Favoriser l'insertion professionnelle des personnes judiciarisées
Bien que les valeurs d’équité et d’inclusion priment au sein de la majorité des entreprises québécoises, bon nombre de craintes peuvent se manifester au moment d’embaucher une personne disposant d’un dossier judiciaire.
Il est vrai que surpasser les préjugés auxquels cette clientèle se heurte est le premier pas pour encourager sa réinsertion professionnelle. Toutefois, d’autres mesures doivent être mises de l’avant afin de pouvoir intégrer avec succès ces employé.e.s dans leur milieu de travail.
Limiter la discrimination à l’embauche en lien avec la vérification des antécédents judiciaires
David Henry, directeur général de l’Association des services en réhabilitation sociale du Québec et criminologue, est d’avis qu’il faut « limiter ou éliminer la discrimination à l’embauche en lien avec les vérifications des antécédents criminels qui n’ont pas toujours de lien avec le poste offert ».
Il rappelle que l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés stipule clairement qu’un employeur ne peut pénaliser une personne judiciarisée si l’offense commise par celle-ci n’a pas de lien direct avec l’emploi offert.
« Nul ne peut congédier, refuser d'embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n'a aucun lien avec l'emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon »
- Article 18.2 de la Charte des droits et libertés
Il poursuit en soutenant qu’il est essentiel d’analyser avec soin les informations obtenues si la vérification du casier judiciaire fait partie intégrante du processus de recrutement.
« La vérification des antécédents judiciaires, si on le fait, implique de bien vérifier le contexte de l’infraction, le nombre d’années écoulées depuis celle-ci, le cheminement personnel de cette personne ainsi que l’obtention potentielle d’un pardon ».
Marie-Hélène Richard, coordonnatrice à La Jonction et spécialiste dans le recrutement de personnes judiciarisées, soutient qu’il est important de se questionner sur les pratiques utilisées au sein de l’entreprise.
« Il faut remettre périodiquement à jour les pratiques d’embauche afin de s’assurer que celles-ci sont toujours pertinentes et n’encouragent pas la discrimination lors du recrutement d’employé.e.s judiciarisé.e.s », soulève-t-elle.
David Henry incite les employeurs à se poser la question suivante : est-ce que l’ensemble des restrictions présentes à l’embauche sont toujours nécessaires, et ce, pour tous les emplois ?
L’expert les encourage à être moins catégoriques dans le refus des candidatures provenant de gens judiciarisés et à déterminer des critères d’embauche précis pour chaque type d’emploi.
Faire preuve d’ouverture et voir au-delà du casier judiciaire
Selon l’ancien intervenant chargé du suivi en communauté de personnes délinquantes, la discrimination à l’embauche peut également être prévenue d’une autre façon.
« Les employeurs doivent être ouverts à l’embauche de personnes judiciarisées et porter leur attention sur les compétences significatives que ces travailleur.euse.s ont pu développer et sur leurs expériences professionnelles ».
D’ailleurs, il précise que les employé.e.s ayant un casier judiciaire veulent justement être reconnu.e.s pour leurs compétences, « pour ce qu’ils ou elles peuvent amener à l’entreprise et non pas pour ce qu’ils.elles ont pu faire dans le passé », insiste-t-il.
Marie-Hélène Richard est également d’avis que cette ouverture est le premier pas à franchir pour permettre une bonne intégration de la main-d'œuvre judiciarisée en entreprise.
« Le plus important, c’est de prendre le temps de voir au-delà du casier judiciaire. Est-ce que la personne a les compétences ou de l’expérience par rapport au poste ? »
- Marie-Hélène Richard, coordonnatrice à La Jonction
Elle ajoute qu’il est pertinent de tenir également compte du niveau de motivation de l’employé.e, ceci pouvant contribuer à faciliter l’intégration et le maintien en emploi.
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Faire appel aux organismes spécialisés dans l’intégration des gens judiciarisés en emploi
David Henry souligne qu’il existe un grand nombre d’organismes au Québec disposant d’une vaste expérience dans l’accompagnement de personnes judiciarisées.
« Ceux-ci peuvent accompagner sur le long terme leurs participant.e.s et c’est vraiment au bénéfice des entreprises, relève-t-il. Il peut même y avoir des liens directs entre l’entreprise, le.la superviseur.e et l’intervenant.e d’une ressource spécialisée pour discuter d’un aspect du travail de l’employé.e ».
« Favoriser l’intégration, c’est utiliser le soutien offert par les ressources spécialisées qui travaillent auprès de la clientèle judiciarisée »
- David Henry, directeur général de l’ASRSQ
C’est notamment le cas pour La Jonction, lequel fait un suivi des candidat.e.s après leur placement en emploi. Celui-ci est d’une durée moyenne de 3 à 6 mois et peut prendre la forme de visites sur le lieu de travail de l’employé.e et de contacts téléphoniques.
D’ailleurs, Marie-Hélène Richard précise que les gens judiciarisés qui font appel aux services d’organismes comme La Jonction bénéficient d’un plan d’intervention pour favoriser leur intégration en emploi.
« Des agent.e.s d’intégration font le contact directement avec les entreprises et ces dernières leur transmettent les critères d’embauche », ajoute-t-elle.
Les restrictions liées au recrutement d’une personne judiciarisée au sein de l’entreprise sont donc abordées afin de s’assurer d’un bon jumelage entre l’employé.e et le milieu de travail.
Pour aller plus loin
Le recours aux subventions salariales
Comme le souligne Marie-Hélène Richard, les personnes judiciarisées sont admissibles à une aide financière par l’entremise de Services Québec.
Elle mentionne que La Jonction possède d’ailleurs un partenariat avec cet organisme, ce qui lui permet de savoir quels sont les programmes admissibles à l’aide financière disponible et qui peut s’appliquer à ce type de clientèle.
Dans certains cas, ce soutien financier peut même couvrir les frais relatifs aux formations d’appoint ainsi qu’à l’accompagnement de la personne.
Un plan d’intégration pour une recrue judiciarisée : pas nécessairement !
Lorsqu’il est question d’accueillir au sein d’une entreprise une personne judiciarisée, la question de savoir s’il pourrait être utile d’avoir un plan d’intégration spécifique se pose.
« Les personnes judiciarisées veulent être traitées comme tout le monde sur le marché du travail et ne pas sentir qu’elles sont encore une fois stigmatisées et même mises à part », croit toutefois David Henry.
Marie-Hélène Richard est du même avis. « Il suffit d’avoir un plan d’intégration en emploi, comme cela serait le cas pour n’importe quel.le employé.e ». Elle précise toutefois que certains ajustements peuvent aider le processus d’intégration en emploi de ce type de clientèle.
« Si quelqu'un n'est pas prêt à retourner tout de suite à temps plein, il peut être judicieux pour l’employeur de revoir l'horaire de travail, de voir s'il y a des ajustements possibles et de faire un suivi peut-être plus rapproché pour s'assurer que tout se déroule bien de son côté », soutient-elle.
Offrir de la formation et un accompagnement personnalisé : la clé d’une intégration réussie
Selon elle, c’est davantage la formation en milieu de travail que la présence d’un plan d’intégration à proprement parler qui peut faciliter l’insertion et le maintien en emploi de la clientèle judiciarisée. Pour certain.e.s, cette formation peut faire toute la différence en leur permettant de se familiariser plus rapidement avec leurs tâches.
La spécialiste précise que l’accompagnement à offrir devrait toutefois différer en fonction du parcours de la recrue. En effet, pour plusieurs, l’emploi obtenu constituera en une première expérience professionnelle sérieuse dans leur domaine, alors qu’un.e autre employé.e peut avoir déjà plusieurs années d’expérience à son actif malgré son casier judiciaire.
« C’est sûr que l’accompagnement va être différent d’une personne à l’autre, il faut vraiment évaluer au cas par cas et être à l’écoute »
- Marie-Hélène Richard
Marie-Hélène Richard poursuit en soulignant qu’il faut également faire preuve d’ouverture et offrir un environnement de travail accueillant. « Ces conditions favorisent à la fois l’intégration et le maintien en emploi ».
Une main-d'œuvre à ne pas sous-estimer
L’intégration sur le marché du travail peut représenter un parcours semé d’embûches pour les employé.e.s dont le parcours professionnel est souvent atypique.
Il n’en demeure pas moins qu’ils.elles ont de réelles compétences à faire valoir en entreprise, ce qui est chose possible lorsque les entreprises demeurent ouvertes à leur offrir un emploi ainsi qu’une limitation de la discrimination à l’embauche.
S’il est vrai qu’il est impossible d’effacer le passé, prendre la chance de regarder vers l’avenir peut ouvrir la porte à cette main-d'œuvre souvent motivée à retrouver sa place dans une entreprise où ses compétences seront valorisées.