Parole d’experte : « Ce n’est pas la fin des RH, c’est une renaissance ! »

Auteur.e
Élodie Leman, rédactrice
chez Pratiques RH

De la gestion du personnel à la culture du leadership, Annie Boilard, CRHA et présidente du Réseau Annie RH, explore les bouleversements législatifs, technologiques et humains qui ont redéfini la relation entre les employeurs et leur main-d’œuvre.
Elle dresse un bilan lucide et éclairant des grandes transformations du monde des ressources humaines ces 20 à 30 dernières années… Et ce qu’elle souhaite aux RH de demain ! Rétrospective.
Retour dans le passé : un marché du travail plus stable, mais peu flexible
PRH : À quoi ressemblaient les RH il y a vingt, trente ans ?
Annie Boilard : C’était un tout autre monde. Il y a 30 ans, les ressources humaines s’appelaient encore souvent « service du personnel ». On était dans une logique très transactionnelle. Le rôle des RH était principalement administratif : gérer les horaires, produire les paies, coordonner les vacances et s’assurer du respect des normes du travail. Il n’y avait pas, ou très peu, de réflexion stratégique sur l’attraction, la mobilisation ou le développement des talents.
Les gestionnaires étaient moins formé.e.s aux compétences relationnelles. L’approche de gestion dominante était très hiérarchique, souvent paternaliste. On gérait « de haut en bas », avec une forte culture du contrôle. La relation employeur-employé.e était marquée par l’obéissance et la loyauté, parfois au détriment du bien-être ou de l’autonomie.
Il n’était pas rare que les équipes découvrent des décisions importantes sans avoir été consulté.e.s. À cette époque, parler de « culture d’entreprise » ou d’« expérience employé.e » aurait semblé incongru.
PRH : Le contexte du marché du travail était-il très différent ?
A.B. : Absolument ! L’époque était marquée par une forte présence des baby-boomers sur le marché du travail. C’était une main-d’œuvre nombreuse, relativement homogène, avec des parcours plus linéaires. On restait souvent longtemps dans la même organisation, et les employé.e.s s’adaptaient à l’employeur, rarement l’inverse.
Les organisations étaient dans une position de force. Il y avait moins de pénurie, moins de diversité, et surtout, peu de remises en question sur les pratiques en place. À cette époque, la sécurité d’emploi était un critère majeur, et l’engagement était souvent associé à la stabilité. C’était un contrat implicite : l’employeur offre un emploi stable, et en échange, on faisait sa part, sans trop questionner. Certains employé.e.s faisaient carrière dans la même entreprise, parfois même dans le même poste, pendant 20 ou 30 ans et c’était parfaitement normal.
On était également dans un contexte où le rapport au travail était très différent. On valorisait la loyauté et l’ancienneté. La gestion de carrière se faisait essentiellement à l’interne, souvent sans accompagnement formel. Il y avait peu de mobilité horizontale, et encore moins d’attention portée au développement du plein potentiel des individus.
Trois facteurs qui ont tout bouleversé
PRH : Quels ont été, selon vous, les principaux facteurs de transformation des RH ?
A.B. : À mon sens, trois grands facteurs ont tout bouleversé.
- D’abord, les changements législatifs. Au fil des décennies, de nouvelles lois sont venues renforcer les obligations des employeurs en matière d’équité, d’inclusion, de santé psychologique ou de prévention du harcèlement. Ces cadres légaux ont poussé les organisations à repenser leurs pratiques, pas juste pour éviter les sanctions, mais pour créer des milieux plus sains et plus justes. Par exemple, la Loi sur l’équité salariale au Québec, adoptée en 1996, a profondément modifié les politiques de rémunération dans les entreprises.
- Ensuite, la réalité démographique a changé. Les baby-boomers ont commencé à quitter le marché du travail. Et la relève n’a pas suivi dans les mêmes proportions. Résultat : pénurie de main-d’œuvre, vieillissement de la population active, et arrivée de nouvelles générations avec des attentes différentes. Les jeunes travailleur.euse.s veulent du sens, de la flexibilité, une meilleure conciliation vie professionnelle et vie personnelle.
- Enfin, le contexte économique et technologique a accéléré la cadence. La mondialisation, l’automatisation, la montée du numérique et plus récemment l’intelligence artificielle ont transformé la nature des emplois, les compétences recherchées, et les façons de travailler. On est passé du fax au télétravail, du classeur à l’infonuagique !
Loi sur l’équité salariale au Québec, adoptée en 1996
Cette loi vise à éliminer les écarts de rémunération entre les emplois à prédominance féminine et ceux à prédominance masculine qui sont de valeur équivalente. Elle oblige les employeurs québécois de 10 personnes salariées ou plus à évaluer et corriger, au besoin, les écarts salariaux dus à la discrimination systémique fondée sur le sexe. Les entreprises doivent aussi maintenir cette équité au fil du temps et informer les équipes des démarches effectuées.
Le leadership d’autorité laisse place au leadership humain
PRH : Comment le leadership a-t-il évolué au fil de ces changements ?
A.B. : Il y a eu un glissement important. On est passé d’un modèle fondé sur l’autorité et le contrôle à un leadership beaucoup plus humain, agile, relationnel. Aujourd’hui, on attend d’un.e gestionnaire qu’il ou elle soit à la fois coach, mentor, communicateur.ice, stratège… Et parfois même psychologue improvisé.e.
« On valorise désormais des qualités autrefois secondaires : l’intelligence émotionnelle, la capacité à donner du sens, l’empathie. »
Ce changement a été progressif, mais profond. Avant, un.e bon.ne gestionnaire, c’était quelqu’un qui faisait respecter les règles, qui assurait la performance et la conformité. Aujourd’hui, la performance passe par l’écoute, l’adaptabilité, la reconnaissance.
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On le voit dans les formations en leadership qui misent sur l’accompagnement, l’écoute active, la gestion collaborative. Par exemple, de plus en plus d’organisations implantent des programmes de codéveloppement entre gestionnaires pour favoriser la prise de recul et l’apprentissage mutuel.
Certaines entreprises proposent aussi du mentorat croisé entre services ou niveaux hiérarchiques pour décloisonner les visions.
PRH : De quelle façon le virage vers un leadership plus humain a-t-il transformé les pratiques de gestion au quotidien ?
A.B. : Les processus ont été revus en profondeur : recrutement, accueil, formation, reconnaissance, gestion du rendement, etc. Tout a été réinterrogé à la lumière de nouvelles attentes.
On a vu apparaître des pratiques issues du design thinking, des approches centrées sur l’expérience employé.e, des modes de gestion plus souples, plus collaboratifs.
« On ne se contente plus de dire aux gens quoi faire : on leur donne un sens, un rôle, une voix. »
Les sondages internes, les rétroactions à 360 degrés, les parcours de développement individualisés sont devenus monnaie courante. L’agilité organisationnelle est devenue une compétence clé, y compris dans des milieux plus traditionnels. Certaines entreprises co-construisent même leurs politiques RH avec les équipes.
Prenons l'exemple de l'accueil des nouveaux talents : aujourd’hui, certaines organisations prévoient des programmes d’intégration sur plusieurs semaines, incluant des moments d’échange informels, du mentorat, des ateliers interactifs... Ce souci de personnalisation aurait été impensable il y a 30 ans !
Des RH plus stratégiques et alignées sur les affaires qu’auparavant
PRH : Quel rôle les RH jouent-elles aujourd’hui dans la stratégie des organisations ?
A.B. : Elles sont désormais au cœur du jeu. La pénurie de main-d’œuvre, la guerre des talents et la complexité croissante des environnements ont repositionné la fonction RH comme un levier stratégique. Les organisations ont compris que leur performance passait par leur capacité à attirer, retenir, engager et faire évoluer leurs talents.
Les professionnel.le.s RH sont de plus en plus intégré.e.s aux comités de direction. Leur rôle est d’aligner les enjeux humains sur les orientations d’affaires. Par exemple, quand une entreprise veut croître, fusionner ou changer de modèle, ce sont les RH qui doivent accompagner la transformation culturelle, revoir les structures, outiller les gestionnaires. On ne peut plus séparer les décisions économiques des considérations humaines.
Certaines entreprises vont jusqu’à créer des postes de « chef de l’expérience employé.e » ou de « VP culture et talents », preuve que les RH sont désormais considérées comme des partenaires d’affaires à part entière !
PRH : Quelles sont les principales difficultés auxquelles font face les RH aujourd’hui ?
A.B. : On demande énormément aux gestionnaires et aux RH. Il y a une pression très forte pour concilier performance, mobilisation, inclusion, bien-être, innovation... Sans toujours avoir les ressources nécessaires.
Le risque, c’est l’épuisement professionnel, l’essoufflement, voire un certain cynisme face aux « modes » en gestion.
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Et puis, il y a un écart grandissant entre les discours et les pratiques. On parle beaucoup de bienveillance, mais est-ce qu’on valorise vraiment les comportements bienveillants dans l’évaluation des gestionnaires ? On valorise la diversité, mais a-t-on les moyens de l’inclure réellement ? C’est tout l’enjeu du passage de l’intention à l’action.
Un exemple concret : une organisation peut afficher fièrement une politique EDI, mais si les gestionnaires n’ont pas été formé.e.s aux biais inconscients ou si aucune mesure concrète n’est prise pour favoriser la représentativité, la politique reste lettre morte.
Un retour en arrière est-il possible ?
PRH : Peut-on parler de nostalgie des RH d’autrefois ?
A.B. : Oui, elle existe, et c’est humain. Certaines personnes regrettent l’époque où les règles étaient claires, où les rôles étaient bien définis, où on avait moins de pression pour tout justifier, tout documenter. Il y avait aussi moins de pression de performance relationnelle.
Mais attention à ne pas idéaliser le passé ! Il ne faut pas oublier que ces mêmes pratiques ont aussi mené à des dérives : harcèlement toléré, peu de reconnaissance, inégalités persistantes.
« Aujourd’hui, on a encore beaucoup de chemin à faire, mais on avance vers plus d’humanité, plus d’équité, plus d’écoute. »
Et malgré la complexité actuelle, les employé.e.s ont davantage de voix, les environnements sont plus inclusifs, et les gestionnaires sont mieux formé.e.s pour accompagner les équipes. Ce sont des avancées qu’il ne faut pas perdre de vue.
H2 Ce qu’il faut retenir : un métier en constante évolution
PRH : Comment voyez-vous l’avenir des RH ?
A.B. : Comme une fonction en perpétuelle transformation. Les RH doivent continuellement s’adapter, innover, questionner leurs façons de faire. Ce qui est valable aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain. La venue de l’intelligence artificielle générative va bousculer à nouveau les repères. Je ne pense pas qu’elle va éliminer les rôles RH, mais elle va forcer les professionnel.les à se concentrer sur ce qui est vraiment à valeur humaine ajoutée. C’est loin d’être la fin des Ressources Humaines, bien au contraire : c’est une renaissance ! Et une opportunité constante d’évolution.
C’est un métier d’équilibre, entre le court terme et le long terme, entre les besoins de l’organisation et ceux des personnes qui y travaillent.
Et c’est aussi ce qui rend cette profession si stimulante. Les RH ne sont plus les gardien.ne.s des règles : ce sont les architectes des cultures organisationnelles. Elles ont un rôle clé à jouer pour bâtir des milieux de travail plus durables, plus humains, plus intelligents collectivement.
Dans un contexte où tout va vite, où les attentes évoluent, les professionnel.le.s RH sont appelé.e.s à être agiles, curieux.ses, et à garder toujours le cap sur la dimension humaine du travail. C’est à ce prix qu’elles pourront continuer à jouer un rôle d’influence dans les organisations.
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