Personnes trans au travail : le rôle clé des RH pour une intégration réussie
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Le premier jour de travail est toujours stressant. Mais pour une personne trans, les enjeux vont bien au-delà de la simple intégration professionnelle.
En franchissant les portes d’une nouvelle entreprise, des appréhensions peuvent facilement se faire ressentir : les promesses d'inclusion, au-delà du genre, énoncées lors de l'entretien se traduiront-elles dans les faits ?
Comment les entreprises peuvent-elles véritablement favoriser l’inclusion et réussir l'intégration des personnes trans au travail ?
L'importance des premières interactions
Les premiers échanges au sein d’une équipe sont souvent révélateurs de la culture d’inclusion d’une entreprise, mais cette volonté d’accueillir tout le monde équitablement doit s'exprimer dès les toutes premières étapes.
Le processus de recrutement en pose les bases.
Définitions :
- Une personne transgenre (ou personne trans) : personne dont l’identité de genre ne correspond pas, en partie ou en totalité, au sexe qui lui a été assigné à la naissance.
- Une personne cisgenre : personne dont l’identité de genre correspond au sexe qui lui a été assigné à la naissance.
- Transphobie : attitudes négatives pouvant mener au rejet et à la discrimination directe ou indirecte envers les personnes trans ou perçues comme telles ou à l’égard de toute personne qui transgresse les normes et les conventions relatives au genre et au sexe. La transphobie peut mener à des actes de violence, dont l'intimidation. Elle peut donc porter atteinte à l’intégrité psychologique, physique ou sexuelle d’une personne.
- Non binaire : personne dont l’identité de genre se situe en dehors de la binarité femme/homme. Elle peut s’identifier à la fois comme homme et femme, ni comme homme ni comme femme ou partiellement à un seul genre.
Source : Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie du Gouvernement du Québec.
L'inclusion dès le recrutement : un premier pas essentiel
Dès le processus de recrutement, des signes peuvent être encourageants pour le.la candidat.e interpellé.e par une offre d’emploi : l’annonce d’embauche peut utiliser un langage épicène et les formulaires proposer une option non binaire en ce qui a trait au genre.
Ces éléments peuvent être révélateurs de la volonté de l’organisation d’embaucher une personne pour ses compétences concrètes, peu importe son identité de genre.
Cette approche inclusive ne se limite pas aux mots. Lors de l’entretien, l’équipe responsable du recrutement peut présenter les efforts déployés en matière d’équité, diversité et inclusion (EDI), ainsi qu’une politique de prévention du harcèlement signée par l’ensemble du personnel.
Selon les expert.e.s interrogé.e.s, ces actions ne sont pas que des déclarations d’intention ; elles peuvent contribuer à générer un sentiment de sécurité pour chaque potentielle nouvelle recrue, peu importe son identité.
L’importance de sensibiliser le personnel
« Il s’agit d’accueillir une personne, pas une catégorie, tout en respectant ses besoins spécifiques », relève Rafael Provot, directeur de l’OBNL Ensemble pour le respect de la diversité qui œuvre en matière d’éducation à la diversité.
Il ajoute qu’une personne trans doit pouvoir intégrer sa nouvelle équipe sans avoir à se justifier. Idéalement, les collègues ont été sensibilisé.e.s en amont aux bonnes pratiques par leur gestionnaire pour interagir avec elle avec bienveillance et tact.
Cela comprend notamment le respect des pronoms de la personne, ainsi qu’une éventuelle formation sur la transidentité et les enjeux de l’inclusion.
Par exemple, le programme ProAllié de la Fondation Émergence, outille des organisations à travers le Québec afin qu’elles soient des alliées et qu’elles participent activement à sécuriser les communautés LGBTQ+ au travail.
Ne pas placer le fardeau de l'éducation sur les personnes trans
La personne transgenre doit pouvoir se sentir progressivement à l'aise dans son nouvel environnement de travail. Mais les indiscrétions sur son parcours sont redoutées, même si elles sont souvent évoquées sans malice.
« Il y a une fine ligne entre être inclusif et être intrusif. Beaucoup veulent bien faire, mais ne savent pas toujours comment aborder le sujet. »
- Jamie Urra, une personne trans non binaire travaillant dans l’aérospatial
« Être out [ouvertement trans] ne veut pas dire être une ressource d’information », témoigne Jamie Urra.
Chris Bergeron, gestionnaire trans, VP chez Cossette, abonde dans le même sens et souligne qu’une personne trans n’est pas nécessairement une ressource, qui doit pouvoir tout savoir et tout expliquer. « On n’est pas des figures morales ou des porte-étendards de la diversité. Nous, ce qu’on revendique, c’est le droit à la normalité, avec tous les défauts et les qualités que ça représente. »
Il est essentiel que les collègues et les gestionnaires comprennent qu’il n’appartient pas aux personnes concernées d'éduquer les membres de leur équipe.
« Il existe de nombreuses ressources et organismes spécialisés pour former les entreprises. La charge ne devrait pas reposer sur la personne trans elle-même, car être désigné.e comme référence implique une pression immense : on se retrouve face à un tribunal populaire, avec le poids de représenter toute une communauté », précise Chris Bergeron.
Ressources
- Free to Be Me est une initiative fédérale canadienne qui propose des ressources et outils pour favoriser l’inclusion des personnes LGBTQ+ en milieu de travail.
- Pride at Work est une organisation qui accompagne les employeurs dans l’adoption de pratiques inclusives pour les personnes LGBTQ+ à travers des formations et des programmes de sensibilisation.
Éviter les maladresses et faire barrage à la discrimination
Les incidents sont toutefois une réalité : un mégenrage peut malheureusement vite arriver. Ce type de maladresse est toujours un moment délicat pour la personne concernée, mais fait partie des milieux de travail où diverses générations et cultures collaborent et ne se connaissent pas toujours bien.
Définition :
Mégenrer, c'est utiliser un genre et/ou un pronom qui ne correspond pas à l'identité de genre d'une personne.
« Il faut comprendre qu’un commentaire transphobe, ce n’est pas une opinion, c’est une insulte, relève Chris Bergeron. Et que protéger une personne trans, ce n’est pas un débat, c’est une obligation légale. Si vous faites une simple erreur par inadvertance, excusez-vous simplement et poliment. »
Kim Forget-Desrosiers, coordonnatrice des services à l’Aide Aux Trans du Québec (ATQ) qui offre plusieurs ressources et formations, ajoute que la présence d’une politique anti-harcèlement efficace dans l’entreprise est essentielle. « Avoir une politique, c’est bien, mais encore faut-il qu’elle soit appliquée », souligne-t-elle.
Ce que prévoit la Loi
La Charte des droits et libertés de la personne du Québec (article 10) interdit toute discrimination fondée sur l'identité ou l'expression de genre. Depuis 2016, cette protection inclut les personnes trans, et le mégenrage répété peut être considéré comme une forme de discrimination. En entreprise, cela oblige les employeurs à respecter les pronoms et le genre des employé.e.s sous peine de violer leurs droits fondamentaux.
Le rôle clé des RH dans la transition de genre
L’organisation et le personnel responsable des ressources humaines peuvent également épauler la personne trans dans son parcours de transition en respectant sa confidentialité, et en s’assurant que les étapes administratives sont simples et adaptées à ses besoins.
« Le soutien des RH est crucial pour alléger le poids des annonces et des changements », indique Zayil Brun, chargé de projets à l’ATQ.
Un accompagnement proactif permet de se sentir soutenu.e et rassuré.e par son employeur, assurent les personnes trans en situation d’emploi interrogées.
C’est notamment le cas de Jamie Urra qui confie que « chaque petite demande pour faire reconnaître et respecter son identité devient une bataille véritablement épuisante. Le moindre soutien de l’employeur est toujours bienvenu ».
Pour Chris Bergeron, chaque employé.e trans devrait bénéficier d’un suivi personnalisé, une méthode de traitement de l’information et d’accompagnement qui lui convient. « Ce n’est pas à faire systématiquement, mais selon le besoin de la personne. »
Accompagner la transition en entreprise
Desjardins a mis en place un guide pratique qui présente des recommandations pour accompagner les employé.e.s en transition, notamment via un soutien RH dédié.
Vers une inclusion systémique des personnes trans
L’inclusion ne se limite pas à une série de gestes symboliques ou de premières bonnes impressions. C'est bien souvent dans les interactions du quotidien que se joue la véritable qualité de l'intégration.
La discrimination des personnes trans au travail
Selon une étude menée par la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais, 60 % des personnes trans et non binaires ont vécu de la discrimination au travail au Québec. Des politiques claires et des formations régulières permettent de réduire considérablement ces chiffres.
Des infrastructures adaptées : toilettes et vestiaires
Au-delà des aspects sociaux, l'accès à des infrastructures adaptées peut rapidement devenir un enjeu quotidien, explique Jamie Urra. « Les aménagements physiques de l’entreprise jouent un rôle primordial pour le bien-être des personnes trans. ».
En effet, lors de la pause, une personne trans est confrontée à un moment délicat : choisir les toilettes. Lors de travaux, il est possible, par exemple, d’installer des sanitaires unisexes ou simplement d’indiquer que la salle de bains est pour tout le monde.
« Installer des toilettes non genrées envoie un message fort, explique Zayil Brun de l’ATQ. C’est un petit changement qui peut sembler anodin pour les personnes cisgenres, mais qui a un impact énorme sur le bien-être des employé.e.s trans ou non binaires. Cela représente une avancée majeure ».
Ce genre d’aménagement est significatif pour montrer aux employé.e.s qu’ils.elles ne sont pas simplement toléré.e.s.
Les entreprises peuvent d’ailleurs s’appuyer sur L’ATQ qui offre plusieurs conseils concernant la création d'environnements inclusifs.
Inclusion des personnes trans : un véritable levier de rétention
La mise en action de pratiques inclusives, combinée à un climat de respect au quotidien, permet aux employé.e.s trans de trouver leur place au travail sans craindre de jugement.
Selon Chris Bergeron, un.e employé.e qui se sent respecté.e et à l’aise va développer un véritable sentiment d’appartenance. « Se sentir accepté.e et en sécurité dans son environnement professionnel, ça n’a pas de prix. Il faut dire oui aux traitements spéciaux quand ils sont nécessaires – comme des accommodements sur le temps médical, des assurances ou des mesures contre la discrimination –, mais non aux ambitions réduites. »
L’essentiel, selon elle, est de parler du travail au travail. Une fois que l’employé.e est en poste, il faut que les conversations tournent autour des projets et des objectifs, comme pour n’importe qui d’autre. « L’identité de genre ne doit pas devenir un sujet permanent », souligne-t-elle.
« Une personne qui se sent à l’aise et respectée va naturellement donner le meilleur d’elle-même. L’inclusion, ce n’est pas juste une question de valeurs, c’est aussi une approche qui bénéficie à toute l’entreprise. »
- Chris Bergeron
Les expert.e.s interrogé.e.es s’accordent pour dire que les pratiques inclusives n’attirent pas seulement des talents issus des communautés LGBTQ+, elles contribuent aussi à accroître le bassin de profils à la recherche d’environnements de travail respectueux et ouverts. L’inclusion est notamment une valeur incontournable recherchée par la main-d’œuvre de la génération Z.
« Chaque fois qu’une entreprise communique clairement sur ses pratiques inclusives, cela rassure. Des personnes compétentes postulent parce qu’elles savent qu’elles pourront travailler sans avoir à se battre pour exister », fait valoir Chris Bergeron.
Ainsi, une bonne intégration des personnes trans et non binaires, au-delà de générer des milieux de travail sains, renforce la marque employeur et stimule l’innovation au sein des équipes plus diversifiées.