Lorsque l’ennui s’invite au travail : prévenir le désengagement des troupes

10-02-2025
La surcharge de travail est souvent pointée du doigt comme étant la cause principale de l’épuisement professionnel ou «burn-out». Toutefois, un autre enjeu peut entraîner des effets similaires : le syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui, mieux connu sous le nom de «bore-out».
Rédigé par :
Karine Dutemple, Pratiques RH
Ennuie au travail

Afin de limiter les chances qu’un syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui se manifeste, reconnaître l’apparition des symptômes qui le caractérisent est la première étape.

De surcroît, plusieurs initiatives peuvent être mises en place dans le milieu de travail afin de limiter la possibilité que cette problématique ne s’immisce dans le quotidien de la main-d'œuvre.

Ennui : les signes et facteurs de risque  

Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue et professeure associée à l’Université du Québec à Montréal, met de l’avant que les symptômes peuvent varier d’un.e employé.e à l’autre.  

« Alors que pour certain.e.s la démotivation, la fatigue ou des affects plus dépressifs peuvent se dessiner, pour d’autres, les manifestations peuvent tendre davantage vers l’anxiété ou l’irritabilité. » 

Lorsqu’il est question des facteurs pouvant favoriser l’apparition de cette problématique dans un milieu de travail, la psychologue précise qu’un.e employé.e surqualifié.e peut se sentir sous-stimulé.e au quotidien.  

« Si les tâches qui sont données au travailleur ou à la travailleuse ne viennent pas solliciter suffisamment ses aptitudes, cette situation ne lui permettra pas de combler son besoin de compétences », soutient-elle.  

Antoine Devinat, psychologue du travail et consultant en ressources humaines, est aussi d’avis que « la stimulation que l’emploi peut procurer, que celle-ci soit physique ou intellectuelle, est déterminante sur l’apparition de l’ennui au travail ». 

Une démotivation pas forcément perceptible 

Geneviève Beaulieu-Pelletier poursuit en rappelant que, contrairement à la croyance populaire, la productivité n’est pas toujours affectée par le syndrome de l’épuisement professionnel par l’ennui.  

« Pour certain.e.s, l'efficacité peut être affectée, mais il y a des personnes qui peuvent continuer à produire tout autant, mais être un peu moins motivées. » 

Antoine Devinat abonde dans le même sens et affirme qu’il est parfois possible  qu’un.e employé.e soit très productif.ve tout en s’ennuyant beaucoup, ce qui rend la détection de cette démotivation plus difficile.  

L’expert précise que cette même personne a généralement un sentiment de responsabilité par rapport à ses engagements professionnels et maintient ainsi un certain rendement malgré l’ennui qui s’installe.  

Ce désengagement presque invisible rappelle le phénomène de la démission silencieuse ou « quiet quitting » qui a fait beaucoup parler de lui juste après la pandémie lorsque de nombreuses personnes ont quitté leur emploi par manque d’intérêt et d’alignement avec leurs valeurs et compétences. 

Le sens au travail : un élément essentiel à considérer 

Parmi les problèmes recensés chez certain.e.s travailleur.ses, Geneviève Beaulieu-Pelletier fait ainsi état de la perte du sens au travail. « Quelle est la valeur de la tâche effectuée ? Parfois, elle peut être super précise et il peut être difficile de la cadrer dans le portrait global de la compagnie, de ce qu’on réalise ensemble. »  

Selon elle, plusieurs employé.e.s peuvent aussi se demander : « quelle est la valeur ajoutée, le sens de ce que je fais ? Est-ce que je contribue à la société ? »  

Antoine Devinat est également d’avis que l’employé.e doit être capable de comprendre de quelle façon il ou elle contribue à quelque chose de plus grand que son propre travail.  

Selon Geneviève Beaulieu-Pelletier, il importe donc de valoriser le travail, de lui montrer sa contribution afin qu’il ou elle comprenne à quoi sert son travail. 

Des suivis et une communication ouverte pour mesurer la motivation 

Geneviève Beaulieu-Pelletier est formelle, il faut aborder la situation clairement avec le ou la salarié.e. Elle invite les gestionnaires et chef.fe.s d’entreprise à oser souligner que l’on remarque une certaine démotivation ou encore une baisse dans la productivité.  

« Idéalement, si l’employé.e s’ouvre, puis nous en parle, il faut être ouvert.e à la discussion, accueillir son ressenti, puis passer ensemble en mode solution. Qu’est-ce qu’on peut faire pour que son quotidien au travail soit plus satisfaisant ? »

- Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue et professeure associée à l’UQAM

Elle ajoute que d’établir une collaboration avec la personne permet de travailler en équipe et d’établir de nouveaux objectifs plus optimaux pour elle

« Prévoir des moments de rencontre pendant l’année peut être une bonne opportunité pour poser plusieurs questions :  comment est-ce que tu te sens au travail ? Est-ce que les dossiers ou les défis que tu as sont suffisamment stimulants, épanouissants pour toi ? Est-ce qu’il y a d’autres idées dont tu aurais envie de discuter un peu ? »

Antoine Devinat estime qu’il est important de « bien connaître ses joueurs et joueuses afin de les sonder de la bonne façon, au bon moment, et en fonction de leur personnalité ».  

Il met en garde les dirigeant.e.s et gestionnaires sur le fait qu’il existe différents types de personnalité et que ce genre de conversation ne se déroulera pas de la même façon et à la même fréquence en fonction de celles-ci. 

« De temps en temps, une fois par mois ou par deux mois, il peut être pertinent d’ouvrir la discussion sur le sujet avec certains. Avec d’autres, cela doit être fait un peu plus fréquemment. » 

Des solutions à l’ennui au travail 

« L’employeur a tout intérêt à aller identifier l’état de démotivation ou d’ennui chez l’employé.e afin de pouvoir lui proposer des défis plus grands », relève Geneviève Beaulieu-Pelletier.  

Ces derniers incluent notamment la possibilité de l’amener à piloter un projet où la personne va pouvoir mobiliser et développer de nouvelles compétences, suivre des formations ou effectuer de nouvelles tâches.  

La psychologue et professeure souligne qu’un.e employé.e qui parle de son malaise signifie ouvertement son besoin d’être stimulé.e et de faire valoir ses compétences. « C’est pourquoi le sujet ne devrait pas être tabou », insiste-t-elle. 

Parmi les autres solutions envisageables, elle mentionne qu’un changement de poste ou de département est parfois nécessaire afin d’éviter l’ennui au travail et favoriser un renouvellement de leur intérêt pour l’entreprise au sein de laquelle ils.elles travaillent.

Pour sa part, Antoine Devinat soulève la possibilité de redistribuer les tâches autrement au sein d’une équipe et même d’embaucher quelqu’un pourvu d’un profil différent si plusieurs semblent désintéressés par un type de tâche en particulier.

« Il y a des croyances limitantes voulant que cela fasse partie de l’emploi de ne pas aimer du tout certaines de nos tâches », dit-il.

Bien que la poursuite d’objectifs organisationnels collectifs amène son lot de contraintes individuelles qui font partie de la vie au travail, l’expert souligne que parfois, une nouvelle personne peut s’occuper d'une portion du travail qui pèse sur les autres membres de l’équipe, voire mine complètement leur motivation.

L’ennui au travail : quelques solutions

  • Assurer une rétroaction qui convient à la personnalité
  • Prendre le pouls des tâches qui satisfont et ne satisfont pas
  • Instaurer de nouveaux projets et offrir à l'employé.e des occasions de valoriser ses compétences
  • Discuter d'une potentielle évolution de carrière, d'un changement de poste ou de département
  • Souligner les succès passés et présents, ainsi que l'impact du travail de l'employé.e sur l'équipe

L’ennui au travail : un problème de recrutement ?

Tel que le mentionne Geneviève Beaulieu-Pelletier, il est possible que le syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui soit engendré par l’embauche d’un profil surqualifié ou dont le profil de compétences ne correspond pas à celles requises pour le poste.

« Il est possible d’avoir trouvé quelqu’un qui a de super belles qualités humaines et compétences techniques, toutefois, son potentiel et sa personnalité peuvent ne pas convenir à l’emploi. »

- Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue et professeure associée à l’UQAM

« Un employeur qui fait l’embauche de ce type de candidat.e devrait être capable de se projeter et de se demander : qu’est-ce que je vais pouvoir lui offrir si je considère qu’il ou elle est surqualifié.e pour le poste ? »

La psychologue souligne qu’il faut être en mesure de nourrir son envie de dépassement, que ce soit grâce à des formations, des événements divers ou bien des projets spéciaux qui permettront de mobiliser ses compétences.

Prévenir le bore-out : une situation gagnante pour tous

Le syndrome de l’épuisement professionnel par l’ennui est une problématique encore taboue au sein des milieux de travail.

Toutefois, une conversation ouverte et franche avec les employé.e.s peut permettre d’en savoir plus sur les enjeux qu’ils et elles vivent au quotidien. Ne pas craindre de parler d’ennui et ouvrir le dialogue sur les tâches qui créent une détresse favorisent la rétention de la main-d'œuvre qualifiée au sein de l’entreprise tout en assurant aux travailleur.ses un meilleur bien-être au travail.

Voilà des conditions gagnantes pour renouveler une motivation fanée ou un intérêt en perte de vitesse !