Gestionnaires oubliés : 5 stratégies pour renforcer son leadership au quotidien
Auteur.e
Annie Bourque, rédactrice
chez Pratiques RH
Depuis 15 ans, Laurie Croteau constate l’évolution du métier de gestionnaire au sein des organisations. Médiatrice, formatrice et consultante spécialisée en harcèlement, elle observe de nombreux départs chez les gestionnaires de carrière.
Son constat est clair : les gestionnaires ressentent un sentiment d’isolement et d’abandon.
« Des gens quittent les organisations par manque de soutien de la direction ou du conseil d’administration. Plusieurs ont l’impression d’être oublié.e.s, et cela finit par miner leur confiance », raconte-t-elle en entrevue.
40 %
des organisations nord-américaines ont perdu la moitié de leurs gestionnaires, selon un rapport de LHH, la filiale du Groupe Adecco dédiée au recrutement en Amérique du Nord.
Selon Laurie Croteau, cette vague de départs s’explique par un manque de compétences, de formation ou encore par un sentiment d’impuissance vécu au quotidien.
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Coût tangible
Une étude de Mercer réalisée en 2024 estime que remplacer un gestionnaire coûte de 50 % à 200 % de son salaire annuel.
Dans le secteur manufacturier, par exemple, il est difficile de trouver une personne d’expérience dotée d’habiletés humaines, fait remarquer de son côté Charles Létourneau, PDG du Centre patronal SST.
Des gestes et comportements empreints d’irrespect
Depuis la pandémie, les plaintes pour harcèlement au travail sont en hausse. Ce phénomène s’explique notamment par la multiplication de comportements vexatoires sur les lieux de travail.
Pourtant, depuis 2004, une loi interdit le harcèlement psychologique au travail au Québec obligeant les employeurs à protéger la santé, la sécurité, l’intégrité psychologique et la dignité de leurs employé.e.s.
Attention au dérapage en réunion
Dans les réunions, un soupir, un regard levé au ciel ou un commentaire désobligeant peuvent suffire à détériorer le climat. Pire encore, un employé interrompt une superviseure et remet en question ses décisions. « Ce comportement toléré et banalisé finit par miner l’autorité de la gestionnaire et surtout l’atmosphère de travail », déplore Laurie Mme Croteau.
« Des incivilités comme couper la parole ou un sourire sarcastique peuvent sembler inoffensives, mais elles sont souvent le fil conducteur vers le harcèlement, avec des répercussions sur la confiance, l’anxiété, le sommeil et le bien-être général », ajoute-t-elle.
Pendant ce temps, dans les corridors...
En 2025, de jeunes gestionnaires ou des femmes évoluant dans des milieux majoritairement masculins font encore l’objet de discussions déplacées dans les corridors. « On remet en question leurs compétences, et certain.e.s se permettent des remarques sur l’habillement ou l’apparence. Ce sont bel et bien des exemples d’inconduite et d’incivilité », remarque Laurie Croteau.
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Stratégie 1 : Intervenir rapidement
Advenant un geste irrespectueux, il est essentiel d’agir immédiatement. Oui, mais comment ?
« Durant sa rencontre avec l’employé.e., la personne gestionnaire peut dire : j’observe telle chose quand je fais une intervention. J’y vois là un manque de respect. Surtout, je ressens que ce je dis n’a pas d’importance. J’aimerais qu’il y ait un respect mutuel afin d’instaurer un bon climat de travail. »
- Laurie Croteau
Enfin, il arrive qu’un.e gestionnaire soit aux prises avec des employé.e.s rebelles, en opposition à ses directives.
« Il ne faut pas attendre avant d’intervenir, car de tels comportements d’insubordination risquent de se cristalliser. Et si on ne sait pas comment intervenir, il faut aller chercher de l’aide », suggère Mme Croteau.
Stratégie 2 : Clarifier son rôle
En réunion, habituellement la personne gestionnaire va demander : « Où en sommes-nous concernant tel dossier ? »
Autour de la table, quelqu’un répond d’un ton sec, visiblement dérangé par la question. Un autre membre élabore une réponse interminable, enveloppée d’un flou aussi épais qu’un brouillard d’automne. Résultat : personne ne sait vraiment sur quoi l’employé.e travaille ni la date de livraison prévue.
Laurie Croteau souligne l’importance d’expliquer son rôle dès l’émission d’une remarque négative ou réticence. Elle suggère de dire : « Mon travail est de m’assurer que l’équipe atteigne ses objectifs et que la production avance bien. »
Enfin, le gestionnaire joue aussi le même rôle que Martin St-Louis, le coach du Canadien de Montréal, qui veille à ce que chaque personne soit à la bonne place.
Attention aux pièges des 3 types de leaders
L’auteure du livre Le leader créateur, Pascale Dufresne fait part de certains pièges auxquels sont confronté.e.s les leaders qui opèrent à partir de 3 dynamiques dans le monde du travail, soit le Pacificateur, l'Expert, puis le Performant.
Leader Pacificateur
Portrait : c’est la personne qui cherche l’harmonie, qui se sur-adapte, qui va dire oui quand elle a envie de dire non. Proche des gens, elle peut tomber dans la complaisance, le manque de fermeté et a de la misère à prendre des décisions par crainte de déplaire.
« On demande beaucoup aux gestionnaires d'être bienveillant.e.s et d’être à l’écoute, mais il faut faire attention au piège d’un environnement qui privilégie le confort. On ne refuse rien à son personnel, qui a droit au barista ou au skateboard à la porte. Résultat : beaucoup de plaisir, mais peu d’engagement concret. »
- Levier : ajouter une dose de fermeté. « Un.e leader peut exercer son autorité avec une teinte de bienveillance et ainsi améliorera la dynamique de l’équipe. »
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Leader Expert
Portrait : cette personne a toujours appris que pour être reconnue, il fallait être expert.e et avoir les réponses. Elle possède de vastes connaissances, mais finit par tomber dans le micro-management et l’analyse excessive.
En réalité, ce leader se « sécurise » dans les détails. « Cependant, cela démotive et démobilise les gens parce qu’ils ont besoin de liens (humains) pour avancer », fait valoir Pascale Dufresne.
- Levier : Quand le leader est trop « dans sa tête », il garde une distance avec les autres. Il craint d’être vulnérable. « Il faut ajouter une touche d’humanité à sa façon de gérer et passer à l’action au lieu de rester paralysé par les détails. »
Leader Performant
Portrait : Cette personne est très valorisée dans le monde du travail.
Plus les performant.e.s livrent, plus on leur donne du crédit même si leur travail se fait au détriment de leur propre santé.
Piège : les impacts au niveau relationnel surviennent lorsque la personne va tellement vite qu’elle ne s’entoure que de celles et ceux capables de suivre son rythme. Elle a alors du mal à prendre du recul.
- Levier : il faut ajouter de la sensibilité dans sa performance. « Le gestionnaire doit se demander : Est-ce que les autres vont bien ? C’est le rôle fondamental d'un leader de créer un espace où règne la sécurité psychologique », précise la fondatrice de Leadership Inspire & Lab.
Stratégie 3 : Cultiver l’autorité bienveillante
Faire preuve de respect ne signifie pas tout tolérer. Il est possible d’adopter une posture ferme et respectueuse à la fois : écouter, mais aussi s’affirmer.
« L’autorité bienveillante repose sur la constance, la transparence et l’équité », rappelle Laurie Croteau.
Elle recommande aussi de veiller à ce que le terrain de jeu soit équitable au sein de l’équipe. « Les sentiments d’injustice ou de jalousie sont toxiques ; s’ils ne sont pas maîtrisés, ils minent le climat de travail », précise-t-elle.
Stratégie 4 : Cultiver sa vitalité
Dans ses formations, Pascale Dufresne enseigne la nécessité de cultiver sa vitalité pour maximiser son énergie et maintenir son équilibre.
Elle suggère de vérifier régulièrement le point sur les quatre dimensions du modèle PMES : physique, mental, émotionnel et spirituel.
- Physique : Quel est l’état de mon énergie ?
- Émotionnel : Est-ce que mes émotions sont positives ou négatives ? Ai-je des liens significatifs ? Quand j’ai des choses à dire, est-ce que je les garde pour moi ou je les exprime ?
- Mental : Mon esprit est-il clair ou embrouillé ? Suis-je dans le présent ou dans l’anxiété du futur ?
- Spirituel : Mes actions sont-elles alignées avec mes valeurs ?
Mme Dufresne estime qu’il faut prendre soin de ces 4 dimensions et d’observer sa posture. « Il s’agit là d’une grande compétence à développer ».
Stratégie 5 : La nécessité d’un accompagnement et d'une formation
Les spécialistes interrogé.e.s recommandent unanimement d’offrir davantage d’accompagnement et de formation aux gestionnaires.
« Souvent, ces personnes sont d’excellent.e.s professionnel.le.s promu.e.s à un poste de gestion. Elles se retrouvent soudainement de l’autre côté du miroir, avec des tâches complètement différentes », explique Charles Létourneau.
Sur le terrain, Laurie Croteau observe fréquemment de nouveaux gestionnaires qui doivent faire le deuil de leur ancien rôle. « Le sentiment de camaraderie n’est plus le même, puisque la personne gestionnaire se retrouve dans une position d’autorité et vit parfois un sentiment d’isolement difficile. »
Plan de développement et d’intégration
Charles Létourneau propose d’inclure un plan de développement et d’intégration lors de l’accueil d’une nouvelle recrue gestionnaire, qu’elle provienne de l’interne ou de l’externe.
« L'organisation devrait l'aider dans son intégration. Quels sont les indicateurs du succès que la personne devrait avoir atteints dans ses 100 premiers jours, après 3 mois et à la fin de sa première année ? », explique-t-il.
De nombreux bienfaits
« Les gens ressentent un sentiment d’accomplissement dans leur travail, et cela permet aussi de développer un sentiment d’appartenance envers l’employeur qui offre les formations », observe M. Létourneau.
« J’ai vécu telle chose en gestion », avance quelqu’un. Ces échanges deviennent un vrai levier de développement personnel et professionnel.
De son côté, la cofondatrice de Leadership Inspire & Lab, Pascale Dufresne, va plus loin en évoquant une perspective de durabilité et de performance. L’employeur, selon elle, joue un rôle fondamental en soutenant ses gestionnaires qui osent prendre ce temps pour apprendre et s’élever au-dessus de la mêlée. Un véritable luxe dans ces temps de coupures budgétaires.
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