Devenir un employeur inclusif : ça ne s’improvise pas !

Comment devient-on un employeur inclusif ? La conseillère et enseignante en EDI à l’Université Laval Sana Bouajila suggère de commencer par un exercice de réflexion et, par la suite, de privilégier diverses actions, dont la mise en place de formations au personnel.
Évaluer honnêtement la situation de l’entreprise
L’experte recommande aux dirigeant.e.s qui ont la volonté de mettre l’inclusion au cœur de ses valeurs et pratiques organisationnelles de réaliser d’abord son propre autodiagnostic en répondant à quelques questions.
- Suis-je équitable ? L’entreprise bénéficie-t-elle de ressources nécessaires afin que les membres du personnel puissent progresser dans leur carrière ? Les opportunités sont-elles distribuées équitablement ?
- Mes équipes ont-elles le sentiment d’être à leur place, bien traitées, reconnues et respectées ?
- Est-ce que mon organisation prend le temps d’évaluer et de revoir ses processus RH afin de déceler les biais inconscients* qui peuvent favoriser certains profils et en désavantager d’autres ?
*Biais inconscient : Il s’agit d’un préjugé en faveur ou à l’encontre d’une personne ou d’un groupe. Il est influencé par les facteurs tels que l’âge, l’apparence physique, le genre, la religion d’un individu.
La discrimination à l'embauche : premier frein à l'inclusion
Interroger les processus de recrutement constitue une base importante afin de voir un changement s’opérer au sein de l’entreprise.
« On préfère travailler et embaucher des personnes qui nous ressemblent et souvent, on ne veut pas que les choses changent », indique Olivia Baker de la Fondation Émergence dans un article qui porte sur l’inclusion des personnes LGBTQIA+ en entreprise.
Dans un même ordre d’idée, la discrimination ferme littéralement des portes aux personnes d’origine différente. En effet, il a été démontré lors d’une étude effectuée en 2019 par un sociologue de l’Université Laval, que les recruteur.ice.s rejetaient systématiquement les CV qui portaient des noms non francophones.
Le lexique de base de l’EDI
- Équité : Traitement juste, visant notamment l’élimination des barrières systémiques qui désavantagent certains groupes. Un traitement équitable n’est pas nécessairement identique pour tous et toutes, mais tient compte des différentes réalités, présentes ou historiques, afin que toutes les personnes aient accès aux mêmes opportunités en matière de promotion et de soutien à la recherche.
- Diversité : Présence, au sein de l’écosystème, de personnes provenant de différents groupes, ce qui favorise l’expression de points de vue, d’approches et d’expériences variées, incluant ceux des groupes sous-représentés.
- Inclusion en milieu de travail : Mise en place de pratiques permettant à l’ensemble des membres de la société d’être et de se sentir valorisés, soutenus et respectés, en portant une attention particulière aux groupes sous-représentés au sein des entreprises et/ou organisations.
Pour aller plus loin
Recruter en misant réellement sur la diversité
La spécialiste EDI Sana Bouajila estime important de bien accompagner les personnes issues de la diversité qui ont, comme tout le monde, des aspirations personnelles et professionnelles.
« Il est important de leur offrir un accompagnement adéquat et non infantilisant, puis de comprendre leurs besoins », ajoute-t-elle.
Certes l’emploi attire, mais c’est le milieu qui retient, relève l’experte. « Si ce milieu n’est pas sain, sécuritaire et bienveillant, dit-elle, les personnes partiront. »
La spécialiste en EDI rappelle qu’embaucher des personnes issues de la diversité, c’est recruter des personnes issues de la diversité ethnoculturelle, mais c’est également penser également aux personnes handicapées, neurodivergentes, aux membres des communautés LGBTQIA+, etc.
De plus, l’employeur peut privilégier des offres d’emplois inclusives afin d’attirer par exemple les femmes et les personnes non binaires, et démontrer son intérêt à évaluer uniquement les candidat.e.s sur leurs compétences et leur expérience, sans préjugés liés à leur identité de genre.
« Finalement, il faut que les personnes qui embauchent soient sensibilisées et outillées pour déconstruire leurs biais inconscients », ajoute Mme Bouajila.
Des erreurs à éviter dans l’embauche d’une recrue
Consultante en ressources humaines et spécialiste en recrutement de talents dans le domaine manufacturier, Marie-Julie Côté conseille des chef.fe.s d’entreprise afin d’éviter les préjugés durant le processus de sélection des candidat.e.s. Souvent, les employeurs n’en ont pas conscience. Elle donne deux exemples.
« Je veux engager un directeur », lui dit un dirigeant d’une PME. « Pourquoi un directeur ? Pourquoi pas une directrice ? », invoque alors Mme Côté qui remarque l’automatisme d’aller vers un homme, notamment pour les postes hiérarchiques.
Un autre employeur lui demande son aide pour le recrutement d’un.e directeur.ice d’usine, mais n'est pas très ouvert à l’idée que cette personne soit ingénieur.e.
Le rôle de la chercheuse de talents est alors de se concentrer sur l’expérience, les compétences de gestion de la personne tout en se fiant sur les tests psychométriques des candidat.e.s.
Du coup, le domaine d’études a été omis volontairement de l’évaluation. Finalement, la personne idéale qui est ressortie du lot avait... une formation en ingénierie. Comme quoi, il ne faut vraiment pas se fier aux préjugés.
Ce genre de processus permet du même coup d'écarter les éléments liés à l’origine culturelle ou encore à l’identité de genre d’une personne candidate afin de considérer son profil équitablement.
Faire attention aux apparences de diversité
Lorsqu’il est question d’EDI, il faut se méfier d’une tendance qui prévaut au Québec, mais aussi ailleurs dans le monde.
La conseillère et enseignante en EDI Sana Bouajila met en garde les employeurs face au danger d’embaucher des personnes de différents milieux, et ce, par simple préoccupation de pourvoir un poste ou encore pour se donner une belle image.
« Qu’est-ce que cela donne si les gens ne sont pas écoutés, réellement inclus ou encore n’ont pas accès aux mêmes opportunités que les autres? La diversité n’est pas une case à cocher. Il faut certes travailler sur la sélection et l’attraction, mais aussi sur le développement de carrière et le maintien en emploi »
- Sana Bouajila, enseignante et experte EDI
Cette diversité de façade de plus en plus dénoncée est en réalité ce qu’on appelle le tokénisme*.
*Tokénisme (ou la diversité de façade) : Dérivé du mot anglais « token » qui signifie jeton. Cela implique d’agir superficiellement pour soutenir l’équité, diversité, inclusion, sans pour autant prendre de mesure substantielle. Dans ce cas, la diversité devient un élément que les organisations se mettent à cocher sur une liste, sans rien faire de concret.
La clé d’une politique EDI concrète : leadership, formation et sensibilisation
La spécialiste Sana Bouajila suggère de concrétiser l’engagement envers l’inclusion, l’équité et la diversité par de réelles actions au sein des organisations. Cela signifie l’instauration d’une culture organisationnelle incluant des valeurs, croyances, et attitudes clairement définies.
Dans le monde du travail, le leadership inclusif fait partie des tendances qui sont importantes aux yeux des travailleur.euse.s, notamment des plus jeunes générations. Cela signifie que les gestionnaires, les leaders des entreprises soient elles-mêmes des personnes inclusives afin que la culture le soit.
Si plusieurs dirigeant.e.s adoptent des politiques pour contrer le harcèlement, il reste toutefois encore des pas de géant à faire quant à l’adoption systématique de politiques anti-discrimination, estime l’experte.
Pas de tolérance pour les micro-agressions
À l’heure du lunch, des employé.e.s et gestionnaires ont parfois connaissance d’une blague ou d’un commentaire déplacé qui constitue une micro-agression et qui contribue à un climat de travail non inclusif.
« Il faut prendre ces allégations au sérieux et y répondre d’une manière appropriée par une enquête approfondie, des mesures disciplinaires et de soutien envers les victimes, un peu comme on le fait pour le sexisme dans les entreprises »
- Sana Bouajila
Concernant les attaques envers la couleur de peau, l’orientation sexuelle, l’apparence physique ou encore l’origine d’une personne, la spécialiste recommande la création au sein de l’entreprise d’une procédure confidentielle signalant tout incident raciste ou discriminatoire.
Agir pour la création d’un environnement de travail exemplaire
Mme Bouajila estime que les employeurs doivent agir concrètement afin de démontrer leur engagement envers un environnement de travail respectueux et inclusif.
« Outre l’application des politiques internes et d’interventions RH appropriées, il faut également offrir un soutien aux personnes qui ont été affectées, que ce soit par des conseils, des ressources internes ou un accompagnement externe », suggère-t-elle.
Enfin, un plan d’action efficace en matière d’EDI doit contenir des formations pour l’ensemble du personnel. Une ressource externe et experte est à considérer. L’important, c’est de ne pas improviser, soutient l’experte.
Les employé.e.s comptent alors sur ces outils afin d’adopter des comportements inclusifs au quotidien qui favorisent un climat de travail respectueux et collaboratif.
Évidemment, il est essentiel que la direction soit pleinement engagée dans ce processus et montre l'exemple en incarnant elle-même les valeurs d’équité, de diversité et d’inclusion.