Grossophobie au travail : la reconnaitre pour mieux y remédier

02-05-2024
Comment identifier les signes de la grossophobie au travail et favoriser un environnement respectueux et accueillant ?
Rédigé par :
Annie Bourque, Pratiques RH
Grossophobie au travail

Le diktat de l’apparence corporelle à tout prix dans nos sociétés occidentales, influence-t-il le milieu du travail ? Explications de la grossophobie1 qui commence par une prise de conscience de son existence.

En novembre 2023, l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) et le Collectif Vital ont annoncé qu’une quinzaine de municipalités du Québec adoptaient une résolution en faveur d’un milieu inclusif et bienveillant  pour prévenir la grossophobie en milieu de travail.

Fassett, une ville de 500 habitant.e.s située en Outaouais fait figure de pionnière dans son engagement concernant la prévention de la grossophobie. Une décision adoptée à l’unanimité par le conseil municipal.

« Nous voulons contribuer à valoriser les différences de chacun que ce soit à l’égard du poids, des croyances religieuses ou de l’orientation sexuelle. Cela représente une valeur pour nous »- François Clermont, maire de Fassett.

Communication axée sur l’empathie et l’écoute

À titre d’employeur, la municipalité prône une communication authentique axée sur l’empathie et l’écoute. Un tel environnement aide à diminuer le sentiment d’isolement de ceux et celles aux prises avec un surplus de poids.

En préconisant une bonne attitude et de bons comportements à l’égard du poids, M. Clermont est convaincu de l’impact positif sur le climat organisationnel. « Lorsque les membres du personnel sont bien reçu.e.s avec leurs différences, les gens vont se sentir plus heureux », pense-t-il.

De plus, l’ajout de mobilier adéquat, par exemple, devient une condition propice à la productivité et au confort de chacun.e.

Les micro-agressions qui illustrent la grossophobie

M. Clermont est conscient que plusieurs souffrent en silence de leur état. L’autrice Édith Bernier en témoigne dans ses livres et conférences. En entrevue avec Pratiques RH, Mme Bernier évoque un événement discriminatoire vécu dans son milieu professionnel. Installée à son poste de travail, une collègue l’approche en disant : - « La rencontre avec le groupe de perte de poids est à quelle heure ? »

Non, il ne s’agissait pas d’une blague, mais sans doute d’une maladresse. Mme Bernier a répondu qu'elle n'en faisait pas partie. À un autre moment, quelqu’un a exprimé un commentaire désobligeant à propos d’un club sandwich qu’elle mangeait à l’heure du lunch. « Certains employeurs ont beau mettre en place des chaises adéquates pour les personnes dites grosses2 fait-elle valoir, mais cela ne donne rien si on continue de tolérer les remarques ou blagues sur le poids. »

La pire situation, selon elle, c’est de recevoir discrètement ce regard de dégoût. Un prélude indéniable à un climat toxique.

Contenu supplémentaire

Les conséquences de la grossophobie

2,3 millions d’adultes au Québec vivent avec un surplus de poids. Les victimes de cette discrimination ont une faible estime de soi, éprouvent une insatisfaction corporelle et sont susceptibles de vivre une détresse psychologique et même de développer des troubles de l’alimentation. 


Lexique pour mieux comprendre la grossophobie  

1Grossophobie : ensemble de stéréotypes4, préjugés et comportements négatifs qui visent à rabaisser, à stigmatiser ou à mettre à l’écart les personnes grosses2

2Gros ou grosse : ce mot est utilisé à titre descriptif au même titre qu’une personne est mince ou blonde.   

3Obésité : ce mot réfère à un terme médical. « Cela fait des années qu’on médicalise les corps gros. Cela est extrêmement stigmatisant d’entendre les expressions « guerre au surpoids ou à l’obésité », fait voir Édith Bernier.  

4Stéréotype : il s’agit d’idées toutes faites ou des images caricaturales qui influencent négativement notre façon de percevoir les gens. Le cinéma illustre ces stéréotypes de personnes grosses à travers des personnages secondaires dont le caractère est loin d’être héroïque.  

5Le culte de la minceur consiste à associer, à tort la minceur à la beauté à la santé ou la réussite. Cette pression engendre une préoccupation excessive à l’égard du poids et provoque une insatisfaction corporelle en nuisant à la santé mentale et physique.


4 solutions pour prévenir la grossophobie en milieu de travail

  1. Inclure la grossophobie dans la politique sur le harcèlement 
    Les personnes interrogées pour cet article suggèrent aux employeurs d’inclure l’interdiction de commentaires désobligeants ou moralisateurs liés au poids dans la politique de harcèlement au travail. Une façon de dire tolérance zéro face à la stigmatisation et au rejet des personnes en surplus de poids.
  2. Formation sur la grossophobie et l’ÉDI
    À l’heure du lunch, des entreprises font appel à des formateurs.trices spécialisé.e.s dans les micro-agressions et l’ÉDI (équité, diversité, inclusion).  L’autrice Édith Bernier démystifie aussi le phénomène de la grossophobie. Une façon de prendre conscience des préjugés et biais inconscients et d’apprendre à mieux communiquer sur le sujet. 
  3. Espace sécuritaire et bienveillant
    Par l’entremise d’un questionnaire ou lors d’une discussion bienveillante avec son gestionnaire, les salarié.e.s expriment leurs besoins spécifiques en matière d’équipements.
  4. Mobilier adapté à la taille et corpulence de chacun.e
    Les dirigeant.e.s. tiennent compte des suggestions du personnel en adaptant leur mobilier, comme par exemple, l’ajout de chaises de travail sans appuie-bras, ajustables et convenables à la corpulence de chacun.e.   

Attention aux nouvelles propositions « santé »

Aujourd’hui, bon nombre d’employeurs prêchent des initiatives « santé » favorisant, par exemple, l’exercice et la saine alimentation dont manger davantage de fruits et légumes. « Toutefois, derrière ce discours, veut-on vraiment valoriser la santé ou cela devient-elle une excuse pour une perte de poids ? », s’interroge de son côté l’avocate Josiane Rioux-Collin, professeure au département des sciences juridiques à l’UQAM.  

Édith Bernier abonde dans le même sens. Il faut être vigilant.e, selon elle, et dire non aux concours de perte de poids dans les entreprises. Puis, de s’assurer que les activités de remise en forme dans les organisations ne deviennent pas un prétexte à la grossophobie.  

« Depuis notre jeunesse, dit-elle, nous sommes exposé.e.s au culte de la minceur5 dans les médias. » Les magazines s’adressant majoritairement aux femmes illustrent qu’une telle a perdu X kilos et la semaine suivante, une autre célébrité, après la naissance de bébé, a retrouvé sa taille de guêpe.

Prévenir les préjugés et biais inconscients  

Depuis de nombreuses années, les préjugés et biais inconscients persistent à l’égard des personnes ayant de l’embonpoint. « Les gens pensent qu’elles sont paresseuses, travaillent moins fort, manquent de volonté et sont moins efficaces », déplore Édith Bernier.  Des études effectuées dans les pays occidentaux corroborent malheureusement ses propos.

Lors d’une entrevue de sélection, plusieurs employeurs gardent malheureusement en tête de telles pensées. Les spécialistes du recrutement doivent donner la chance aux candidat.e.s, de prouver leurs compétences, croit Hendrik Pineda, porte-parole du Collectif vital, un organisme gouvernemental qui prône des communications saines sur le poids.

 « Il faut leur donner au moins la possibilité de faire les tests de sélection, sinon, cela devient de la discrimination avant embauche », dit-il.

M. Pineda suggère d’éviter toute forme de jugement concernant une personne corpulente. « On ne connait pas sa réalité. Elle est peut-être en santé, mange bien et fait de l’exercice physique », ajoute-t-il. De plus, il existe une panoplie de facteurs liées à la prise de poids dont la génétique, l’environnement socio-économique, le manque de sommeil, le stress.

Le saviez-vous ?

Certaines maladies hormonales ainsi que la prise de médicaments pour contrer la dépression, l’anxiété, les migraines ou l’épilepsie jouent aussi un rôle sur l’augmentation pondérale.

Au travail, plusieurs jugent les personnes en surpoids lorsqu’elles mangent un fruit, font de l’activité physique ou succombent à un sac de chips. M. Pineda suggère de réfléchir à nos propres préjugés afin de réussir à les déconstruire.

Le syndrome « c’est de sa faute »

De son côté, l’avocate Josiane Roux-Collin estime que les biais inconscients sont liés à la société qui valorise les efforts individuels et la performance. En fait, les gens croient erronément au syndrome « c’est de sa faute » si Paulo ou Ghislaine (noms fictifs) pèsent tel poids.

« Cela m’attriste de la façon dont on discute du poids de quelqu’un. Dit-on d’une personne atteinte de surdité qu’il s’agit de sa faute ? »

Mme Roux-Collin a écrit un mémoire de 40 pages portant sur une dizaine de cas d’employé.e.s, victimes de discrimination en raison de leur poids. L’autrice analyse les cas d’une réceptionniste d’un hôtel, congédiée en raison de son embonpoint ou d’une jardinière horticultrice et policier dont le droit à l’embauche a été compromis en raison de la discrimination.

Reconnaitre la grossophobie comme un motif de discrimination

Entretemps, le Québec amorce une timide percée dans la lutte à la grossophobie. En 2010, la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine a proposé une Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée. Puis, une pétition est lancée à la fin novembre 2019 afin que la grossophobie soit reconnue comme un des 14 motifs de discrimination dans la Charte québécoise des droits et libertés.

Déjà, des pays comme la Finlande, l’Espagne, la France et des villes américaines comme San Francisco, Washington et Madison ont légiféré afin d’interdire la discrimination basée sur la taille, le poids et/ou l’apparence physique.

La discrimination au travail en chiffres

Des progrès à pas de tortue

Depuis ce temps, le mouvement de diversité corporelle est de plus en plus présent dans l’espace public, croit Hendrix Pineda du Collectif Vital. « On ne dit pas que le surpoids ne représente pas un risque pour la santé, bien au contraire. Le but est de réfléchir à comment on communique sainement sur le sujet », dit-il.  

La diversité corporelle, selon Édith Bernier, c’est d’avoir un regard moins dur et plus positif sur le corps des autres et ce, même si ces derniers ne représentent pas forcément les standards de beauté présentés dans les médias et la société en générale.

La société avance lentement face à la grossophobie en milieu de travail. Toutefois, une lueur d’espoir subsiste. Dans les médias et émissions de télévision au Québec, les producteurs engagent de plus en plus des personnes rondes qui excellent dans leur domaine.

« Certes, il y a une évolution, observe l’autrice Édith Bernier. Il ne faut toutefois pas tomber dans la tokenisation qui se traduit par la diversité de façade. Une entreprise va par exemple prioriser dans son recrutement une personne racisée, une autre en fauteuil roulant, une sourde, etc. Je pense qu’il faut recruter la personne pour ses compétences et non pour se donner bonne conscience comme employeur », met en garde Mme Bernier.