Évaluation annuelle : encore nécessaire à l’heure de la rétroaction continue ?

31-03-2025
Les gestionnaires et le personnel connaissent bien l’étroite relation qui existe entre l’évaluation annuelle, le salaire et les opportunités d’avancement. Voilà pourquoi elle suscite son lot de stress pour ceux et celles qui l’anticipent et une lourde planification pour les responsables d’équipe.
Rédigé par :
Karine Dutemple, Pratiques RH
Evaluation anuelle

Bien que toujours présente dans de nombreuses entreprises, l’évaluation annuelle est de plus en plus remise en question.

Un changement de cap se manifeste, marqué par une interrogation : l’entretien annuel de performance est-il en train de disparaître ? De quelle manière évoluent les échanges entre l’employeur et sa main-d'œuvre au sujet du rendement et de l’atteinte des objectifs ?

L'évaluation : une fréquence adaptée à l’entreprise

L’image qui se dessine en parlant d’évaluation annuelle est souvent celle d’un.e employé.e face à son ou sa gestionnaire, en attente d’un verdict sur le niveau de performance atteint durant l’année.

D’emblée, Stéphane Simard, conférencier et auteur en ressources humaines, insiste sur le fait « que l’employé.e devrait savoir à quoi s’attendre lors de cette rencontre et ne pas être surpris.e du bilan de sa performance, s’il a reçu suffisamment de rétroaction durant l’année ».

Pour Marianne Lemay, présidente de Kolegz - Stratégies RH, il faut garder en tête que la formule de l’évaluation peut ne pas convenir à toutes les entreprises en raison de leurs spécificités. « On ne peut pas appliquer le même type d’évaluation partout. »

Par exemple, certains milieux sont moins propices aux rencontres d’évaluation plus fréquentes avec le personnel en raison du nombre élevé d’heures travaillées, comme celui du secteur de la santé et des services de garde.

Certains employeurs vont aussi opter pour des évaluations bi-mensuelles ou à chaque trimestre, précise-t-elle.

L’experte en ressources humaines voit également une tendance émerger, celle de prévoir des rencontres aux deux à trois semaines.

« La gestion en continu apporte beaucoup plus de bienfaits », croit-elle. Néanmoins, il faut garder en tête que son succès est étroitement lié à la formation donnée aux gestionnaires pour assurer ce type de gestion de proximité, de même qu’à leur capacité à adresser en temps réel les aspects à améliorer.

Les avantages des rencontres plus régulières

En effet, M. Simard souligne que des rétroactions plus régulières permettent d’éviter le biais de proximité dans le temps. « Il s'agit de la tendance à maximiser les événements qui se sont passés récemment, puis à minimiser ce qui s’est déroulé il y a plus longtemps. » 

Marianne Lemay abonde en ce sens : la mémoire nous joue des tours ! « Le réflexe est souvent d’aborder ce qui s’est passé au cours des trois derniers mois et de ne pas penser à ce qui s’est passé avant. »  

Effectuer des exercices d’évaluation du travail plus fréquemment permet donc de s’assurer de n’oublier aucune des réalisations de l’employé.e et de porter un regard plus juste sur son rendement.

« J’entends parfois des personnes dirent qu’elles ne savent pas si leur patron.ne est satisfait.e de leur travail. Il serait dommage d’attendre un an pour le savoir et apporter des changements, si nécessaire », relève Marianne Lemay.  

Il est aussi possible d’intervenir plus rapidement advenant des situations problématiques, de discuter des options retenues pour y remédier et de faire un suivi rapproché de l’évolution de la situation, relève Stéphane Simard.

Des rencontres plus fréquentes abordant les objectifs de travail et leur atteinte évitent la lourde préparation qui accompagne les rencontres annuelles. Ces dernières mettent beaucoup de pression sur les épaules des gestionnaires, surtout si elles se déroulent pour tout le monde à la même période de l’année.  

Favoriser la performance en misant sur les projets et les objectifs

Stéphane Simard évoque une discussion avec un gestionnaire, lequel faisait un constat important concernant l’évaluation de performance : ce sont les échanges qui l’entourent qui suscitent le plus de motivation chez les salarié.e.s, puis l’accompagnement offert pour cheminer professionnellement.

« Il s’agit également d’une bonne occasion d’être plus dans le relationnel et moins dans l’opérationnel, relève-t-il. Cela permet de prendre le pouls des défis envisagés par l’employé.e, de ses besoins en matière de soutien et de son humeur. »

Philippe Zinser, conférencier et formateur en ressources humaines, offre une formation intitulée La fin des évaluations annuelles des employés.  

Cette dernière compte parmi ses plus populaires au cours des dernières années, ce qu’il explique en entrevue par le fait que « beaucoup d’entreprises qui font des rencontres annuelles constatent que cela ne fonctionne pas, en plus d’entraîner de la démotivation chez le personnel ».

Parmi les objectifs poursuivis par cette formation se trouve celui d’apprendre aux entreprises à adopter une approche basée sur l’écoute et non le jugement.  

Selon lui, il faut prévoir des rencontres de collaboration et non d’évaluation, réitérant l’idée avancée par Stéphane Simard, soit celle de favoriser des échanges constructifs entre l’employé.e et le ou la gestionnaire.  

Il faut miser sur le futur et le positif, soutiennent les deux experts, alors que les aspects à corriger doivent plutôt être abordés dès qu’un problème se manifeste.  

Stéphane Simard suggère également de prévoir une autre rencontre où les objectifs à long terme de l’employé.e pourraient être discutés et comment cela peut se traduire au sein de l’entreprise. « Les gens veulent grandir, apprendre et évoluer », relève-t-il.

« L’important, ce n’est pas que ce soit une évaluation annuelle ou bien d’appeler cela ainsi. Ce qui compte, c’est de faire le suivi des membres de l’équipe, de s’assurer que leur performance soit bonne et qu’on les aide à progresser. »

- Marianne Lemay, présidente de Kolegz - Stratégies RH

Établir un climat propice à la compréhension mutuelle

« Ces rencontres de bilan doivent laisser la parole à l’employé.e, car on veut comprendre sa perspective sur la performance réalisée », continue Mme Lemay.

Même en ayant le meilleur système de revue de performance, cela reste un exercice subjectif, insiste M. Simard.  

Une rencontre basée sur la discussion peut donc être une occasion de valider les perceptions de part et d’autre, favorisant une meilleure compréhension des attentes mutuelles en matière de rendement.

Faut-il séparer le salaire de la revue de performance ?

Un autre changement se manifeste discrètement : celui visant à séparer la performance du salaire.  

« Bien que cette pratique soit déjà courante dans le secteur public, plusieurs entreprises privées commencent à changer leur posture face à cette façon de faire », relève Marianne Lemay.

Comme la spécialiste le souligne dans l’article Doit-on séparer évaluation de performance et augmentation ?, plusieurs questions se posent.  

« Qu’en est-il de la réalité de votre marché ? Le salaire est-il la motivation première des employé.e.s ? Quelles sont les contraintes de l’entreprise et comment fait-on pour rémunérer sans tenir compte de la performance ? »

- Marianne Lemay, présidente de Kolegz - Stratégies RH

L’experte mentionne d’autres aspects à considérer pour ajuster le salaire du personnel :  

  • les enquêtes salariales liées au secteur d’activité ;  
  • le degré d’implication dans l’entreprise ;
  • les objectifs d’équipe ;
  • la performance financière de l’organisation ;
  • le taux d’inflation.

Elle précise que des bonis peuvent également être octroyés pour souligner les efforts du personnel.  

Stéphane Simard met de l’avant que cette façon de faire permet d’éviter la pression que peut susciter une rencontre traitant de ces deux aspects simultanément.  

Renoncer à l’évaluation annuelle  l’exemple de Deloitte

Marc-Antoine Gradito Dubord, enseignant à HEC Montréal, évoque le changement effectué par l’entreprise Deloitte en 2015. « Quand arrivait la période des évaluations, les gestionnaires investissaient beaucoup de temps dans cette démarche. Cela engendrait une baisse de productivité de la gestion, à un moment critique de l’année », explique-t-il.  

Afin de remédier à cette problématique, l’entreprise a décidé de dissocier la gestion de la performance de la rémunération, ce qui lui a permis de simplifier l’évaluation de performance.  

Tel que mentionné dans l’article Gestion de la performance : le cas Deloitte, il est demandé à chaque gestionnaire de ne pas aborder les compétences de chaque salarié.e, mais plutôt leurs actions futures à l’égard de cette personne afin de favoriser son développement.  

Les trois buts ciblés par l’évaluation sont désormais les suivants : reconnaître la performance, la voir clairement et l’alimenter.

L’entreprise a aussi opté pour une évaluation trimestrielle, basée sur des critères autres que les comportements de la personne ou les résultats obtenus.

Dans le cadre de celle-ci, les gestionnaires doivent répondre à quatre questions :

  1. Compte tenu de ce que je sais de la performance de cette personne, et si c’était mon argent, je lui attribuerais le boni le plus élevé possible.
  2. Compte tenu de ce que je sais de la performance de cette personne, je voudrais toujours qu’elle fasse partie de mon équipe.
  3. Cette personne court un risque de faible performance.
  4. Cette personne est prête pour une promotion aujourd’hui.

Deloitte a également mis en place des évaluations hebdomadaires afin d’alimenter les discussions sur la performance.  

Cette nouvelle approche, davantage basée sur « un dialogue en continu », a également permis de transformer le rôle des évaluations, passant « d’une stratégie visant la rémunération des personnes à une ciblant leur développement », analyse Marc-Antoine Gradito Dubord.  

L’évaluation comme source de développement

Si la traditionnelle évaluation annuelle n’est pas complètement écartée du paysage, de plus en plus d’entreprises remettent en question la forme qu’elle doit prendre et la visée qu’elle doit poursuivre.

Ce changement de paradigme permet de concevoir l’évaluation comme un levier de développement et de mobilisation pour le personnel, ayant le potentiel de nourrir sa performance et non seulement de la mesurer.