L’intelligence émotionnelle : une compétence humaine à ne pas sous-estimer

Auteur.e
Élodie Leman, rédactrice
chez Pratiques RH

L’intelligence émotionnelle influence directement la performance et l’engagement au sein d’une entreprise (selon l’Ordre des ingénieurs du Québec).
« On n’a pas grandi dans des systèmes éducatifs qui nous ont appris à nommer nos émotions ou à les gérer », souligne Cindy Beaupré, formatrice spécialisée en développement du leadership organisationnel.
Comprendre l’intelligence émotionnelle : au-delà des idées reçues
Longtemps reléguée à la sphère du développement personnel, l’intelligence émotionnelle demeure une compétence mal comprise dans les milieux professionnels. Pourtant, elle s’avère essentielle pour naviguer à travers les relations humaines, en particulier en contexte de gestion.
Une compétence humaine mal comprise, mais essentielle
L’intelligence émotionnelle ne se résume ni à l’expression spontanée des émotions ni à une disposition naturelle dont certaines personnes seraient dotées.
Pour Lisa Stott, spécialiste en développement des leaders, « on confond parfois intelligence émotionnelle et expression sans filtre ». Une perception erronée que partage également Cindy Beaupré : « quand on dit à un.e gestionnaire qu’il faut exprimer ses émotions, la réaction c’est : je ne vais pas leur dire que j’ai pleuré ce matin ! »
Pourtant, selon la spécialiste, « l’intelligence émotionnelle n’est pas du développement personnel déconnecté de la réalité. C’est une posture professionnelle. »
Cette incompréhension contribue à freiner le développement de cette compétence, souvent perçue comme incompatible avec les codes traditionnels de la posture managériale.
Pourtant, elle repose sur des fondements solides. Cindy Beaupré la résume en quatre dimensions : « la conscience et la maitrise de soi, la conscience de l’autre ou sociale, et la gestion des relations ».
Lisa Stott propose une définition complémentaire et structurée : « l’intelligence émotionnelle, c’est la capacité d’être en relation avec soi et avec l’autre. » Une compétence transversale, qui nécessite autant d’introspection que de finesse relationnelle. « C’est une posture qui demande observation, présence, prise de recul, et capacité d’ajustement », insiste-t-elle.
« Une émotion non reconnue ne disparaît pas. Elle s’accumule, elle ressort ailleurs : dans une tension, un soupir, une parole sèche et ça peut vite créer des situations désagréables pour tout le monde. »
- Lisa Stott
Une structure en quatre dimensions interdépendantes
Lisa Stott propose une modélisation simple et puissante de l’intelligence émotionnelle, structurée autour de quatre dimensions interdépendantes. Chacune représente une compétence fondamentale, à la fois personnelle et relationnelle.
- Se relier à soi, d’abord, suppose une capacité d’introspection sincère. « Comprendre ce que je vis, m’observer avec honnêteté. » Il s’agit de reconnaître ses émotions sans les juger, d’en identifier les déclencheurs et d’en comprendre les effets sur ses comportements.
- Se relier à l’autre mobilise l’empathie, mais aussi l’écoute active et l’observation. « C’est la capacité à voir, entendre, décoder ce que l’autre vit. » Il ne s’agit pas seulement de comprendre les mots de l’autre, mais de percevoir ses signaux, même implicites, et de reconnaître son état émotionnel.
- S’autogérer fait appel à la régulation émotionnelle, cette faculté à choisir sa réponse au lieu de réagir impulsivement. « Que fais-je de ce que je ressens ? Est-ce que je réagis ou j’agis ? » C’est une manière de préserver son équilibre tout en demeurant aligné avec ses valeurs et ses objectifs relationnels.
- Enfin, réguler la relation consiste à intervenir de manière constructive, même en contexte tendu ou conflictuel. Cette dimension nécessite de la lucidité, de la diplomatie et une volonté d’entretenir un lien de qualité, même lorsque les émotions sont vives.
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Ce regard rejoint les travaux du CTREQ (Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec), qui identifie cinq composantes principales de l’intelligence émotionnelle :
- Conscience de soi
- Maîtrise de soi
- Auto motivation
- Empathie
- Habiletés sociales
Loin d’être floue ou intuitive, l’intelligence émotionnelle s’ancre donc dans des repères concrets, observables et accessibles à celles et ceux qui souhaitent la développer.
Pourquoi miser sur l’intelligence émotionnelle en gestion ?
Au-delà des qualités techniques, la capacité à comprendre et gérer les émotions devient un atout central dans un environnement de travail complexe.
Un outil stratégique pour prévenir les tensions et fédérer
L'intelligence émotionnelle constitue un levier concret de performance. En contexte de gestion, elle permet aussi d’éviter des dérives coûteuses. « Dans les pires situations, cela va jusqu’à vider des départements », constate Lisa Stott.
L'experte raconte le cas d’une gestionnaire qui, incapable de réguler ses propres émotions, organisait des réunions marathons de deux heures juste pour s’assurer que tout était sous contrôle.
Le résultat : démobilisation, stress généralisé et désengagement au sein de l’équipe.
À l’inverse, un.e gestionnaire capable de reconnaître ses limites, d’écouter sans juger et d’appliquer une approche calme face à une crise peut non seulement apaiser les tensions, mais aussi renforcer la cohésion et la motivation de groupe.
Quand les émotions sont ignorées ou mal régulées, les mécanismes de défense s’enclenchent : microgestion, évitement, hypervigilance, clans internes, etc.
« Quand il n’y a pas d’intelligence émotionnelle, les individues qui composent une équipe tendent vers des mécanismes de défense, par reflexe : la fuite, l’attaque ou le refoulement...»
- Cindy Beaupré
Une compétence directement liée au leadership
Pour Cindy Beaupré, les personnes émotionnellement intelligentes se distinguent par des comportements qui élèvent plutôt qu’ils ne blessent. Ancrées dans une estime de soi solide, elles font preuve de bienveillance, d’écoute active et d’empathie, et dégagent une confiance naturelle qui inspire leur entourage.
Émilie Charbonneau insiste sur l’effet miroir : « plus je me connais, plus j’apprends à me maîtriser, plus j’ai d’impact. »
Développer l’intelligence émotionnelle : par où commencer ?
Bonne nouvelle : l’intelligence émotionnelle n’est pas figée. Elle s’apprend, se cultive et s’affine au fil du temps !
Mais ce n’est pas une compétence que l’on acquiert uniquement sur les bancs d’une formation. « Ça demande un vrai travail d’introspection, un engagement, une mise en action », précise Cindy Beaupré.
Formations et accompagnements possibles
- HEC Montréal – L’intelligence émotionnelle et l’exercice du leadership : Formation dynamique (en ligne ou en classe) avec évaluation psychométrique EQ‑i 2.0MC*. Elle permet de prendre conscience de ses forces émotionnelles et d’acquérir des compétences clés du leadership comme l’authenticité ou le coaching.
- AFI Expertise – Développer son intelligence émotionnelle au travail : Atelier d’une journée (reconnu par par l'Ordre des CRHA), ciblant la conscience de soi, la gestion du stress, la régulation émotionnelle et l’efficacité relationnelle en milieu professionnel.
- MP‑Plus – Cultiver son intelligence émotionnelle : Formation interactive de 6 heures (webinaire ou en salle), centrée sur la reconnaissance, l’utilisation et la gestion constructive des émotions, au cœur du leadership et du bien-être au travail.
- Coaching‑Québec – Leadership et intelligence émotionnelle (programme de coaching) : Programme d’accompagnement pratique pour gestionnaires, axé sur la reconnaissance émotionnelle, l’empathie et le développement d’un leadership inspirant en situations réelles.
Définition
L’EQ‑i 2.0 (Emotional Quotient Inventory 2.0) est l’un des premiers et des plus employés des outils psychométriques validés scientifiquement pour mesurer l’intelligence émotionnelle. Il repose sur un modèle structuré en 5 grandes composantes (conscience de soi, expression de soi, relations interpersonnelles, gestion du stress, prise de décision), subdivisées en 15 compétences émotionnelles spécifiques.
Une démarche exigeante, mais accessible
Ce cheminement demande du courage et de la lucidité. Émilie Charbonneau insiste : « Il faut être prêt à aller voir ce qui ne fait pas plaisir à entendre. »
Accepter de remettre en question ses réactions, ses habitudes relationnelles ou ses angles morts émotionnels est un préalable indispensable.
Lisa Stott évoque une progression à la fois exigeante et profondément libératrice. « C’est une compétence de leadership essentielle aujourd’hui, mais encore trop sous-estimée. »
Mieux outillé.e.s pour comprendre leurs propres réactions et celles des autres, les employeurs et leurs gestionnaires développent une posture plus ajustée, plus sereine — et plus humaine.
Se faire accompagner pour avancer
Développer son intelligence émotionnelle demande plus qu’une prise de conscience : c’est un cheminement qui peut bénéficier d’un soutien structuré. Cindy Beaupré souligne l’importance du coaching, « un accompagnement essentiel pour mieux se connaître et affiner sa posture relationnelle ».
Certain.e.s choisissent aussi de s’appuyer sur des outils psychométriques, comme Atman Premium, utilisés par Émilie Charbonneau pour éclairer les traits de personnalité et les mécanismes émotionnels à l’œuvre. Ces outils permettent de mieux cerner ses zones de confort et de vigilance.
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Enfin, dans une logique de communication apaisée, la communication non violente (CNV) offre un cadre concret pour exprimer ses besoins avec clarté, tout en maintenant la qualité du lien.
Agir au quotidien : vers une posture durable et incarnée
Émilie Charbonneau insiste sur la valeur des petits gestes répétés, qui nourrissent la conscience de soi et des autres. « Lire, s’ouvrir, demander de la rétroaction, créer des moments d’introspection, etc. » Ces pratiques ne demandent pas nécessairement beaucoup de temps, mais elles exigent une réelle intention.
Cindy Beaupré souligne également un aspect souvent négligé : « notre vocabulaire émotionnel est souvent limité. Enrichir ce langage est essentiel pour mieux reconnaître et exprimer ce que nous ressentons. » Ainsi, les gestionnaires gagnent en clarté et en justesse dans leurs échanges, ce qui favorise une compréhension plus fine et respectueuse des émotions de chacun.e.
Lisa Stott le rappelle : cette posture ne se limite pas aux grandes décisions managériales. Autrement dit, l’intelligence émotionnelle se façonne dans le quotidien. Dans un regard, un silence, une question posée avec attention. Ce sont ces microhabitudes, alignées avec les intentions, qui transforment durablement la façon d’être au travail.
Ajuster son style au contexte
Attention toutefois à ne pas tomber dans l’excès inverse. « Un.e gestionnaire très à l’aise avec ses émotions peut mettre mal à l’aise une personne qui l’est moins », souligne Cindy Beaupré. La clé réside dans l’équilibre : savoir rester authentique tout en tenant compte du cadre, des interlocuteur.ice.s et des dynamiques en jeu.
« Si l’organisation ne valorise pas ces compétences, les personnes les plus sensibles vont s’éteindre ou se retirer. », met en garde Lisa Stott.
Sans reconnaissance institutionnelle, l’intelligence émotionnelle peut devenir un poids plutôt qu’un levier, alors qu’elle est une véritable plus-value. « Ce que je ne transforme pas, je le transmets. », évoque l’experte. Puisque comme le résume l’ensemble des expertes, l’intelligence émotionnelle est un choix de posture, pas une case à cocher.
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