Parole d’expert : « La qualité des rétroactions l'emporte sur leur quantité »

Aux prises avec une cadence de production soutenue, il est difficile pour les gestionnaires et dirigeant.e.s de trouver un moment afin d’exprimer leur appréciation ou leurs commentaires.
L’échange est trop souvent reporté aux calendes grecques ! Pourtant la reconnaissance à haute voix, authentique et crédible, permet de mobiliser et retenir les talents.
Jacques Forest, psychologue, CRHA (Distinction Fellow), et professeur titulaire à l’ESG UQAM propose une formation sur les 9 habiletés d’une bonne rétroaction. Son expertise à vulgariser la recherche est reconnue au Québec et à travers le monde.
Que le feedback à donner soit positif ou négatif, le spécialiste nous livre la recette gagnante.
Le pouvoir de la rétroaction : modifier, améliorer et valoriser les comportements
PRH : Pourquoi est-ce si important d’offrir une rétroaction, qu’elle soit positive ou négative ?
Jacques Forest : Une rétroaction est nécessaire parce qu’elle permet de modifier ou d’améliorer un comportement. Les principes universels de la rétroaction comprennent celle orientée vers le changement et celle vers la promotion.
Ainsi, une rétroaction orientée vers le changement incite l’autre à changer son comportement ou son attitude.
Quant à la rétroaction axée vers la promotion, elle permet de maintenir l’élan si les gens font de bonnes actions et de mettre en valeur leurs réalisations.
Toutefois, la rétroaction ne concerne pas seulement une personne d’autorité avec quelqu’un. Cette interaction survient aussi entre deux employés.e.s du même niveau ou entre un.e salarié.e avec son gestionnaire.
PRH : Vous comparez le processus de la rétroaction à l’apprentissage d’une nouvelle langue. Pourquoi ?
J.F. : Au départ, lorsqu’on apprend une nouvelle langue, on cherche ses mots et on a un accent. En pratiquant chaque jour, cela devient plus facile. Le même principe s’applique lorsque nous enseignons les 9 habiletés de la rétroaction. La pratique assure la fluidité du processus de rétroaction.
Définitions
- Rétroaction axée vers le changement : incite la personne à changer son comportement, son attitude ou encore certains points liés à son travail.
- Rétroaction orientée vers la promotion : souligne le comportement, les bons coups ou les actions afin d’encourager la personne proactivement.
L’empathie ou la pierre angulaire de la rétroaction
PRH : En entreprise, comment fait-on pour témoigner une insatisfaction sans blesser l’autre ?
J.F. Dans la rétroaction axée vers le changement, notre équipe et moi parlons de l’empathie et outillons les gestionnaires ou dirigeant.e.s à reconnaitre les difficultés et obstacles de l’autre.
Une manufacture, par exemple, enregistre des retards dans ses livraisons aux clients. Il faudrait si possible éviter de blâmer quelqu’un en disant :
« Tu as pris du retard et cela pénalise toute la production. »
Nous suggérons plutôt :
« Nous recevons beaucoup de commandes, mais nous avons très peu de temps pour les finaliser. »
PRH : En tout temps, faut-il garder une certaine retenue dans les propos ?
J.F. : La recherche nous recommande de décrire le problème ou la situation de manière neutre et objective en faisant appel au constat et à la description.
« Voici, il y a un trou dans la chaloupe. »
Dans tous les cas, on essaie d’éviter :
« Tu as encore fait un trou dans la chaloupe. C’est ta faute si on coule. »
Prenons un autre exemple. Un.e gestionnaire dans une organisation témoigne de ses observations à haute voix.
« Habituellement, le client s’attend à recevoir 8 unités de ce produit. J’observe qu’il en a reçu seulement 6 livraisons. »
Sans accuser personne, il est préférable de souligner l’écart entre ce qui est attendu et ce qui est observé.
PRH : Une fois les observations faites, que dire de plus ?
J.F. : Il s’agit de proposer des pistes de solution pour avancer. À ce moment-ci, plusieurs vont avoir le réflexe bien intentionné, mais imparfait, de poser des questions comme celles-ci :
« Comment vois-tu la situation ? »
« Quelles sont tes solutions ? »
Je vois un problème avec de telles questions. En fait, les gens ont tendance à se déresponsabiliser ou à paniquer intérieurement.
Je vous donne un exemple d’un commentaire entendu :
« Mon boss me demande quoi faire et je ne le sais pas. Dans plusieurs cas le premier réflexe sera de bullshiter*. »
Définition
Le verbe bullshiter est utilisé dans le langage familier québécois et est un dérivé du mot anglais bullshit qui signifie : dire des choses mensongères pour impressionner ou éviter le sujet.
C’est pourquoi durant nos formations, nous recommandons aux gestionnaires de présenter des choix possibles parmi les pistes de solutions. Nous suggérons par exemple :
« Il est avantageux de faire telle chose. »
« Une autre option serait peut-être d’envisager telle opération. »
PRH : En réalité, une saine communication demeure-t-elle la clé du succès ?
J.F. : Exactement ! Il faut nommer l’objectif qui doit être clair, significatif et atteignable. Si l’autre écoute mon feedback de façon volontaire, cela aide à déterminer où l’on va ensemble.
À lire aussi
Les meilleures manières de donner de la rétroaction en entreprise
« Avant tout, il faut livrer le message avec un ton de voix respectueux. »
- Jacques Forest
PRH : Comment surmonter la peur ou le stress de donner de la rétroaction ?
J.F. Très souvent, les gens attendent d’être exaspérés avant de donner de la rétroaction. La raison ? Plusieurs ne savent pas comment s’y prendre ou quoi dire.
Toutefois, des recherches démontrent que les gens ressentent moins de stress en donnant de la rétroaction. Un bon feedback permet de satisfaire les besoins de ceux et celles qui la reçoivent et à l’inverse, elle aide aussi la personne qui la donne.
À retenir : 6 habiletés de la rétroaction axée vers le changement
- Reconnaitre les obstacles et difficultés
- Décrire le problème de façon objective et neutre
- Offrir des pistes de solutions possibles pour avancer
- Donner des choix parmi les solutions
- Nommer l’objectif significatif, clair et atteignable
- Livrer le message avec un ton respectueux
Comment (mieux) valoriser le personnel ?
PRH : Le choix des mots s’avère-t-il important si on veut adresser une rétroaction orientée vers la promotion ?
J.F. : D’habitude, les gestionnaires vont simplement dire : « bravo » ou « super travail ! » J’observe cependant que les salarié.e.s ne savent pas pourquoi ils reçoivent ce feedback et ignorent son impact sur les autres.
La rétroaction axée vers la promotion tout comme celle du changement doit répondre aux 3 besoins innés et universels : autonomie, compétences, affiliation.
Je vous donne un exemple d’interaction avec un.e salarié.e.
« Tu es ponctuelle. »
On souligne ainsi son autonomie. Puis, au lieu de dire à quelqu’un qu’il.elle est aimable, on va plutôt donner un exemple concret et décrire le comportement attendu.
« J’observe que tu étais là pour accueillir les clients avec le matériel. Tes collègues doivent se sentir entre bonnes mains parce que tu assures une présence avant l’arrivée des clients. »
Notre propos indique que l’autre a fait le choix d’agir (besoin d’autonomie et de compétence) et puis on souligne l’impact positif sur les autres ; donc cela comble le besoin d’affiliation.
Les trois besoins et leurs impacts
- Besoin d’autonomie satisfait : La personne a le sentiment de réaliser le travail qu’elle désire dans la vie. Elle éprouve une liberté à exprimer ses idées et à réaliser ses tâches tout en restant elle-même.
- Frustration liée au besoin d’autonomie : Elle souhaite faire ses tâches différemment. Elle ressent un sentiment de pression au travail, d’obligation et de contrainte de suivre des ordres et des tâches. Elle a le sentiment de devoir devenir quelqu’un d’autre au travail pour être acceptée.
- Besoin de compétence satisfait : Sentiment de satisfaction et de compétence en maîtrisant l’exécution de ses tâches et sensation de capacité à relever des défis.
- Sentiment de compétence frustré : Doute face à sa capacité d’exécuter le travail correctement. La personne craint d’être incapable de surmonter les défis liés à son travail qu’elle trouve difficile.
- Besoin d’affiliation satisfait : Connexion et liens d’amitié/et ou de confiance avec des collègues. Impression de faire partie d’une équipe. Au travail, la personne se sent comprise.
- Frustration liée au besoin d’affiliation : la personne se sent seule et « exclue » en présence des collègues. Elle ne se mêle pas aux autres.
PRH : Quelles sont les erreurs à propos des rétroactions ?
J.F. : On pense à tort qu’il faut souvent donner de la rétroaction. Pourtant, les recherches de Joëlle Charpentier démontrent que la quantité du feedback n’a pas plus d’effet si la qualité est au rendez-vous.
D’un point de vue statistique, c’est absolument fascinant. On se rend compte que l’impact de la quantité des rétroactions s’est amenuisé si la qualité est présente.
La rétroaction axée vers la promotion se résume à :
- Décrire le comportement.
- Exprimer les émotions positives de façon authentique.
- Résumer le message en un mot ou une phrase simple afin de comprendre le message.
PRH : Enfin, quel est l’impact d’une bonne rétroaction ?
J. F. : Une nette amélioration concernant les indicateurs de fonctionnement optimal, dont la concentration, le bien-être, les émotions positives et la capacité de travail.
Le climat se bonifie parce qu’on prend soin de ce qui est important. En mettant en pratique les 9 habiletés de la rétroaction, cela répond au développement personnel et professionnel de chacun.e.
Cela contribue aussi à la création d’une entreprise innovante parce qu’elle met en pratique, au quotidien, les plus récentes découvertes scientifiques sur la rétroaction et ses effets mobilisateurs.
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