Explorer les compétences cachées des immigrants en entreprise

14-09-2023
Au carrefour de l'innovation et de la diversité, des trésors cachés se révèlent : les compétences insoupçonnées des travailleurs immigrants.
Rédigé par :
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Victoire Bejjani, Pratiques RH
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Explorer les compétences cachées des immigrants en entreprise

Dans cette chasse aux trésors, ce ne sont pas des pièces d'or qui sont recherchées, mais des talents. Bien que parfois négligés, ils peuvent jouer un rôle clé dans la résolution de la pénurie de main-d'œuvre. 

Dans l'économie québécoise, France Dussault, Directrice générale de Qualifications Québec, place les immigrant.e.s au cœur de sa mission : dénicher et valoriser des talents cachés. En accueillant ces nouveaux venus, les entreprises contribuent à la redéfinition des compétences et à la révolution des paradigmes traditionnels. Pratiques RH s'entretient avec F. Dussault pour approfondir cette perspective.

Quel rôle jouent les entreprises québécoises dans la valorisation et la reconnaissance des compétences des immigrants ?

Leur implication s'intensifie, particulièrement en raison de l'actuelle pénurie de main-d'œuvre.

Le recrutement à l'étranger est certes une solution bénéfique, mais il ne faut pas négliger l'importante ressource que représentent les dizaine de milliers d'immigrant.e.s compétents déjà présents sur notre territoire. 

Ces adultes dotés de compétences arrivent souvent avec leurs enfants et aspirent à leur succès futur. Cependant, ils semblent parfois minimiser l'importance de leurs propres aptitudes et se résignent à des emplois alimentaires, en projetant leurs ambitions sur la génération future. Il est essentiel de réaliser que nous avons besoin de ces compétences aujourd'hui même pour combler les lacunes de notre main-d'œuvre. 

L'accompagnement des immigrant.e.s déjà établi.e.s au Québec pour la reconnaissance de leurs compétences est crucial. Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer dans ce processus en favorisant l'adéquation entre les compétences de ces individus et les exigences des postes disponibles. Nous travaillons régulièrement avec différentes entreprises pour les aider à aligner leurs plans de classification et descriptions de postes avec les compétences de ces professionnel.le.s.

Lorsqu'une entreprise embauche une personne à sa pleine capacité, elle reconnait implicitement ses compétences.

Il est à noter que la reconnaissance formelle des compétences peut émaner de trois entités principales :  

  1. L’employeur qui reconnait son employé.e lors de l'embauche. 

  1. L’établissement scolaire qui délivre un diplôme. 

  1. Les instances de réglementation, telles que les ordres professionnels au Québec. 

Il est important de rappeler que le recrutement à l'étranger nécessite une attention particulière. Les employeurs doivent veiller à ce que les personnes recrutées puissent commencer à travailler le plus rapidement possible en fonction des besoins de l'entreprise, en tenant compte des qualifications spécifiques et des permis de travail. 

Quelles initiatives innovantes Qualifications Québec a-t-elle mises en œuvre pour aider les entreprises à reconnaître les compétences des talents d'outre-mer ? 

Qualifications Québec a initié plusieurs projets innovants pour encourager les entreprises à valoriser les compétences des immigrant.e.s. Parmi ces initiatives, nous avons mis en place ce que nous appelons les « continuums de services » - des systèmes collaboratifs visant à optimiser un travail concerté et ecosystémique afin de combler les lacunes entre divers acteurs du marché du travail, tels que les entreprises, les écoles, les autorités de réglementation et les ministères. 

Deux exemples illustrent nos initiatives : 

  1. Continuum de services avec Hydro-Québec : nous avons contribué à répondre à leur besoin de monteurs de lignes et de jointeurs, métiers nécessitant des compétences spécifiques. Nous avons identifié 250 immigrant.e.s ayant des compétences d'électricien dans notre base de données de plus de 17 000 personnes. Grâce à une formation d'appoint, ces personnes ont pu combler les postes vacants. 

  2. Continuum Bioéconomie  : en partenariat avec la grappe Montréal InVivo, le comité sectoriel Pharmabio Développement, l'Université de Montréal, et le Collège Ahuntsic, nous avons répondu à un besoin urgent de spécialistes en science des données dans les secteurs pharmaceutique et biotechnologique. Nous avons créé un référentiel de compétences, identifié les groupes sous-représentés ayant les compétences nécessaires, attiré de nouveaux talents internationaux et mis en place des formations techniques. 

Contenu supplémentaire

Du besoin à la formation : parcours de mobilisation des talents 

  1. Identification du besoin : reconnaissance d’un besoin croissant d'expertise chez les entreprises. 

  1. Mise en place du comité aviseur des partenaires et clarification du rôle de chacun : établissements scolaires, comités sectoriels, organismes communautaires spécialisés et entreprises.

  1. Création d'un référentiel : élaboration d'un référentiel de compétences. 

  1. Exploitation des ressources existantes : utilisation de la base de données existante pour identifier les immigrant.e.s avec des compétences fondamentales qui seraient pressenties pour les postes convoités.

  1. Recherche de talents locaux et internationaux : lancement d'une campagne digitale pour attirer de nouveaux talents au Québec. 

  1. Collaboration pour la formation : mise en place de formations techniques et théoriques. 

  1. Définition des attentes : basée sur le référentiel de compétences pour guider les établissements scolaires dans la conception de leurs programmes de formation. 

  1. Programme de formation : développement et mise en œuvre  d'un programme de formation ciblé et intensif.

Nos talents ne se limitent pas aux jeunes, mais englobent également des pères et mères de famille, des individus qui assument diverses responsabilités. Pour les soutenir et leur offrir la possibilité de participer aux formations, nous avons déployé une panoplie d'initiatives: 

  • Offre de formation flexible : nous proposons des formations adaptées aux contraintes familiales et professionnelles des adultes, disponibles en soirée et le week-end. 

  • Formation en ligne : nous rendons l'apprentissage accessible en tout lieu, grâce à des formations en ligne disponibles en mode direct ou asynchrone. 

  • Formation liée à l'industrie : nos cours sont conçus en étroite collaboration avec l'industrie, assurant ainsi leur pertinence et leur actualité.  

  • Soutien continu après placement : une fois la formation terminée et le placement effectué, nous continuons à accompagner nos candidats, notamment par un mentorat de six mois pour faciliter leur intégration. 

Actuellement à la troisième cohorte de notre programme, nous avons 50 personnes sur liste d'attente pour la prochaine. Nous élaborons également des projets pour répondre à des besoins dans divers domaines en forte demande de compétences spécialisées. 

Nous alignons notre approche sur l'Opération Main d'Œuvre gouvernementale, ciblant des domaines prioritaires tels que la santé, l'éducation, les services de garde, les technologies de l'information, l'ingénierie et la construction. Notre mission est de collaborer avec des entreprises tout en respectant les priorités gouvernementales. 

Comment la reconnaissance des compétences des professionnels issus de l'immigration bénéficie-t-elle aux entreprises et à l'économie québécoise ? 

La reconnaissance des compétences des professionnels et professionnelles issus de l'immigration est un levier puissant pour les entreprises et l'économie québécoise. Cette approche, loin de se limiter à une simple intégration, apporte une richesse et une dynamique nouvelles dans le tissu économique. Elle se manifeste de plusieurs manières, dont voici six exemples :

  • Plus-value économique : l'intégration des immigrant.e.s qualifié.e.s dans les entreprises crée une valeur économique substantielle via les impôts et taxes qu'ils.elles génèrent. Ces individus stimulent l'économie et réinjectent une partie de leurs gains dans la société. 

  • Résolution du déficit de main-d’œuvre : la pénurie actuelle de main-d'œuvre freine l'expansion des entreprises. L'une des stratégies suggérées est la mutualisation des services, une approche qui permet le partage des employé.e.s entre plusieurs entreprises du même secteur. 

  • Attirer et retenir les talents : il est crucial de développer une stratégie efficace pour attirer et retenir les talents qualifiés. Un dialogue ouvert peut révéler un potentiel inexploité chez les personnes cherchant une nouvelle orientation professionnelle. 

  • Soutien aux immigrant.e.s : les groupes sous-représentés souvent se sentent démunis, pensant qu'ils ne pourront pas exercer leur profession précédente. Avec le bon soutien, ces défis peuvent être surmontés. 

  • Utilisation flexible des compétences : des technologistes médicaux, par exemple, peuvent utiliser leurs compétences dans des laboratoires agroalimentaires, en l'absence d'exigences d'adhésion à un ordre professionnel. 

  • Emplois de transition : nous proposons des emplois temporaires qui permettent aux individus d'utiliser leurs compétences tout en poursuivant la reconnaissance professionnelle. Par exemple, un.e ingénieur.e pourrait occuper temporairement un poste de technicien.ne, avec parfois une rémunération plus attractive. Chaque situation nécessite une solution personnalisée. 

Maintenant, quels sont les défis auxquels nous devons faire face ? 

Nous devons nous adapter au nouveau cadre réglementaire concernant la francisation des immigrant.e.s qualifié.e.s au Québec, tout en présentant clairement les opportunités disponibles dès leur arrivée. Il est crucial d'apporter un soutien financier tant aux candidat.e.s qu'aux entreprises, en particulier celles à ressources limitées.

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La population québécoise a connu une augmentation significative en 2022, principalement attribuable aux flux migratoires, tant internationaux qu'interprovinciaux. Ce solde migratoire positif prend en compte les immigrant.e.s nouvellement établi.e.s et les résident.e.s non permanent.e.s (RNP), tout en déduisant le nombre d'émigrant.e.s ayant quitté la province.

Nous ne pouvons ignorer la nécessité de capitaliser sur les compétences des ces professionnel.le.s pour combler les lacunes de notre marché du travail. Enfin, il est primordial d’améliorer l’intégration de la diversité en renforçant la formation et l’accompagnement des entreprises.

De quelle manière, selon vous, la formation continue influence-t-elle l'évolution de la reconnaissance de leurs compétences ? 

La formation continue est une véritable pierre angulaire pour le développement et la valorisation des compétences.

C'est une impulsion dynamique qui permet de renouveler et d'approfondir ses compétences, faisant d'elle une nécessité absolue dans le monde professionnel d'aujourd'hui. 

Par exemple, pensons à un.e employé.e aspirant à évoluer au sein de sa société, souhaitant passer de commis à technicienne en bureautique. Bien que la reconnaissance des compétences soit un facteur déterminant, une formation continue serait une étape incontournable pour réaliser ce changement de rôle. En un mot, pour ceux qui souhaitent évoluer, la formation continue n'est pas une simple option, mais une voie essentielle vers le succès. 

Pour finir, avez-vous des suggestions pour aider les entreprises à mieux intégrer les compétences des immigrants au sein de leurs équipes ?

Assurément, l'ouverture est ici le maître mot. L'ouverture à la diversité, à l'inconnu. Il serait très bénéfique de mettre en place une formation spécifique sur l'intégration et la valorisation des compétences en contexte de diversité. Je conseillerais aux entreprises d'adopter une démarche écosystémique, valorisant chaque compétence et chaque expérience comme un atout. L'ouverture à la diversité permet d'enrichir l'entreprise d'un large éventail de talents.