L'amour au travail : oser en parler avec ses employé.es

24-01-2023
Au travail, Cupidon frappe parfois les membres d’une équipe qui tombent amoureux. Quelles sont les bonnes pratiques et obligations de l’employeur et de l’employé.e ? Tour d’horizon.
Rédigé par :
Annie Bourque, Pratiques RH
Relation amoureuse au travail, bonnes pratiques, obligation employeur

Au Québec, selon un sondage ADP, à peine 35 % des entreprises ont adopté une politique concernant les relations amoureuses. Pourtant, un tiers des couples se rencontre au travail. Il ne faut pas se fermer les yeux, pense Christèle Gran-Villeneuve, CRHA, consultante principale et coach, développement des équipes et des leaders chez Humance. 

« L’entreprise, dit-elle, c’est un monde de relations humaines : cela vient avec des conflits, de l’amour, de la complicité, des gens qui s’aiment moins. Tout cela fait partie de la réalité. »

Mme Gran-Villeneuve préconise l’adoption d’une culture d’entreprise basée sur le climat de confiance, de communication et de dialogue avec son équipe. « L’employé.e pourra ainsi dévoiler cette portion de sa vie personnelle, sans crainte ni peur et le faire, dès que possible. L’employeur en mode pro-actif développera avec le gestionnaire des ressources humaines des solutions en concertation avec la personne concernée. » 

On ne peut pas empêcher un cœur d’aimer.  

Henri* (nom fictif, mais cas vécu) est propriétaire d’un commerce de détail depuis 25 ans. L’homme a établi un code de conduite interdisant toute relation amoureuse entre un gérant.e et son employé.e. En 1997, l’entrepreneur a congédié François, un gérant d’expérience en apprenant qu’il était en couple avec la commis de plancher. 

Le congédiement n’est toutefois pas justifié, a décrété à l’époque le Commissaire du travail qui est désormais le Tribunal administratif du travail. Dans le cas du commerçant, le tribunal a recommandé la réintégration de François à son poste de gérant, après une suspension. 

Contenu supplémentaire

« Les relations amoureuses au travail ne sont pas interdites. Il faut simplement qu’un employeur soit capable de les encadrer afin d’éviter les situations de conflits d’intérêts ou un mauvais climat de travail.»

- Amélya Garcia, avocate en droit du travail chez Fasken

Et le télétravail dans tout ça ?

Consultante principale et coach, développement des équipes et des leaders chez Humance, Christèle Gran-Villeneuve, CRHA estime que le contexte actuel constitue un piège. « Certains employés pourraient se dire : on reste caché et personne ne va le savoir. De son côté, l’employeur peut croire que s’il ne le sait pas, ça n’existe pas. » 

De son côté, Amélya Garcia, avocate en droit de l’emploi et du travail chez Fasken est d’avis qu’il vaut mieux prévenir que guérir. « Le télétravail est là pour de bon. C’est peut-être plus difficile de voir si quelqu’un entretient une relation avec un ou une collègue. Cela justifie l’instauration d’une politique sur les relations amoureuses au travail en gardant en tête le respect des droits et libertés. » 

Le dire ou pas? 

Alors qu'un Canadien sur 3 entretient (ou a vécu) une relation amoureuse au travail, on dénombre tout de même 45 % des gens qui gardent leur liaison secrète, selon le sondage ADP. 

Doit-on déclarer à son employeur une relation intime nullement comparable à une relation amoureuse ?  

« En 2022, c’est un peu difficile de tracer la ligne entre une relation intime et amoureuse. Toute personne a le droit au respect de sa vie privée. Une relation intime ou amoureuse qu’on entretient fait partie de ce droit-là », explique Me Garcia. 

Obligation de loyauté 

Toutefois, ce droit n’est pas absolu. En travaillant pour une entreprise, l’employé.e ou le gestionnaire se place volontairement en position de subordination et sous contrôle de la direction d’un employeur. « On renonce partiellement à notre vie privée dans la mesure qu’il faut remplir nos obligations », ajoute Me Garcia. 

Quand l’amour rend aveugle.

Amanda* (prénom fictif, mais cas vécu) est gestionnaire dans un bureau d’assurances. En 1997, la dame s’éprend de son employé. La relation est connue du patron et de l’équipe. Cependant, l’amoureux livre un rendement de plus en plus insatisfaisant au travail : des documents sont perdus et des sommes d’argent ont disparu. 

Entretemps, Amanda est congédiée pour bris de confiance. La gestionnaire a omis à son devoir en négligeant de divulguer les manquements de son employé. L’employeur lui reproche de ne pas avoir pris les mesures pour corriger la situation alors qu’elle entretenait une relation amoureuse avec l’agent de bureau. La Cour supérieure a confirmé la justification du congédiement.

En réalité, Amanda a manqué à ses obligations en protégeant les intérêts de son amoureux plutôt que ceux de l’employeur. « Son jugement a été influencé par la relation amoureuse et elle a donc été placée en situation de conflits d’intérêts», commente Me Garcia.

Conséquences 

Advenant une relation intime avec son patron ou son supérieur, l’employé.e doit se poser des questions cruciales: 

  • Quel est l’impact de ma relation sur mon quotidien au travail ?
  • En quoi ma relation peut-elle teinter mes décisions ? 
  • Quel est l’impact sur ma crédibilité ? 

« Si le couple se pose les bonnes questions, cela va l’emmener à aiguiser son jugement et le guider dans la bonne direction », estime Christèle Gran-Villeneuve, CHRA chez Humance. 

Pour sa part, Amélya Garcia, avocate chez Fasken estime qu’il peut être nécessaire de divulguer notre relation amoureuse surtout si on détient une fonction névralgique. « Plus nous occupons un poste hiérarchique élevé, dit-elle, plus grande est notre obligation de loyauté envers notre employeur.» 

Au lendemain du dévoilement d’une histoire amoureuse, il faut s’attendre à des répercussions. Si cela est justifié, le patron peut prendre des mesures disciplinaires. Surtout si la relation suscite un conflit d’intérêts : un ou une gestionnaire peut difficilement évaluer le rendement de son « amoureux ou amoureuse » par exemple. « Parfois, la relation envenime le climat de travail ou encore elle pourrait entacher l’image de l’entreprise », indique Me Garcia. 

Chose certaine, de l’avis de l’avocate et de la conseillère en ressources humaines, la divulgation de notre relation amoureuse peut entrainer une mutation, un changement dans un autre service. « L’employeur a l’obligation d’agir et de prendre de bonnes décisions, car le climat risque de se détériorer advenant des accusations de favoritisme envers l’employé.e qui a une relation amoureuse avec un.e supérieur hiérarchique», conclut Mme Gran-Villeneuve. 

Rupture douloureuse

Martine* (Prénom fictif, mais cas vécu) est réceptionniste dans une PME. À l’automne, elle vit une relation amoureuse avec le patron qui a décidé de rompre en novembre. Au party de Noël, l’entrepreneur est arrivé avec sa nouvelle conquête. Dévastée, Martine est retournée sur son lieu de travail. Elle a inscrit en grosses lettres sur un mur un message d’insultes à son patron et ex-amoureux. 
Puis, dans un courriel, elle lui annonce qu’elle prendra 3 semaines de vacances. Le tribunal du travail a tranché: Martine avait été congédiée tout en précisant qu’une démission est un geste libre et volontaire. Or, Martine a commis l’erreur de prendre trois semaines de vacances sans autorisation. « Le tribunal a notamment justifié son congédiement en raison des méfaits sur le mur de l’entreprise », a expliqué Me Garcia en citant le jugement qui a été rendu en 2006. 

En cas de rupture, dit Mme Gran-Villeneuve, l’organisation a tout intérêt à montrer sa bienveillance et son humanité. « En contexte de télétravail et en présence, recommande-t-elle, il faut rendre disponibles les différentes ressources dont le programme PAE, psychologue. Il faut soutenir les personnes et éviter l’isolement.» 
 

Effets négatifs 
69 % des employé.es affirment que, lorsqu’elles prennent fin, les relations amoureuses au travail ont un effet négatif sur leurs tâches.
Source : Sondage ADP, juin 2019. 

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