois adopté une loi qui exige une politique écrite concernant la déconnexion au travail pour les entreprises embauchant plus de 25 employé.e.s.

5 actions simples à mettre en place 

  1. Éviter l’envoi de courriels après 18 heures;
  2. Sensibiliser les équipes à l’hyperconnectivité;
  3. Durant sa journée, on prend une pause de 15 minutes, loin des écrans. On savoure un thé, un café en observant la lumière du jour. On prend le temps de se recentrer sur ses pensées et de ressentir ses émotions;
  4. On utilise des outils pour bloquer l’entrée d’appels, courriels et notifications;
  5. Après sa journée de travail, Laurie Michel pose son téléphone dans un coffret. En mode silencieux. « Cela démontre ma volonté de faire une coupure avec le bureau pour passer à ma période de repos et de déconnexion. » 

Nota bene : Cet article a été écrit grâce à un cellulaire en mode totalement silencieux qui a grandement facilité ma concentration.