Désamorcer la microgestion : lorsque confiance rime avec performance

07-08-2025
Thématiques : Compétences en gestion et leadership  -  Article informationnel
Contrôler chaque détail n’est pas toujours synonyme de performance. Et si le vrai levier de mobilisation passait par la confiance ?
Rédigé par :
Élodie Leman, Pratiques RH
Une gestionnaire fait de la microgestion avec une employée

Contrôler, vouloir tout voir, tout valider : la microgestion est un comportement qui peut s’installer dans les organisations sans toujours être reconnue.  

Si elle part souvent d’une bonne intention (celle de bien faire ou de rester un.e gestionnaire impliqué.e), elle peut freiner la mobilisation des équipes et fragiliser la confiance.

Dans un contexte où la santé psychologique au travail est de plus en plus mise de l’avant, notamment avec une hausse de 42 % des lésions liées aux risques psychosociaux recensées par la CNESST (entre 2019 et 2023), la question des styles de gestion devient un levier central de prévention.  

Or, la microgestion demeure souvent difficile à identifier tant ses manifestations peuvent sembler anodines au quotidien. Décryptage du phénomène.

Comprendre la microgestion : une réalité nuancée

La microgestion se caractérise par un contrôle excessif des tâches, des actions et/ou des décisions des membres de l'équipe, souvent au détriment de leur autonomie.

« La microgestion, c’est lorsqu’un.e gestionnaire supervise de manière excessive sans laisser assez de marge de manœuvre », précise Stéphanie Perreault, présidente d’Alliance Ressources Humaines.  

Toutefois, ce comportement peut être perçu très différemment d’une personne à l’autre. Comme le souligne Laurent Vorelli, Président de Propulsion RH, « deux personnes peuvent vivre la même gestion de façon complètement différente. Pour l’une, ce sera rassurant ; pour l’autre, étouffant. »

La microgestion peut ainsi être confondue avec un style de gestion simplement impliqué ou présent. « Sans cadre, c’est l’isolement. Mais trop de cadre, c’est oppressant », résume-t-il.

Les origines de la microgestion : des intentions positives, des peurs cachées

Dans la grande majorité des cas, la microgestion n’est pas intentionnelle. Monia Boulais, Consultante principale en ressources humaines chez Viaconseil, rappelle que lorsqu’on contrôle tout, c’est rarement un hasard. « En fait, c’est souvent une suradaptation ou une stratégie de survie », nuance-t-elle.  

La peur de perdre le contrôle, la crainte de ne pas être à la hauteur ou le sentiment d’insécurité peuvent déclencher ces comportements sans que la personne en soit consciente.

Ce besoin de contrôle peut aussi s’expliquer par un manque de modèles positifs en matière de délégation ou par une organisation qui valorise implicitement la surperformance. « Le système pousse parfois à microgérer », met en garde Monia Boulais.

Microgestion : des conséquences sur l’ensemble du personnel

La microgestion peut fragiliser les personnes qui la subissent, mais aussi user les gestionnaires elles.eux-mêmes.

Effets sur les équipes : démobilisation et perte d’initiative

Lorsque la microgestion s’installe, elle agit directement sur le sentiment d’autonomie des membres de l’équipe.  

Les employé.e.s, anticipant des corrections ou des jugements sur leur travail, peuvent progressivement cesser de faire des propositions ou de prendre des initiatives.

Face à ce contexte, certain.e.s adoptent des comportements d’auto-effacement, préférant rester en retrait plutôt que de prendre des risques. « Certaines personnes vont se retirer, d’autres vont geler », précise Mme Boulais.  

Cette dynamique fragilise l'engagement individuel et peut générer un sentiment d'inutilité, soutient l’experte : « et c’est un sentiment dur à nommer. »

« La microgestion se nourrit du silence. Certaines équipes ne savent même plus quoi dire. Elles ne savent plus si elles peuvent parler ou non parce qu’elles ont la sensation de marcher sur des œufs. »

- Monia Boulais

« Une gestionnaire voulait absolument tout voir, elle voulait tout valider. Elle corrigeait même des choses qui étaient correctes, car elle trouvait que ce n’était pas assez bien, confie Stéphanie Perreault. Elle pensait bien faire au fond... Mais à force de faire ça, elle a vidé son équipe. Les gens étaient éteints, ils ne proposaient plus rien. »

Effets sur les gestionnaires : surcharge et isolement

La microgestion n’affecte pas seulement les équipes : elle peut aussi se retourner contre le ou la gestionnaire, qui finit par porter seul.e le poids des décisions et des actions.  

Dans ce piège de la performance, la volonté de tout superviser devient rapidement une source de surcharge mentale.

Monia Boulais explique que ce besoin de contrôle « peut refléter une stratégie de survie inconsciente, parfois accentuée par des environnements de travail exigeants ou peu sécurisants. »  

« Il y a une croyance selon laquelle, plus je suis impliqué.e, mieux ça va aller. Mais on devient un goulot d’étranglement et on s’épuise », observe Stéphanie Perreault.  

Pris dans un engrenage, les gestionnaires peuvent avoir l’impression que seul un contrôle constant garantit les résultats, mais ce réflexe mène à un isolement professionnel et à un épuisement progressif.  

Être dans l’action peut devenir une fuite, assure Monia Boulais.

Contrôle excessif : gare à l’épuisement professionnel !

Un exemple marquant partagé par Stéphanie Perreault met en lumière les conséquences néfastes de ce style de gestion sur la santé psychologique. Une directrice, pourtant compétente et investie, a fini par s’effondrer lors d’une réunion d’équipe.

« Elle était épuisée de gérer de cette façon-là », confie l’experte. Habituée à tout faire elle-même, incapable de déléguer ou de lâcher prise, cette directrice s’est retrouvée à bout de souffle. « Elle a réalisé qu’elle ne se reconnaissait plus. »  

L’intensité de la situation a nécessité un arrêt de travail pour qu’elle puisse prendre soin de sa santé mentale.

Effets sur l’organisation : un climat fragilisé

Au-delà des individus, la microgestion a aussi des répercussions sur l’ensemble du climat organisationnel. Lorsqu’elle perdure, elle peut engendrer un affaiblissement des relations de confiance, une circulation de l’information plus limitée et une baisse de l’engagement collectif.

Les expert.e.s rappellent que ce type de gestion renforce les réactions de repli et peut laisser s’installer une culture du silence.  

Ce climat plus tendu et moins collaboratif peut freiner la dynamique d’équipe sans nécessairement que les causes soient identifiées à première vue.

« La microgestion, ça fait perdre les repères. Les équipes ne savent plus si elles peuvent parler ou non », observe Monia Boulais. Dans ce climat de confusion et de silence, la cohésion se fragilise et il devient difficile d’échanger librement sur les enjeux ou les besoins.

Accompagner le changement : des pistes concrètes pour une gestion efficace

La bonne nouvelle, c’est que la microgestion n’est ni inéluctable ni irréversible !  

Des stratégies simples et progressives peuvent permettre d’en sortir, pour retrouver un climat plus sain et plus engageant.

Recréer un climat de confiance

Sans confiance, la dynamique entre gestionnaire et équipe peut rapidement se détériorer au profit de comportements de contrôle ou de retrait.  

Comme le souligne Monia Boulais : « La confiance, ça se pratique. »

Il ne s’agit pas pour les gestionnaires de disparaître ou d’abandonner leur rôle, mais plutôt de faire de la place à l’autre, de permettre aux membres de l’équipe de s’approprier leur autonomie tout en sachant qu’un cadre sécurisant existe.  

La confiance implique aussi d’accepter que les choses puissent être faites autrement, sans pour autant perdre en efficacité ni en qualité.

Encourager le dialogue et la rétroaction

La gestion des perceptions est au cœur de la prévention de la microgestion. Pour Laurent Vorelli, il est indispensable d’ouvrir des espaces de discussion sincères avec les équipes afin de vérifier comment les actions du ou de la gestionnaire sont vécues au quotidien.  

« Il faut aller valider avec les équipes. Comment telle action est-elle perçue ? Est-ce que c’est soutenant ou bien est-ce que c’est étouffant ? »

Encourager la rétroaction ne signifie pas seulement écouter les irritants, mais aussi être capable de recevoir des signaux faibles sur le niveau d’autonomie ressenti, sur le climat relationnel ou sur la qualité des échanges.  

Cette posture favorise des ajustements continus, évitant ainsi que des tensions latentes ne s’installent durablement.

Offrir un accompagnement adapté

« Tout ne se règle pas avec un outil », insiste Monia Boulais. Les défis liés à la microgestion nécessitent un travail en profondeur sur les postures de gestion, les habitudes relationnelles et la capacité à s’adapter à des environnements et une main-d’œuvre en constante évolution.  

Changer une posture de gestion demande de se remettre en question. « Il faut qu’il y ait un espace pour se demander : pourquoi je fonctionne comme ça ? », relève Monia Boulais. Les formations en leadership offrent ce recul nécessaire pour comprendre ses réflexes et adopter des approches plus souples et humaines.

Il ne s’agit pas de transformer radicalement les individus, mais de leur offrir des outils pour élargir leur palette de comportements face aux situations complexes ou stressantes.

En complément, il est essentiel pour les organisations de miser sur l’accompagnement individuel. « Quand on accompagne un.e gestionnaire, on le.la soutient dans le développement de sa posture, pas dans le jugement », insiste Monia Boulais qui précise que sortir du réflexe de performance pour aller vers une posture plus relationnelle demande du temps, du soutien et de l’écoute.  

« On ne devient pas gestionnaire du jour au lendemain. Il faut apprendre à déléguer, à observer, à comprendre ce qui déclenche certains comportements. »

Briser le cycle de la microgestion... Par la lenteur !

La microgestion s’inscrit souvent dans une logique d’urgence où l’on croit que tout doit aller vite et que le.la gestionnaire doit constamment intervenir.  

Pour Monia Boulais, prendre un pas de recul est parfois la clé pour sortir du mode réaction. « Il faut ralentir pour ensuite s’adapter aux besoins individuels ».

Ce ralentissement volontaire contribue à reconstruire une gestion plus posée, où la confiance peut s’installer durablement.

Finalement, la microgestion n’est pas un comportement figé : elle reflète souvent un besoin de contrôle lié à un contexte de pression ou un vécu personnel.  

En prenant conscience des mécanismes qui la nourrissent, et en accompagnant les gestionnaires avec bienveillance, il est possible de réduire ce réflexe au profit d’une gestion du personnel plus confiante, plus humaine, et surtout, plus fédératrice !