Amitiés au travail : plaisir, pièges et mode d’emploi

23-05-2025
Passer plus de temps avec ses collègues qu’avec sa propre famille, c’est presque la norme. Forcément, des liens se tissent… Mais parfois les choses se compliquent !
Rédigé par :
Victoire Bejjani, Pratiques RH
Amitiés au travail

L’amitié au travail est inévitable : en 2016, 90 % de la main-d'œuvre canadienne déclaraient avoir au moins un.e bon.ne ami.e au bureau. Plus récemment, environ 30 % des travailleurs en Amérique du Nord ont affirmé qu’avoir un.e meilleur.e ami.e parmi leurs collègues comptent vraiment.

Au troisième trimestre de 2023, 68 % des Canadien.ne.s ont attribué une note de 8, 9 ou 10 (sur 10) à leur satisfaction à l’égard des amitiés au travail. Autrement dit, un bon climat entre collègues influence directement le bien-être au bureau !

Mais tout n’est pas toujours rose. Des situations délicates peuvent aussi émaner de ces relations : favoritisme, tensions, etc. Bref, l’amitié en entreprise, c’est un subtil équilibre entre entraide et écueils à éviter.

Tour d’horizon des work BFF (meilleur.e ami.e de bureau), des enjeux et impacts de ces relations.

Amitié entre collègues : un atout bien dosé

L’amitié entre collègues, c’est souvent une dynamique spontanée et naturelle : même espace de travail, mêmes défis, même humour autour d’une blague sur un projet marquant... Parfois jusqu’à en oublier la frontière entre travail et amitié.

Pourquoi l’amitié au travail est un plus ?

Une vraie bouffée d’air frais au travail, l’ami.e collègue est solidaire : besoin d’un avis rapide ou d’une relecture express ? Il.elle est là. Un coup de mou un mardi matin ? Il.elle saura faire rire.  

Et ces relations dépassent souvent le cadre professionnel : 53 % des travailleur.euse.s passent du temps avec leurs collègues en dehors du bureau, signe de relations solides qui renforcent l’esprit d’équipe. Et loin d’être un frein à la productivité, ces amitiés influencent positivement l’environnement de travail.  

D’ailleurs, selon Koffi Hounnou, coach organisationnel spécialisé dans les approches Agiles, « l’amitié est quelque chose de très important dans un cadre agile, où l’équipe doit fonctionner comme un seul organisme. Il y a donc presque une obligation, ou du moins une forte tendance, à créer des liens humains. »  

Une vaste étude, menée auprès de 17 393 Québécois.es, confirme ce constat, identifiant la qualité des relations de travail comme l’un des six facteurs clés du bien-être et de la motivation professionnelle.

De son côté, Isabelle Gianarelli, sociologue des organisations et professeur de sociologie, estime que si « on ne peut pas forcer l'amitié, mais une organisation peut favoriser ou nuire à son développement par sa culture. Cependant, tout repose avant tout sur l'individu : certains préfèrent strictement séparer vie professionnelle et personnelle. »

Les précautions à garder en tête

  • Attention aux effets secondaires !  

    Une pause de cinq minutes peut vite devenir une discussion de trente, au risque de couper l’élan de travail et de créer des tensions. Le professeur Angelo Soares (UQAM) rappelle d’ailleurs que, mal gérées, les pauses peuvent nuire à la concentration et à l’ambiance d’équipe, malgré leurs bienfaits potentiels.  

  • Risque de clans involontaires.  

    Un duo très soudé peut, sans le vouloir, exclure certain.e.s collègues et nuire à l’inclusivité du groupe.

  • Et si l’un des deux quitte l’entreprise ?  

    Le vide peut être brutal et impacter la motivation. Il faut alors retrouver un équilibre social et éviter que la dynamique d’équipe ne s’effondre.

L’enjeu, pour les gestionnaires, est d’encourager une ambiance positive tout en préservant un cadre structurant, où l’efficacité collective prime sur les affinités personnelles.

Amitié gestionnaire-employé : un équilibre à trouver

Relation amicale entre gestionnaires et employé.e.s : est-ce une bonne idée ou un terrain glissant ?  

Goûts partagés, dîners d’équipe, tutoiement, etc. L’ambiance peut être agréable, mais le rôle d’évaluateur reste. La limite entre camaraderie et autorité peut vite brouiller la dynamique.

Un style de gestion amical qui favorise la satisfaction de l'équipe

Une gestion bienveillante, c’est souvent la clé d’un climat sain et motivant.  

Quand on se sent écouté.e et soutenu.e, les idées fusent et les équipes osent innover. Comme le rappelle Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal, la bienveillance, c’est veiller au bien-être de tous pour mieux avancer ensemble.

Bonne nouvelle : au Canada, 78,5 % des employé.e.s disent recevoir souvent du soutien de leurs collègues, une dynamique qui peut aussi venir d’un.e supérieur.e perçu.e comme juste et humain.e. 

Comme le dit Koffi Hounnou, « un.e bon.ne gestionnaire ne s’ingère pas dans le travail technique. Il « balaye devant la porte » pour faciliter le travail de ses équipes. »

Le petit plus

Le niveau d’aide qu’une personne reçoit de ses collègues est l’un des indicateurs clés de la qualité des relations de travail.

Bien dosée, cette confiance peut aussi booster le mentorat et aider à évoluer. Et si l’ambiance est bonne, l’effet est immédiat sur la rétention du personnel : les gens ont envie de rester au sein de l’organisation.

Les précautions à garder en tête

  • Gare à l’effet « chouchou du boss »  

    Même sans réel favoritisme, une trop grande proximité entre gestionnaire et employé.e.s peut semer le doute : promotions plus rapides, horaires flexibles, missions valorisantes, etc. Et l’ambiance risque d’en souffrir.

    Selon le psychologue Jacques Forest (UQAM), cité par Jobboom, c’est souvent l’apparence de favoritisme qui fait éclater les tensions : le simple sentiment d’injustice suffit à démotiver et fragiliser les liens dans l’équipe. 

  • Quand l’amitié s’en mêle, l’autorité vacille.  

    Difficile de recadrer sans malaise quand un.e chef.fe d’équipe est perçu.e comme un.e ami.e plutôt qu’un.e leader.  

    Comme le résume Joëlle Charpentier, CRHA, présidente et consultante senior en développement organisationnel, « dire non à une amie, ce n’est jamais simple » — et ça peut vite virer au conflit de loyauté.

    Une situation encore plus délicate survient lorsqu’une personne est nouvellement gestionnaire et doit redéfinir les frontières de ces relations amicales au travail.

  • L’équilibre est fragile  

    Trop de distance, et le management devient froid. Trop de proximité, et la hiérarchie s’efface. Trouver le juste milieu ? Un vrai numéro d’équilibriste !

    Le CIUSSS de l’Estrie-CHUS rappelle d’ailleurs dans son guide sur la gestion de proximité que l’efficacité passe par une relation de confiance, mais sans perdre le cap : directives claires, encadrement constant, et une distance professionnelle bien dosée.

Ce que dit la loi au Québec

  • Loyauté et favoritisme : En vertu du Code civil (art. 2088), les employé.e.s doivent agir dans l’intérêt de leur employeur. Un favoritisme avéré peut mener à des sanctions, voire un congédiement s'il mine l’équité ou la cohésion de l’équipe.
  • Conflits d’intérêts : Les relations perso au travail ? Pas interdites… Mais à déclarer si elles risquent d’influencer une décision. L’idée : éviter tout doute sur l’impartialité.
  • Climat de travail : Selon la Loi sur les normes du travail, l’employeur doit prévenir le harcèlement psychologique et maintenir un environnement sain, pour tout le monde. 

Amitié avec un RH : un risque pour l’employeur ?

L’amitié entre une personne des RH et un.e employé.e peut sembler anodine, mais elle soulève des enjeux clés pour l’entreprise.  

Si un membre de l’équipe des ressources humaines gagne la confiance du personnel, il reste avant tout garant des politiques internes et de la confidentialité.

Pourquoi c’est un plus ?

Un.e RH proche du terrain capte mieux l’ambiance et les préoccupations du personnel. Cette relation peut fluidifier la communication et renforcer l’engagement.

Les précautions à garder en tête

À peu près les mêmes que pour les gestionnaires : favoritisme perçu, confidences mal placées, difficulté à rester neutre, etc. 

La personne gérant les RH, aussi sympathique soit-elle, doit garder son rôle clair : rester professionnelle, discrète et juste en toutes circonstances. L’amitié, oui, mais jamais au détriment de la confiance de l’équipe.

Amitié interservices : un moteur de collaboration

Dans une entreprise, les liens ne s’arrêtent pas aux frontières des départements. Un responsable marketing qui déjeune avec une comptable, une cheffe de projet proche d’un ingénieur, etc. Ces amitiés, loin d’être anodines, boostent la coopération et l’agilité.

Pourquoi c’est un plus ?

  • Des échanges plus fluides : Mieux comprendre les contraintes des autres services, c’est gagner en efficacité.
  • Moins de silos, plus de synergies : Finies les rivalités entre départements, place à une collaboration naturelle.
  • Un climat de travail dynamisé : Plus de connexions, plus de convivialité, et un vrai esprit d’équipe.
  • Une mobilité interne encouragée : Connaître d’autres services, c’est aussi repérer des opportunités.

Les précautions à garder en tête

Évidemment, les mêmes risques que pour toute amitié au travail peuvent ressortir ici aussi : perte d’objectivité, confidentialité mise à mal, etc. Et attention au déséquilibre : trop s’investir ailleurs peut finir par fragiliser sa propre équipe.

Ce que Reddit nous apprend vraiment

Un utilisateur se demande s’il doit rejoindre un Discord d’équipe pour jaser et jouer avec les collègues après le boulot. Les réponses ? Pas de règle, juste du vécu.

« Tu passes 40h/semaine avec eux, c’est normal de créer des liens. Mais si ça ne te tente pas, c’est correct aussi », dit @hirme23.

Certains rappellent d’y aller tranquille : collègues décevant.e.s, confidences mal placées, etc. 
Et le Discord ? Si c’est juste pour se plaindre, passe. Si c’est du fun, pourquoi pas !

Amitié avec d’anciens collègues : un réseau qui ne s’éteint pas

Le travail rapproche, mais il ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise. Quand quelqu’un quitte l’organisation, l’amitié peut continuer, entre souvenirs partagés et nouvelles opportunités. 

L’ex-collègue peut vite devenir un contact précieux : pour un avis, une recommandation, ou même pour faciliter les échanges si la personne devient client ou fournisseur.

Les précautions à garder en tête

  • Éviter les tensions : Si un.e ex-collègue a quitté l’entreprise sur un mauvais souvenir, il vaut mieux ne pas se retrouver au milieu de critiques incessantes.
  • Garder son cap : Voir une personne s’épanouir ailleurs peut donner envie de bouger aussi. Mais une étude canadienne sur le travail et la famille montre que ce sont surtout les vraies insatisfactions, pas juste l’envie de faire pareil, qui poussent à changer. Autrement dit, mieux vaut réfléchir à ses propres raisons avant de sauter le pas.

L’amitié au travail ? Oui, mais avec le bon mode d’emploi !

Entretenir des liens d’amitié au bureau, c’est un peu comme jardiner : ça demande de l’attention, du bon sens et d’éviter de tout noyer sous l’émotion.  

Bien équilibrée, l’amitié rend le quotidien plus agréable, stimule la motivation et renforce la collaboration. Mais mal dosée, elle peut semer le doute, créer des tensions ou désorganiser les équipes.

Isabelle Gianarelli, le rappelle : « même dans les contextes valorisant la convivialité, l'injonction à l'amitié ne fonctionne jamais. L’amitié dépend d'affinités naturelles et non d'une contrainte organisationnelle. Forcer ces relations peut créer des amitiés superficielles, nuisibles à l'organisation à long terme. »

Alors, les ami.e.s au bureau ? Bien sûr. Tant qu’on n’oublie pas qu’il y a « travail » dans « ami.e du travail ». Et comme dirait un gestionnaire un peu philosophe : « soyez sympa, mais pas au point de devoir faire une évaluation de rendement en emojis. »