Ces biais inconscients qui freinent la performance au travail

06-06-2025
Ils sont invisibles, rapides, souvent bien intentionnés… Mais rarement fiables ! Les biais cognitifs sont à l’origine de nombreux jugements erronés en entreprise.
Rédigé par :
Elodie Leman, Pratiques RH
Biais négatifs

Les biais cognitifs sont abordés sous l’angle de la lutte contre les discriminations. Mais leur impact se fait ressentir dans de nombreuses dimensions de la gestion du personnel : reconnaissance, évaluation, collaboration, climat d’équipe, etc. 

Certains de ces mécanismes contribuent à rigidifier inconsciemment certaines perceptions, à limiter les profils valorisés au travail, ou encore à reproduire des inégalités dans les processus décisionnels.  

Si certains biais peuvent propulser la performance et la collaboration en entreprise, d’autres fragilisent les relations professionnelles. Tour de piste.

Penser plus vite n’est pas toujours penser mieux !

Des recherches cognitives ont permis d’identifier entre 200 et 300 biais cognitifs. Ces derniers ne sont pas des erreurs de raisonnement en soi, ils permettent au cerveau de trier rapidement l’information dans des situations complexes.  

Leur rôle initial est d’ordre adaptatif : aller à l’essentiel, dégager un sens immédiat à partir d’éléments partiels.

Mais dans les environnements professionnels, cette économie cognitive peut induire des interprétations faussées — particulièrement lorsqu’il s’agit d’évaluer des comportements ou des résultats.

« Le cerveau n’a pas toujours les ressources cognitives pour analyser une situation dans son entièreté, alors il sélectionne certains éléments pour prendre une décision rapidement », explique Janie Brisson, professeure au département d’éducation de l’UQAM et spécialiste des processus cognitifs.

Ce filtrage peut se faire au détriment d’une analyse plus nuancée : un ton de voix, un détail dans l’apparence ou un comportement isolé peuvent orienter la perception.

Des raccourcis qui peuvent nuire en milieu de travail

« Ces raccourcis peuvent nous nuire, notamment dans nos décisions de gestion et de recrutement », soulève Annie Boilard, présidente de Réseau Annie RH, qui indique au passage que personne n’échappe aux biais.  

Heureusement, plus l’individu en est conscient, plus il peut structurer sa pensée et éviter leurs effets négatifs.

Ces mécanismes se manifestent, par exemple, dans l’interprétation d’un silence en réunion, la perception d’un niveau d’engagement ou encore la lecture d’un comportement en situation d’incertitude. Dans chacun de ces cas, un biais peut s’imposer comme grille de lecture implicite, sans être interrogé.

Trois biais fréquemment observés dans les milieux de travail

Certains biais cognitifs s’infiltrent discrètement dans les interactions professionnelles. Heureusement, les repérer, c’est déjà commencer à les désamorcer !

Un projet développé à l’UQAM, l’encyclopédie virtuelle RACCOURCIS, propose de mieux comprendre les biais cognitifs et leurs effets dans les prises de position. « Nous proposons des pistes de réflexion pour contourner les biais cognitifs ou pour atténuer leurs effets sur notre compréhension du monde », explique Cloé Gratton, doctorante en psychologie et cofondatrice du projet.

Le biais d’essentialisme : une perception figée des individus

Parmi les biais décrits dans l’encyclopédie RACCOURCIS,  se trouve le biais d’essentialisme, un processus qui « pousse à croire que les groupes sociaux possèdent une essence propre », ce qui peut alimenter les généralisations.  

Ce mécanisme, observé en milieu de travail, se traduit par des raccourcis qui assignent des caractéristiques à une personne en fonction de son groupe d’appartenance. Ainsi, un employé jeune peut être jugé moins fiable par exemple, un profil expérimenté perçu comme rigide, ou une candidate écartée non pas pour ses compétences, mais pour ce qu’elle représente.  

« Le biais d’essentialisme nous pousse à figer des groupes dans des caractéristiques immuables, ce qui réduit l’individu à une appartenance »

- Janie Brisson

Ces perceptions influencent ensuite certaines décisions de gestion : elles peuvent limiter les possibilités d’évolution, orienter les responsabilités de manière stéréotypée ou freiner l’accès à des dossiers d’envergure.  

Comme le souligne l’experte, « ce qui est ‘nous’ et ce qui est ‘eux’ dépend du contexte social, identitaire et du moment ».  

Annie Boilard explique que l’effet de halo peut venir s’ajouter à l’équation et qu’il nous incite à accorder plus de confiance aux personnes qui nous ressemblent.  

« Que ce soit par leur parcours, leur apparence ou leur façon de parler. Ce biais peut être particulièrement problématique en recrutement, car il renforce la tendance du « qui se ressemble s’assemble », au détriment de la diversité. »

Définition

L’effet de halo est un biais cognitif qui consiste à généraliser une impression positive ou négative à l’ensemble d’une personne. En entreprise, cela se manifeste par le fait de valoriser ou dévaloriser une personne sur la base d’un seul aspect perçu (apparence, genre, titre, comportement, etc.).

Comment limiter ce biais au travail ?

Pour limiter ce biais dans un environnement professionnel, il est essentiel de remettre en question les généralisations implicites et de recentrer les évaluations sur des critères mesurables, plutôt que sur des suppositions liées à l’âge, au genre ou à l’origine.  

« Mettre en place des critères standardisés et favoriser les interactions entre profils variés permet également de nuancer les perceptions, tout en encourageant des lectures plus objectives des compétences », soutient Janie Brisson.

Le biais acteur/observateur : l’attribution asymétrique des comportements

Le biais acteur/observateur repose sur une dissymétrie dans l’interprétation des comportements selon leur observation chez soi ou chez les autres.  

Cela peut se traduire par un.e gestionnaire qui justifie son retard à une réunion par un imprévu, mais perçoit celui d’un membre de son équipe comme un manque de professionnalisme ou de rigueur.  

« Ce biais crée une discordance dans les interprétations et peut fragiliser les dynamiques d’équipe », souligne Janie Brisson.

En effet, à outrance, ce mécanisme mine la cohésion d’équipe, accentue les tensions interpersonnelles et fausse l’évaluation des situations. En contexte de gestion, il contribue à maintenir des interprétations stables - et parfois injustes - sur les personnes.

Comment limiter ce biais au travail ?

Pour limiter l’influence des biais cognitifs dans les processus d’évaluation ou de résolution de conflit, il est essentiel de structurer les décisions. « On ne peut pas seulement faire une formation sur les biais et penser que c’est réglé. Il faut modifier les processus décisionnels », insiste Annie Boilard.  

Le biais de désirabilité sociale : l’ajustement stratégique du discours

Ce biais se manifeste lorsqu’une personne adapte consciemment ou non ses réponses à ce qu’elle perçoit comme attendu ou valorisé socialement. Il peut concerner un échange individuel, un entretien d’embauche ou encore une réunion d’équipe.  

L’objectif n’est pas de mentir, mais d’éviter de se distinguer du groupe, de se mettre en difficulté ou de paraître inadéquat.e.

En entreprise, ce biais a des effets indirects, mais tangibles : des collaborateur.ice.s valident collectivement une décision sans adhésion réelle, certaines difficultés ne sont pas exprimées, des besoins sont tus pour préserver une image perçue comme conforme, etc.  

« Le biais de désirabilité sociale pousse à donner des réponses qui nous rendent socialement acceptables en milieu de travail, parfois au détriment de l’authenticité ou de la transparence. »

- Annie Boilard

Comment limiter ce biais au travail ?

Pour le contrer, il est possible de diversifier les formes de participation (anonymes, écrites, individuelles ou collectives), de valoriser les désaccords argumentés, ou encore de dissocier certaines prises de parole des enjeux de performance.

Structurer les pratiques pour atténuer l’effet des biais

Aucun milieu de travail n’est exempt de biais cognitifs. Leur présence est inévitable, mais leur impact peut être amoindri, surtout lorsqu’il entraine des discriminations et des situations de tensions qui minent les troupes.

Comme le rappelle Annie Boilard : « Structurer sa pensée, c’est aussi structurer les décisions. »

« Le regard d’un.e gestionnaire, ça peut changer une situation. »

- Janie Brisson

Certaines pratiques permettent de diminuer la part laissée à l’interprétation spontanée :

  • Clarifier les critères d’évaluation
  • Documenter les observations
  • Croiser les points de vue
  • Créer des espaces de discussion encadrée

« Ce n’est pas juste de dire aux gens « faites attention à vos biais », il faut les accompagner avec des processus clairs », insiste toutefois Annie Boilard.  

Les différentes expertes interrogées s’accordent à dire que certains biais, lorsqu’ils sont largement partagés ou intégrés dans les habitudes collectives, deviennent d’autant plus difficiles à détecter.  

Leur caractère implicite, souvent perçu comme neutre ou naturel, rend leur influence plus persistante, et donc plus difficile à remettre en question sans outils structurés.

De la sensibilisation, mais aussi une prise de conscience structurelle

C’est pourquoi les formations sur les biais inconscients ont été mises de l’avant au cours des dernières années.  

Mais selon la Revue Gestion, leur effet reste limité si elles ne sont pas accompagnées d’une transformation des processus organisationnels eux-mêmes.

Une fiche d’analyse produite par l’Université Laval en collaboration avec l’Institut EDI² précise également que « les formations à elles seules ne suffisent pas : elles doivent être accompagnées d’une transformation des structures organisationnelles pour avoir un impact durable ».

Ainsi, en les repérant dans les moments clés de la vie organisationnelle, il devient possible de mieux équilibrer les décisions — et de soutenir des environnements de travail plus justes, plus lucides et plus sains pour l’ensemble du personnel.