Nouvelles tendances concernant l’évaluation du personnel

19-09-2023
Quelles sont les tendances en matière d’évaluation du personnel ? Voici l’avis d’expert.e.s et le témoignage de 2 entreprises.
Rédigé par :
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Annie Bourque, Pratiques RH
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Pratiques RH Ce qu'il faut savoir sur l'évaluation du personnel

Au Québec, la plupart des organisations font des évaluations annuelles. « L’exercice est parfois très structuré avec un formulaire. Dans d’autres cas, il s’agit d’un simple échange et parfois, il n’y a rien du tout », explique la psychologue organisationnelle Manon Deschênes et présidente fondatrice du cabinet Eklo à Québec.  

Le but est de remercier la personne pour sa contribution au cours des 12 derniers mois. Par la suite, la discussion porte sur les objectifs de la personne, de l’équipe et de l’entreprise.  

Exit évaluation et rendement  

Les spécialistes interrogé.e.s estiment que les mots évaluation ou rendement associés à une rencontre annuelle entre le gestionnaire et l'employé.e ont quelque chose d’archaïque, voire de révolu. En milieu manufacturier, cependant, ces termes restent toujours appropriés.  

Mme Deschênes suggère de remplacer ces termes par appréciation. « La rencontre d’évaluation et de rendement crée un stress. Parfois, la personne évaluée ne dit rien et fait semblant d’écouter en se disant : « j’ai juste hâte que ça finisse ». Chez une autre, cela provoque une réaction de combat. Dans son for intérieur, elle se dit : « Je vais me battre et contre-attaquer avec des arguments pour démontrer mon rendement », illustre la spécialiste en management organisationnel.  

Peu importe le nom de la rencontre, cela doit être réalisé en cohérence avec les valeurs et objectifs de l’entreprise.   

2 erreurs à éviter pour le gestionnaire  

1. Durant la rencontre, le.la gestionnaire se concentre uniquement sur le formulaire.  

- Je t’ai mis un 4 et toi un 5.  

« Ce ne sont pas les notes qui comptent, dit Mme Deschênes, mais l’appréciation de l’être humain qui est devant soi. »  

À ce sujet, la présidente de Kolegz, Marianne Lemay a recours à un jeu de mots. « Les notes ont moins la cote. Quelqu’un va se mettre un 3.5 sur 5 parce qu’il est perfectionniste et l’autre va s’attribuer un 4. Demandez-vous, qu’est-ce que vous faites avec ces chiffres ? Sont-ils vraiment nécessaires? »  

2. L'autre erreur est d’évaluer la personne en se disant : je vais lui dire ses 4 vérités. « C’est un vieux style de leadership rétrograde qui existe encore malheureusement aujourd’hui », ajoute Manon Deschênes.   

Alors, pourquoi une rencontre d’appréciation ou d’évaluation ? 

La présidente de Kolegz, Marianne Lemay suggère aux dirigeant.e.s de se poser ces questions :

  • Quel est le but de l’exercice ?  
  • Est-ce pour aider les gens à devenir plus performants ?  
  • Corriger les lacunes ?  
  • L’évaluation est-t-elle un levier pour mobiliser en écoutant les aspirations du personnel ?  

Une autre façon de faire concernant l’évaluation 

Au Québec, certaines entreprises comme le studio Frima, un concepteur de jeux vidéo situé à Québec favorise plutôt une rencontre de bilan qui survient 2 fois par année entre l’employé.e et le.la gestionnaire.

« Les échanges sont basés sur les aspects positifs : les bons coups, les forces et mettent l'accent sur les comportements basés sur nos valeurs. Nous discutons aussi sur les opportunités de développement afin de toujours apprendre, nous améliorer et mieux travailler ensemble », précise Annie Plourde, vice-présidente Talent et culture chez Frima. 

Les questions à se poser durant la rencontre d’évaluation, (oups!) pardon, d’appréciation  

Dans la plupart des cas, le.la collaborateur.trice reçoit à l’avance un formulaire qui permet de faire une bonne introspection.   

  • Qu’est-ce que j’aime de mon emploi ?  
  • Qu’est-ce que j’apporte à l’entreprise ?  
  • Qu’est-ce qui me rend fier ?  
  • Qu’est-ce que je pourrais améliorer dans le futur ? 
  • Quelles sont mes idées d’amélioration pour l’équipe ? 

Il faut garder en tête, selon Manon Deschênes la question primordiale : qu’est-ce qui me passionne dans mon emploi ? « Les gens oublient le plaisir de son travail tellement la pression est forte. Le gestionnaire et l’employé.e doivent se concentrer sur l’importance d’exploiter ses forces mutuelles. » 

Le processus doit être simple. Puis, le.la gestionnaire révise ce que le.la collaborateur.trice a écrit et prépare son opinion. 

À réfléchir : Les spécialistes recommandent que les objectifs de développement de compétences et de progression salariale soient dans une autre rencontre.  

D’un commun accord, Marianne Lemay et Manon Deschênes conseillent que la rencontre d’évaluation porte uniquement sur les tâches ou objectifs. « Est-ce que tu remplis bien les tâches ? Tes objectifs ont-ils été atteints ? », indiquent-elles.  

À quelle fréquence doit-on faire ces rencontres ?  

« Ce n’est pas la fréquence qui compte, mais la constance. L’important c’est de parler du rendement de l’employé.e. Cela se fait-il durant les rencontres individuelles qui se tiennent aux 2 semaines ou une fois par mois ? », précise Marianne Lemay.  

Les discussions concernant la performance du personnel ont lieu aux 3 ou 6 mois. Le pire, selon elle, c’est de ne rien faire. Car, certain.e.s peuvent rester avec des mauvais plis ou dans les non-dits.  

« Dans nos rencontres chez nos client.e.s, un employé nous a confié : je ne sais même pas si mon boss me trouve bon. Je conseille aux gestionnaires d’évoquer de la reconnaissance pour les tâches accomplies. »

Une culture axée sur l’amélioration et le développement 

La présidente d’Eklo, Manon Deschênes estime que les évaluations axées sur la performance sont de moins en moins prisées en entreprise. « Il faut sortir de ce scénario de performance et d’évaluation pour aller davantage dans le scénario de développement et de créer une culture d’entreprise où tout le monde évolue. » 

« Le gestionnaire peut dire par exemple : je m’entraîne à consulter mon équipe lorsque je prends des décisions ou à je m’exerce à donner un sens à votre travail. »  

Ce processus n’empêche pas de parler des vraies affaires. Tel.le client.e n'est pas satisfait.e. Peut-on en parler et comment éviter que cela se reproduise ?   

La priorité, selon Mme Deschênes est de développer une culture de développement où chacun.e s’améliore.

« On s’entraîne à devenir meilleur.e dans son travail. On n’est plus dans l’évaluation, mais dans l’entraînement comme dans le sport. Cela nous permet de performer en équipe et d’aller plus loin ensemble. »

L’exemple inspirant de Moment Factory 

Depuis mars 2023, un projet pilote en matière d’évaluation suscite l’enthousiasme chez les dirigeants de Moment Factory, concepteur entre autres du parcours Lumina, de l’expérience immersive Aura à la basilique Notre-Dame de Montréal et de l’installation lumineuse du pont Jacques-Cartier.  

L’entreprise emploie 425 personnes évoluant dans différents métiers, créatifs, techniques et technologiques.  

 « Nos employé.e.s voulaient plus de clarté dans leur développement personnel et professionnel au sein de la compagnie », explique Céline Belkadi, conseillère RH.  

Le projet pilote mis en place dans l’équipe interactive a ainsi instauré 3 niveaux de compétences : junior, intermédiaire, senior. L’équipe des ressources humaines a mis en place des critères d’évaluation précis afin d’aider et d’accompagner les salarié.e.s à accéder à un autre niveau.  

L’évluation porte sur le savoir-être, savoir-faire et la collaboration, soit 3 fondements liés aux valeurs de Moment Factory, qui a pignon sur rue à Montréal, Paris, New York, Singapour et Tokyo.  

Création d’un mur interactif   

Au printemps, l’équipe des ressources humaines, en collaboration avec Kolegz, a aussi innové avec la mise en place d’un mur interactif.  D’un clic, les membres du personnel peuvent visualiser les postes disponibles et la description des tâches. « Les gens nous ont dit que c’était l’outil qu’il leur manquait pour évoluer au sein de la compagnie », explique Yolaine P. Bouliane, conseillère en développement et formation.  

Cela vient appuyer les rencontres d’évaluation en raison des critères clairs pour tout le monde. Cette initiative, qualifiée de succès, sera reproduite dans l’ensemble des départements de l’entreprise.  

Évoluer au sein de l'entreprise 

Face à l’absence de défis, dans de nombreuses compagnies du Québec, plusieurs sont tentés de prendre la porte de sortie.  

Chaque année, les gens de Moment Factory suivent des formations liées à leur plan de développement professionnel. Une vidéo montre, par exemple, les défis et une journée type d’un.e directeur.trice de création.  

Des « checks in » aux 3 mois 

Fait intéressant, Moment Factory entreprend des « checks in », soit des rencontres qui se tiennent 3 fois par année. Un document est envoyé à l’employé.e. qui doit répondre à 3 questions:

  • Quels sont tes objectifs ?  
  • Quel est ton feedback sur toi-même ?  
  • Quel est ta rétroaction sur ton ou ta gestionnaire ? 

« Le but c’est d’offrir une rétroaction positive et constructive lors de cette discussion bidirectionnelle », dit la conseillère RH, Céline Belkadi.  

La qualité de la rencontre est capitale. On souhaite une discussion ouverte qui permet à l’employé.e de s’exprimer librement sur ses objectifs de carrière et son développement professionnel. 

Évaluation 360 degrés  

Au début de l’année, chaque gestionnaire de différents départements chez Moment Factory soumet une liste de noms à l’équipe RH qui entreprenne une évaluation 360 degrés. Cela signifie de cueillir le feedback auprès de collègues et bien sûr du gestionnaire qui supervise son travail.  

Cette cueillette de renseignements peut prendre 1 à 2 mois. « L’avantage de cette vision 360 degrés permet d’obtenir un portrait réel concret de la performance de quelqu’un à travers ses proches collaborateurs.trices qui n’ont pas nécessairement de lien hiérarchique avec la personne », indique Céline Belkadi.  

Fait à noter, depuis 5 ans, les gestionnaires sont aussi évalué.e.s dans une perspective de 360 degrés.  


Saviez-vous que ? 

L’évaluation à 360° ou évaluation feedback est née aux États-Unis au 20e siècle et était dédiée à l’évaluation et au développement du gestionnaire. Présente en France dans les années 80, cette pratique est de plus en plus répandue au Québec.   


Équité et transparence  

Chez Moment Factory, les notions d’équité et de transparence reviennent souvent dans les discussions. « Pour nous, l’équité est importante et c’est pourquoi, on essaie de mettre en place un processus d’évaluation le plus équitable possible », précise Céline Belkadi.  

L’entreprise tient compte que chaque personne possède des atouts différents. « Nous tentons de trouver un moyen de tenir compte des forces et de respecter le rythme de chacun.e tout en répondant aux besoins d’une entreprise qui est en constant changement », illustre de son côté, la conseillère RH, Zoë Birnbaum Charbonneau.  

« Tout n’est peut-être pas parfait, mais on travaille constamment à s’améliorer », conclut-elle d’un ton empreint de bienveillance.