Parole d’expert : « Le compagnonnage ou le mentorat est crucial pour la relève. »

31-10-2025
Thématiques : Stratégie et organisation du travail  -  Parole d’expert
Pour l’entreprise dont plusieurs employé.e.s quittent le navire, certaines problématiques peuvent se manifester : projets mis sur pause, perte de l’expertise et manque de relève. Comment éviter ces bouleversements ?
Karine Dutemple

Auteur.e

Karine Dutemple, rédactrice
chez Pratiques RH

formation pour la relève

Quentin Abraham Desrosiers, directeur général de PlastiCompétences, met de l’avant plusieurs conseils pour l’élaboration d’un programme de gestion de la relève.

La préservation de l’expertise au cœur du plan de relève

PRH : Comment élaborer un programme de gestion de la relève et que devrait-il prévoir ?

Quentin Abraham Desrosiers : L’analyse sera plus ou moins approfondie, qu’il s’agisse d’une entreprise dont la structure RH est établie ou d’une petite ou très petite entreprise dont les ressources sont plus modestes.

Il faut d’abord identifier les postes clés, ceux dont l'organisation est dépendante pour ses opérations critiques. Cela est nécessaire, car il peut être difficile de planifier la relève pour l'entièreté des postes existants.

Dans mon cas, ce sont les responsables du développement des affaires qui ont le plus d’incidence sur ma performance. Qu’est-ce qu’on veut retrouver chez la personne qui prendra la relève ? Quelqu'un qui peut être sur la route, qui a de l'entregent et la capacité de maintenir des relations avec des clients potentiels.

Avec ces postes clés, je n'ai pas toutes les connaissances, mais j’ai les plus importantes pour maintenir et continuer mes opérations. Si possible, on ajoute de la spécificité pour augmenter l’efficacité du programme. Qui va le faire ? Quand ces personnes doivent-elles le faire ?

Ensuite, c'est de voir si je suis capable d'établir des processus pour faciliter le transfert du savoir. Il faut se rabattre sur les principes de base : de quoi ai-je besoin ? Comment j'encourage les gens à le faire ?

PRH : Quelles contraintes peuvent compliquer l’élaboration d’un plan de relève ?

Q.A.D. : La première étape consiste à faire le suivi auprès des gens dans les postes critiques. Est-ce que j'ai des gens à l'interne qui pourraient prendre ces postes ou est-ce que je dois embaucher ?

Qu’on choisisse une personne à l'intérieur ou à l'extérieur de l’entreprise pour prendre la relève, il faut accepter d’avoir des coûts plus élevés de salaire. Est-ce que cela va résulter de l’embauche de quelqu'un six mois plus tôt ou parce qu’un.e salarié.e doit assumer des tâches supplémentaires pour former un.e collègue ?

Advenant cette seconde possibilité, il faut avoir une discussion avec la personne pour préparer l'accompagnement qu'elle va devoir faire et lui donner le temps de le faire. Ce sont des tâches de plus, il doit y avoir une motivation. Est-ce que c'est une prime durant la période où elle doit former quelqu’un ?

En l’absence d’un plan de relève, les pertes et les gains perdus seront beaucoup plus élevés que le coût d'avoir des rémunérations additionnelles ou d’ajouter des paliers entre deux postes pour reconnaître l’effort des gens.

Trois questions pour le plan de relève

  • Qui doit être remplacé ?
  • Que dois-je obtenir comme information et implication de la part des personnes que je veux remplacer ?
  • Comment est-ce que j’encourage les gens qui vont prendre la relève d’un poste et ceux qui seront remplacés à participer à ce processus ?

PRH : Est-ce que le programme peut contrer l'impact sur la productivité d’un départ massif ?

Q.A.D. : Un plan, ce n’est pas une approche qui doit être réactive. Advenant un départ massif, les ressources nécessaires pour mettre en place un plan de relève sont interrompues parce que la possibilité de transmettre le savoir l’est également.

Sur une équipe de 50, si tu as 10 postes clés qui partent, l'approche pour adresser la situation va être différente. Au-delà de l’identification des postes critiques, il faut comprendre pourquoi ils le sont.

Quelles sont les tâches qui sont critiques à ce niveau-là ? Quel est le savoir et les compétences qui doivent être transférées ? Dans un plan de relève idéal, il devrait y avoir au moins une opportunité de compagnonnage et de transfert des savoirs.

Si tu n'as plus accès à ce savoir-là ou qu’il n'a pas été détaillé au moins minimalement, il va falloir repartir de zéro ou presque. Il sera nécessaire de reconstruire le savoir perdu, à moins de convaincre un.e employé.e devant prendre sa retraite de rester plus longtemps pour faire du compagnonnage et de l’accompagnement, mais cela est plus dispendieux.

PRH : Quels sont les avantages d'avoir un plan de relève ?

Q.A.D. : Il minimise les coûts pour l'entreprise, mais aussi les pertes de qualité, de clients et de connaissances. Disons qu’un.e employé.e ayant un niveau de compétence et de performance très élevé quitte, la personne qui va le.la remplacer ne possédera pas un niveau de performance à 100 %. Cela peut avoir une incidence sur les résultats obtenus en revenus et bénéfices.

Les coûts engendrés vont dépendre de la nature de l'entreprise et de ses activités. Sans même parler de productivité, le temps nécessaire pour remplacer la personne est estimé à environ trois fois le salaire de la personne qui entre en poste.

L'autre avantage, c'est l’impact positif sur la main-d'œuvre. Elle est critique à notre fonctionnement et difficile à remplacer. Si on peut donner des avantages suffisants au personnel pour qu’il reste dans l'organisation, on favorise la rétention tout en réduisant les coûts d’une transition.

« Un plan de relève permet de mettre en place des stratégies pour retenir les employé.e.s qui veulent progresser dans leur carrière, assumer des rôles plus importants et développer leurs compétences. »

Il y a également un avantage financier pour les employé.e.s dans un bon plan de relève. Il faut prévoir des reconnaissances financières à la personne qui acquiert des compétences additionnelles pour remplacer quelqu’un. Plusieurs possibilités existent, mais l'important c'est de reconnaître l'effort additionnel.

Ensuite, il y a l'alignement stratégique des entreprises. S’il y a des stratégies d'affaires que je souhaite développer, elles sont dépendantes de la main-d'œuvre pour être réalisées.

Disons que je me vois atteindre un certain jalon d'ici trois ans, comme l’augmentation des ventes. Si les personnes dont cette stratégie-là dépendent ne sont pas relevées, les chances que je l’atteigne sont réduites, sans compter le risque de décroissance.

PRH : Comment encourager les employés à participer activement à la réussite de ce programme ?

Q.A.D. : Il faut offrir une reconnaissance financière en échange de l’acquisition de compétences. Un.e salarié.e qui souhaite accéder à un poste supérieur va faire les efforts pour acquérir les compétences nécessaires. Sans une augmentation de la rémunération, il n'y a pas de gain. Donc, il y a une certaine prise de risque, car la personne fournit des efforts sans un avantage en échange.

C’est normal d’avoir plusieurs options pour la relève d’un poste. Les personnes concernées doivent savoir qu’elles ont cette possibilité et connaître les efforts à faire pour y arriver.

Pour un individu qui a huit compétences à acquérir, il faut envisager deux options : un pourcentage pour l'atteinte de toutes ou un petit pourcentage par compétence atteinte. Si la situation ne se déroule pas à la vitesse prévue ou que la personne n’est pas retenue, elle a quand même des gains d'avoir fait l'effort.

Le compagnonnage ou le mentorat effectué de ces personnes est crucial dans le succès de la gestion de la relève. Leurs efforts doivent être reconnus par une hausse de la rémunération ou d'autres avantages.

PRH : Quelles autres mesures peuvent favoriser le succès d’un programme de gestion de la relève ?

Q.A.D. : Si je veux que des gens deviennent superviseurs, il faut transférer leur savoir, car il est presque impossible d’avoir des processus suffisamment détaillés pour tout contenir par écrit.

Il est souhaitable de réduire l’incertitude de la personne qui prendra la relève en s’assurant que son cheminement soit clairement établi. On est dans une optique d'accompagnement pour s'assurer le plus possible que la personne sait ce qui l'attend.

Dans un autre temps, il est nécessaire d'accorder des reconnaissances au niveau des titres. Si j'ai des opérateurs.trices qui veulent devenir superviseur.e.s de production, mais qu’il n’y a pas de postes disponibles présentement, on peut leur offrir un titre de superviseur.e de production adjoint.e.

De cette façon, ils.elles obtiennent de la crédibilité et ont la preuve que leur employeur reconnaît leurs efforts. Ces personnes ont un statut privilégié, ce qui leur donne plus facilement accès aux opportunités. Cette reconnaissance peut aider leur carrière ailleurs, mais elle va surtout contribuer à les garder dans l’entreprise. On peut cibler une personne qui part à la retraite, mais elle peut choisir de rester.

Enfin, il faut préparer la personne qui va former ses pairs à être un.e pédagogue. Des formations pour la préparer à transférer ses connaissances lui permettront de savoir comment interagir avec l'autre, ce qui facilitera la relation entre le.la compagnon.ne et l’individu mentoré.

Il faut avoir une évaluation très sévère de la personne qui prendra la relève. Il faut vraiment que les gens acquièrent la compétence, que cela soit démontré et validé. Autrement, on peut croire que quelqu'un a acquis le savoir ou bien présumer qu’un.e superviseur.e transfère le savoir, sans que cela soit le cas.

PRH : À quelle fréquence le programme devrait être actualisé ?

Q.A.D. : Idéalement, une fois par an, mais cela dépend de la taille de l'organisation. Pour une grande entreprise, il peut s’agir de révisions trimestrielles.

PRH : Quelle forme doit prendre l’actualisation du programme ?

Q.A.D. : La première étape consiste à faire le suivi auprès des gens dans les postes critiques. Est-ce que j'ai des gens à l'interne qui pourraient prendre ces postes ou est-ce que je dois embaucher ?

Tu n’as pas besoin d'avoir un plan détaillé, mais il faut des éléments établis pour réagir rapidement en cas d’enjeu. C’est important d’ajuster la vitesse à laquelle on planifie, en fonction de l’horizon dont on dispose. Est-ce que la personne part dans un an ou trois ans ?

Même si c’est inconfortable, il faut créer une culture où les employé.e.s se sentent suffisamment à l'aise pour communiquer leurs souhaits de départ. C'est un enjeu sensible, pouvant être aussi émotionnellement difficile pour les gestionnaires.

PRH : Comment créer ce type de culture ?

Q.A.D. : Il faut instaurer un climat de confiance afin que les employé.e.s ne sentent pas qu'ils et elles se mettent en danger en admettant vouloir décrocher un nouvel emploi. 

On doit être positionné comme un soutien à leur carrière, dans notre entreprise ou ailleurs. Connaître leurs aspirations permet de mieux anticiper et donc, de prendre de meilleures décisions.