Mobilité interne : comment postuler sans risque
Élodie Leman, rédactrice
chez Pratiques RH
Au moment où les organisations québécoises font face à des défis de recrutement persistants, la mobilité interne s’impose comme une réponse stratégique à la rareté de main-d’œuvre. Mais derrière le concept, la réalité demeure complexe : selon l’ordre des CRHA (2020), 57 % des répondant.e.s estiment qu’il est plus facile de décrocher un poste à l’externe qu’à l’interne. Entre contraintes structurelles et peurs relationnelles, nombreux sont les employé.e.s qui hésitent encore à lever la main.
Comment redonner du sens à la mobilité interne, lever les freins et en faire un véritable outil de rétention ?
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Redéfinir la mobilité interne pour en raviver le sens
Souvent réduite à une question de promotion, la mobilité interne dépasse en réalité la simple ascension hiérarchique. Lorsqu’elle repose sur une vision claire et équitable de l’évolution professionnelle, elle devient un véritable levier de développement des compétences et un outil stratégique d’ancrage et de fidélisation durable des talents.
Une évolution, pas seulement une promotion
Avant d’être une récompense, la mobilité interne est d’abord une occasion de croissance. « On pense souvent que la mobilité interne, c’est d’obtenir une promotion, donc bouger vers le haut. Mais ce n’est pas ça du tout », précise Caroline Boyce, CRHA experte en acquisition de talents.
Elle rappelle que avant tout, la mobilité peut aussi prendre la forme d’un mouvement horizontal ou transversal, permettant d’acquérir de nouvelles compétences ou d’élargir son champ d’action.
Barbara Flores, CRHA spécialiste en transformation organisationnelle, illustre cette réalité : « Dans les organisations où la mobilité interne est encouragée, j’ai vu des parcours inspirants. Plusieurs directeurs d’usine par exemple, venaient initialement du plancher et moi-même, je suis devenue DRH parce que j’ai eu accès à une formation interne »
Évoluer ne signifie pas forcément monter d’un échelon, mais bien continuer à apprendre et à progresser au sein même de l’organisation.
Le piège de la mobilité cosmétique
Mais toutes les mobilités ne se valent pas, et certaines peuvent même nuire à la crédibilité du processus. Caroline Boyce met en garde contre ces évolutions de façade où la reconnaissance précède la transformation réelle du rôle.
« Attention à la “fausse mobilité” ! Les titres changent, les salaires augmentent, mais la personne reste assise sur la même chaise. »
- Caroline Boyce
Il s’agit d’une façon de retenir temporairement un talent sans lui offrir de véritable développement. Barbara Flores partage ce constat : « Promouvoir quelqu’un.e de très bon techniquement ne garantit pas qu’il ou elle saura gérer des équipes. Il faut prévoir un plan de formation et accepter que l’adaptation prenne du temps. »
Lorsqu’elle n’est pas accompagnée ni préparée, cette démarche perd son pouvoir d’engagement et se transforme en source de désillusion.
Un levier d’appartenance et de fidélisation
La mobilité interne n’est pas seulement un outil de gestion des carrières : elle façonne le climat organisationnel et révèle la manière dont l’entreprise valorise les parcours internes. « Une mobilité interne correctement menée, devient un moteur de rétention », affirme Barbara Flores. En donnant une valeur tangible à la progression interne, les entreprises démontrent que la reconnaissance passe aussi par la confiance accordée au potentiel des personnes.
Cette dynamique a d’ailleurs des effets mesurables : selon une analyse publiée par SIGMA-RH, les personnes ayant bénéficié d’une mobilité interne auraient 40 % plus de chances de rester au moins trois ans dans leur entreprise.
Lever les obstacles humains et structurels à l’évolution interne
Selon l'Institut de la statistique du Québec, plus de 123 800 postes vacants ont été recensés au deuxième trimestre de 2025 au Québec. Face aux difficultés persistantes de recrutement, miser sur la mobilité interne devient une stratégie pragmatique pour répondre aux besoins en personnel.
Et si le véritable frein n’était pas le manque d’opportunités, mais le manque de confiance pour en parler ? « On parle beaucoup de manque de main-d’œuvre, mais rarement de manque de dialogue », observe Caroline Boyce. Même dans les milieux où la mobilité est valorisée, les obstacles demeurent nombreux. Certains relèvent de la culture ou des relations de travail, d’autres des processus et des structures en place. Ensemble, ils expliquent pourquoi tant de membres des équipes hésitent encore à lever la main.
Loyauté, peur et autocensure : quand l’ambition se retient
Derrière les chiffres et les politiques, la mobilité interne reste avant tout une affaire d’humains. Les émotions, la loyauté et la peur du jugement y jouent souvent un rôle plus déterminant que les processus officiels. « Beaucoup de talents n’osent pas postuler à l’interne : ils ont peur de froisser leur gestionnaire ou de trahir leur équipe », observe Caroline Boyce.
Barbara Flores note le même phénomène : « Certain.e.s n’osent pas par crainte du regard des collègues. »
Ces appréhensions, souvent invisibles, traduisent un manque de transparence dans la relation hiérarchique et une peur de décevoir plus forte que le désir d’évoluer. Mais la retenue ne vient pas toujours de l’extérieur : « Les femmes, en particulier, vont s’autocensurer ; si elles ne cochent pas neuf critères sur dix, elles n’appliqueront pas », poursuit Caroline Boyce.
L’autocensure touche aussi les personnes plus discrètes ou introverties, souvent moins identifiées dans les plans de relève. « On ne pense pas à elles pour une promotion, parce qu’elles font peu de bruit », ajoute l’experte.
Reconnaître ces biais et encourager les gestionnaires à repérer les talents moins « visibles » permet d’élargir réellement le bassin de mobilité et de renforcer la diversité au sein des équipes.
Des processus équitables pour soutenir une mobilité crédible
La mobilité interne repose autant sur un climat de transparence que sur la rigueur des pratiques. Lorsqu’un.e employé.e choisit de postuler à l’interne, il.elle doit pouvoir le faire sans crainte de représailles ni soupçon de favoritisme.
« Si mon.ma gestionnaire apprend par quelqu’un d’autre que j’ai postulé ailleurs dans l’organisation, la confiance est rompue », souligne Caroline Boyce. Elle insiste sur la nécessité d’un cadre clair et confidentiel, où chaque candidature est traitée de manière équitable.
Barbara Flores renchérit : « Des promotions sont parfois données à des personnes simplement parce qu’on s’entend bien avec elles. » Ces pratiques minent la crédibilité du processus et découragent les candidatures futures.
Mais l’équité ne suffit pas sans une structure solide. Plans de relève inexistants, affichages internes peu visibles, formations limitées : ces freins organisationnels entretiennent l’impression que les parcours sont figés. Comme le rappelle Caroline Boyce, « 1 % de la masse salariale représente le strict minimum : ce n’est pas avec ça qu’on prépare les compétences du futur. »
La loi du 1%
Au Québec, la Loi favorisant le développement et la reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre (communément appelée loi du 1 %), oblige les entreprises dont la masse salariale annuelle dépasse 2 millions de dollars à investir au moins 1 % de cette masse dans des activités de formation. Cet investissement vise à soutenir le développement continu des compétences des équipes (source : Légis Québec.)
Selon Statistique Canada, 61,6 % des entreprises québécoises déclarent faire face à des lacunes de compétences au sein de leur effectif. Dans ce contexte, renforcer la mobilité interne implique de revoir la planification, la transparence et les outils de développement.
Instaurer une culture de confiance et de développement
Favoriser la mobilité interne ne se limite pas à afficher des postes : c’est avant tout créer un climat où les ambitions peuvent s’exprimer sans crainte. Une culture de sécurité et d’ouverture se construit par le dialogue, la reconnaissance et une gestion proactive des parcours.
Le rôle pivot du gestionnaire
La relation avec le.la gestionnaire demeure le point d’ancrage de toute démarche de développement. « Faut être capable de poser la question : Tu te vois encore longtemps dans ton poste chez nous ?», souligne Caroline Boyce. Beaucoup de gestionnaires évitent cette discussion, de peur de susciter un départ.
Pourtant, c’est précisément dans ces échanges que naissent les plans de progression les plus porteurs. Ouvrir la conversation, même en l’absence d’offre immédiate, envoie un signal de sécurité psychologique favorisant la transparence et la rétention. Mais pour que ce dialogue se traduise en progression, encore faut-il que l’organisation mise sur le développement du potentiel, bien avant la promotion.
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Investir dans le potentiel avant de promouvoir
Pour qu’une mobilité interne soit réussie, elle doit être préparée. Barbara Flores partage sa propre expérience : « On n’a pas affiché immédiatement un poste vacant. À la place, j’ai eu un mentor et un accompagnement ». Elle insiste sur l’importance d’investir dans le potentiel avant d’offrir une promotion : « Ils n’ont rien promis, mais ils ont investi dans mon potentiel. »
Un soutien adapté et une formation progressive consolident la réussite du transfert, tout en renforçant la confiance des employé.es dans le processus.
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De la visibilité à la fidélisation : bâtir une culture de confiance durable
La mobilité interne ne peut exister sans visibilité ni reconnaissance. « Une foire interne, c’est simple et convivial, mais il faut une culture d’ouverture pour que les gens osent y aller », observe Caroline Boyce.
« Si c’est toujours l’externe qui est choisi, c’est le signe que la mobilité interne ne fonctionne pas. »
- Barbara Flores
Mesurer les mobilités, valoriser les parcours et rendre visibles les réussites internes envoient un message fort : les carrières peuvent réellement évoluer au sein de l’organisation.
Selon SIGMA-RH, les organisations en sont conscientes :
- 44 % des DRH jugent la mobilité interne « très ou extrêmement importante » dans la gestion des talents
- 47 % dans la transformation numérique des RH.
« Dire à quelqu’un qu’il fait partie de la relève, c’est risqué. Si tu le dis, il faut être capable de livrer quelque chose derrière, sinon tu le perds. Et si tu ne dis rien, tu le perds aussi », prévient Caroline Boyce.
La fidélisation repose donc sur une promesse tenue : accompagner les ambitions, même modestes, dans un climat d’équité et de confiance. Les organisations qui réussissent ne misent pas seulement sur des processus, mais sur une véritable culture de dialogue et de développement. Car derrière chaque mobilité réussie, se trouve un geste de confiance : celui d’une organisation qui croit au potentiel de sa propre équipe.
Faire de la mobilité interne un véritable levier de fidélisation, c’est investir dans les parcours avant d’investir dans les postes.
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