Ces biais cognitifs qui boostent la performance au travail

21-05-2025
Thématiques : Compétences et performance Article informationnel
Les biais cognitifs sont souvent des obstacles à la neutralité ou à l’équité en entreprise. Pourtant, certains d’entre eux, s’ils sont utilisés à bon escient, peuvent agir comme des catalyseurs de performance, de reconnaissance, et même de cohésion.
Rédigé par :
Elodie Leman, Pratiques RH
Biais positifs

Plusieurs biais cognitifs influencent inconsciemment les décisions des individus en milieu de travail.

Selon KnowledgeOne, plus de 50 % des individus sont par exemple, sujet au biais de confiance excessive, une tendance à surestimer ses propres compétences par rapport à celles des autres.

Ce type de mécanisme, comme d'autres, ne gagne pas à être écarté immédiatement : mieux vaut en comprendre la logique pour en canaliser les effets, et en faire un levier plutôt qu’un frein.  

Zoom sur trois biais cognitifs dits « positifs » qui peuvent avoir un impact positif sur le personnel, son engagement et son potentiel de collaboration.

L’ancrage des biais dans l’inconscient collectif et individuel

Les biais cognitifs, aussi appelés biais inconscients, sont des automatismes mentaux qui permettent au cerveau de trier rapidement l’information.  

Pratiques pour alléger la surcharge cognitive, ils peuvent toutefois altérer le jugement sans que la personne en ait conscience.

Selon l'article de l'UQAM Reconnaître les biais cognitifs (2021), Cloé Gratton, cofondatrice de l'encyclopédie virtuelle RACCOURCIS, mentionne que les recherches en neurosciences répertorient entre 200 et 300 biais cognitifs. À l’œuvre tant sur le plan individuel que collectif, ces derniers se retrouvent inévitablement dans un contexte organisationnel.  

« Les biais cognitifs sont des raccourcis que notre cerveau emprunte pour composer avec la quantité d’informations qui nous submerge au quotidien. S’ils sont utiles dans bien des cas, ils peuvent aussi devenir nuisibles, en particulier dans nos choix de gestion ou de recrutement. »

- Annie Boilard, présidente de Réseau Annie RH

Les biais cognitifs ont mauvaise presse. Ils faussent les jugements, nourrissent les stéréotypes et peuvent conduire à des décisions injustes.  

Apprendre à composer avec les biais en milieu de travail

En effet, « les biais inconscients peuvent entraver l’accès aux opportunités professionnelles et avoir des conséquences préjudiciables pour les individus et pénaliser l’institution dans son ensemble », fait valoir une étude menée pour le Réseau interuniversitaire québécois pour l’équité, la diversité et l’inclusion (RQEDI) en 2020.

Mais les biais cognitifs sont-ils tous néfastes ?  

Non, certains ne sont pas synonymes de discrimination ou d’erreur. Comme le rappelle Annie Boilard : « personne n’échappe aux biais. Plus on en est conscient.e, plus on peut structurer sa pensée et éviter leurs effets négatifs. »  

Certains biais, comme l’effet Pygmalion ou le biais d’affiliation peuvent être mobilisés consciemment pour favoriser la reconnaissance, l’engagement ou la coopération.  

L’effet Pygmalion : quand les attentes tirent vers le haut

L’effet Pygmalion est un biais cognitif qui survient lorsque les attentes positives d’une personne en position d’autorité influencent les comportements et performances d’un individu ou d’un groupe d’individus, au point de les transformer.

Janie Brisson, professeure d’éducation et de pédagogie à l’UQAM et spécialiste des biais cognitifs, explique que lorsqu’un.e gestionnaire croit sincèrement au potentiel d’une personne, cela modifie subtilement sa posture : plus d’attention, de valorisation, d’écoute.  

« Si par exemple, un enseignant croit qu’un groupe d’élèves est exceptionnel ou a un niveau plus élevé que la moyenne, il va inconsciemment adapter sa posture et le contenu de ses cours, ce qui va renforcer la performance des élèves », illustre-t-elle.  

Selon l’experte, cet effet de rayonnement peut être porteur en entreprise.

« Si on sait que l’effet Pygmalion fonctionne, pourquoi ne pas s’assurer d’avoir des attentes positives vis-à-vis du personnel ? Le regard d’un.e gestionnaire peut réellement influencer la performance d’un.e employé.e ou d’une équipe ».

Comment intervenir face à l’effet Pygmalion ?

Selon Janie Brisson, il faut :  

  • Interroger les perceptions initiales : sont-elles fondées ou biaisées ?
    « Il est essentiel d’interroger ses propres attentes. Pourquoi ai-je cette perception d’un.e employé.e ou d’un.e collègue ? Est-ce basé sur des faits ou sur un biais inconscient ? »
  • Donner des signes concrets de confiance, de façon équitable 
    « Miser sur les attentes peut avoir un impact concret sur la performance d’une équipe, surtout lorsque celles-ci sont positives et portées par une personne en position d’autorité ».
  • Éviter que ces attentes deviennent des filtres excluants 
    « Une vision négative peut inconsciemment freiner la motivation et la performance. Peut-être que certaines visions ne sont pas dites, parce qu’elles sont négatives, et qu’il faut aller les questionner. »

  • Trouver le bon équilibre entre optimisme et attentes hors de portée 
    « Il faut aussi faire attention à ne pas projeter des attentes irréalistes. L’effet Golem existe aussi : une attente négative peut devenir une prophétie autoréalisatrice. »

Définition

L’effet Golem désigne une prophétie autoréalisatrice négative  : lorsque les attentes envers une personne sont faibles, cela peut entraîner une baisse de sa performance. C'est l'inverse de l'effet Pygmalion !

Le biais de mérite perçu : plus d’effort = plus de valeur ?

Le biais du mérite perçu pousse à attribuer une valeur plus grande à ce qui a demandé de l’effort, même si le résultat est objectivement comparable à d’autres.

Lors d’une évaluation de la performance, certains biais s’invitent sans qu’on en ait conscience. Annie Boilard attire l’attention sur une tendance fréquente : accorder plus de valeur à un résultat obtenu au prix d’un effort visible.  

« On valorise instinctivement ce qui a demandé un effort important. Mais ce réflexe peut fausser notre jugement. Il arrive qu’on minimise les réussites obtenues avec aisance, alors qu’elles méritent autant de considération. »

- Annie Boilard

Comment agir face au biais de mérite perçu ?

  • Reconnaître la diversité des approches professionnelles 
    Certaines personnes atteignent leurs objectifs par un effort soutenu, d'autres misent sur la fluidité ou la rapidité d'exécution. Le risque, en gestion, est de survaloriser l'intensité visible au détriment de l'efficacité moins démonstrative. 
    « On accorde souvent plus de valeur à un accomplissement qui nous a demandé un gros effort. Cela peut fausser notre jugement en sous-estimant les personnes qui réussissent avec plus de facilité », explique Janie Brisson.
  • Différencier ce qui est observé de ce qui est réellement accompli 
    L’effort visible (longues heures en présentiel, implication démonstrative, discours sur la difficulté) peut masquer un apport modeste ou une productivité relativement moyenne.   
    À l’inverse, une contribution importante et significative peut passer inaperçue si elle semble naturelle ou sans effort apparent. 
    Selon Annie Boilard, ce biais est très présent dans les entreprises. « On a souvent tendance à valoriser la sueur plus que le résultat. Pourtant, certaines personnes sont naturellement efficaces, et leur contribution est parfois moins reconnue, car elle semble couler de source. »
  • Adopter une grille d’analyse structurée et équitable 
    « Pour éviter ce type de biais, il faut structurer nos décisions. Utiliser une grille d’évaluation objective, c’est se donner la chance de reconnaître la valeur réelle de chaque contribution, peu importe la façon dont elle s’exprime », précise l’experte.

Le biais d’affiliation : construire du « nous » à partir du « eux »

Le biais d’affiliation est la tendance à créer du lien avec les personnes qui partagent avec nous une caractéristique perçue comme commune, renforçant ainsi l’esprit d’équipe.  

En entreprise, la logique de groupe peut renforcer la dynamique... Ou la diviser !  

« Les humains pensent de manière tribale. On distingue spontanément un « nous » et un « eux ». Pourtant, ce mécanisme peut être mis au service de la cohésion. Un simple point commun peut suffire à modifier les frontières d'un groupe. »

- Janie Brisson

Janie Brisson donne l’exemple d’un projet transversal entre départements qui peut faire bien plus que briser des silos, mais réellement redéfinir les dynamiques internes.  

Pour l’experte, ce mécanisme repose sur un biais intergroupe réorienté de façon constructive. « Les biais intergroupes peuvent aussi être utilisés pour fédérer. Trouver un élément commun – un projet, une mission – permet de transformer le « eux » en « nous ». »

Comment tirer profit du biais d’affiliation ?

  • Créer des contextes où les appartenances évoluent (groupes projets, co-développement) 
    Janie Brisson propose de construire un projet commun qui nécessite la coopération de plusieurs équipes. 
    Annie Boilard, quant à elle, précise que lorsque « les personnes collaborent sur un projet commun ou qu’elles sont appelées à se côtoyer dans un comité transversal, leurs repères changent, et ça crée de nouvelles formes d’affiliation. »
  • Valoriser les points communs sans nier les différences 
    « Il faut miser sur ce qu’on partage, sans avoir peur de reconnaître ce qui nous distingue. C’est cette tension-là qui est intéressante à travailler », insiste Annie Boilard.

  • Garder à l’esprit que toute dynamique nous/eux est construite, et donc modulable 
    Janie Brisson illustre ce principe qui peut être positivement malléable. « Ce qui définit le « nous » est flexible : un simple point commun peut suffire à déplacer la frontière. » 
    Annie Boilard précise que l’esprit d’équipe se construit. « Ce n’est pas une donnée naturelle, c’est le rôle des gestionnaires d’ouvrir des espaces pour que les affiliations se renouvellent et se retrouvent ».

    En contexte de gestion, certains biais cognitifs peuvent soutenir l’engagement, renforcer la reconnaissance et même favoriser la cohésion. Mieux les comprendre permet non seulement de limiter leurs effets indésirables, mais aussi de les mobiliser de façon constructive.  

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