Harcèlement au travail, constats et évolution au Québec

28-02-2023
Le 1er juin 2004, le Québec adoptait une loi interdisant le harcèlement au travail signifiant que les employeurs doivent protéger la santé, la sécurité, l’intégrité psychologique et la dignité de ses employé.e.s.
Rédigé par :
Author
Annie Bourque, Pratiques RH
Image
Pratiques RH Qu'est-ce que le harcèlement au travail ?
Le 1er juin 2004, le Québec adoptait une loi interdisant le harcèlement au travail signifiant que les employeurs doivent protéger la santé, la sécurité, l’intégrité psychologique et la dignité de ses employé.e.s. Vingt ans plus tard, quel est l’état des lieux concernant les plaintes d’harcèlement en emploi ? Rétrospective avec l’avocate et conseillère en ressources humaines agréée (CRHA), Me Marianne Plamondon.
Contenu supplémentaire

En 2023, quel est votre constat concernant le harcèlement au travail et le recours aux plaintes ? 

MP : Aujourd’hui, les gens qui vivent des situations difficiles dans les organisations osent porter plainte. Les plaintes sont courantes dans nos organisations.

Depuis 20 ans, les employeurs sont obligés d’adopter une politique sur le harcèlement. Y a-t-il un lien avec l'augmentation de plaintes ?

MP : Tout à fait. En 2004, les employeurs ont été obligés de prendre le harcèlement au sérieux. Je constate une évolution liée à cette problématique au travail. Auparavant, les employeurs édictaient une politique très simple qui tenait sur une page, environ. Aujourd’hui, l’analyse est plus poussée et la politique est contenue dans un document d’une dizaine de pages. On y explique par exemple, comment traiter une plainte et qui agit comme enquêteur.trice. Maintenant, avec tous ces outils en place, les gens se sentent plus en confiance de porter plainte et de dénoncer des situations.

Pourquoi une politique sur le harcèlement ? 

Cette politique affirme l’engagement de l’employeur à prévenir et à faire cesser toute situation de harcèlement psychologique ou sexuel, y compris le harcèlement discriminatoire, au sein de son entreprise. La politique doit aussi établir les principes applicables et les façons de traiter les plaintes ou les signalements. Elle pourrait aussi contenir les attentes à l’égard du personnel sur les standards de conduite attendue. Source : CNESST

Me Plamondon, comment définir le harcèlement en milieu de travail ? 

MP : Il s’agit d’une parole, d’un geste ou d’une action qui constitue une conduite vexatoire donc qui dénigre, diminue ou même blesse la personne. À cela s’ajoute le caractère hostile et non désiré du comportement dénoncé. Il s’agit de quelque chose qui porte atteinte à la dignité et à l’intégrité de la personne. Il faut considérer aussi le facteur de répétition : le comportement doit se répéter à plusieurs reprises pour qu’il s’agisse de harcèlement, à moins de rencontrer le critère d’une seule conduite grave. Voici exemples de comportement pouvant être liés à du harcèlement psychologique : 

  • Violence verbale
  • Dénigrement
  • Isolement
  • Menaces
  • Intimidation et cyberintimidation

Qu’est-ce qu’une conduite vexatoire ? 

MP : Il s’agit d’une conduite, des paroles, des gestes, des actions qui viennent blesser, dénigrer, diminuer une personne dans son amour-propre. Ces comportements viennent miner la crédibilité de la personne dans le milieu du travail. Les harceleurs cherchent parfois à faire perdre du pouvoir politique dans l’organisation à la personne qu’ils visent. Les méthodes employées ne sont pas toujours acceptables.

Une conduite vexatoire, selon la CNESST, c’est une forme d’attention ou d’avance non désirée à connotation sexuelle, par exemple : 
•    Sollicitation insistante
•    Regards, contacts physiques, 
•    Insultes sexistes, propos grossiers
•    Propos, blagues, images à connotation sexuelle

5044 demandes en 2022

En 2022, la CNESST a reçu 5044 demandes de plaintes liées à du harcèlement au travail. De ce nombre, 3934 plaintes ont été traitées et ont fait l’objet d’une enquête. Au total, 221 plaintes sont liées à du harcèlement sexuel. Une hausse comparativement aux autres années.
En comparaison avec 2021, l’organisme a reçu 4418 demandes. Au total, 3429 plaintes ont été traitées à la suite d’une enquête. De ce nombre, 153 plaintes font référence à du harcèlement sexuel. 

Quels sont vos conseils aux gestionnaires ou à l’employeur aux prises avec un employé ayant des difficultés de rendement ? 

MP : Concernant la qualité ou la performance au travail, il faut d’abord que cela soit fondé. Si l’employé.e. n’atteint pas les attentes, c’est au gestionnaire de procéder à une rencontre et d’expliquer les raisons. Cela ne sert à rien de dénigrer la personne devant les autres ou de lui dire qu’elle est poche. Cela crée inutilement un climat négatif de peur. 

Je suggère que l’employeur adresse ses observations à l’intérieur d’un plan d’amélioration de la performance pour suivre l’évolution du rendement de l’employé. Dans ce plan, il faut inclure précisément les attentes du poste, les manquements de l’employé quant aux attentes du poste, les moyens qui lui seront fournis pour l’aider à s’améliorer, la durée du plan et la fréquence des rencontres pour effectuer un suivi. Si l’employé ne rencontre pas les attentes à la fin du plan, son emploi prendra fin sans autre avis.  On peut dire par exemple à l’employé.e. : « Voici ce que tu dois faire pour atteindre nos objectifs et en attendant, on te donne les outils afin que tu y parviennes ».

En fait, cela fait partie du droit de l’employeur de gérer la performance ou la qualité de travail. Cela n’est pas du harcèlement. Et si la personne, sur une période donnée, n’arrive pas à atteindre les objectifs de l’employeur, son emploi se terminera. 

En matière de harcèlement au travail au Québec, que doit savoir l’employeur ? 

MP : Il faut savoir qu’en matière de harcèlement au Québec, c’est la Loi sur les normes du travail qui prévaut. Cela signifie un recours contre l’employeur et non contre le présumé harceleur. Les gens font parfois une plainte en pensant ruiner la vie de la personne visée. En cas de plainte, c’est toujours l’employeur qui est visé.

Quelle est la responsabilité de l’employeur face au harcèlement ? 

MP : Il s’agit de la responsabilité de l’employeur de démontrer qu’il a pris tous les moyens pour prévenir et faire cesser une situation de harcèlement qui est portée à sa connaissance.  En cas de plainte, il doit faire la lumière par une enquête interne ou externe. Par la suite, il doit prendre des mesures et suivre les recommandations afin de s’assurer que le climat change. Puis, la personne, victime de harcèlement, va pouvoir continuer son chemin sans vivre du harcèlement. 

Sur quoi se fonde-t-on pour évaluer les plaintes de harcèlement ? 

MP : Pour évaluer s’il y a du harcèlement, le tribunal va tenir compte du critère objectif de la victime raisonnable. Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances, est-ce qu’elle estimerait faire l’objet de harcèlement ? Tel est le critère subjectif et objectif utilisé par les tribunaux.  Ainsi, par exemple, quelqu’un qui fait l’objet de blagues d’ordre sexuel la visant à multiples reprises devant des collègues de travail, la victime raisonnable placée dans les mêmes circonstances conclurait que cela dépasse le cadre de ce qui est acceptable en milieu de travail.

20 % 

1 plainte sur 5 ou 20 % des plaintes s’avèrent fondées, selon Marie-Josée Douville, enquêtrice et médiatrice.  
Bon à savoir : une plainte recevable n’est pas nécessairement fondée. C’est au Tribunal administratif du travail (TAT) d’en juger, une fois que l’enquête en matière de harcèlement psychologique et sexuel a été effectuée à la CNESST et a démontré qu'il est justifié que la plainte soit entendue au TAT.

Qu’observez-vous dans les lieux de travail ? 

MP: Parfois, il y a des personnes très sensibles qui pensent qu’une critique au travail est du harcèlement.  Il y a des gens qui n’acceptent aucune critique dans le cadre de leur travail. C’est très souffrant pour eux et cela devient très lourd pour le gestionnaire qui est incapable de faire passer le message afin que l’employé.e s’améliore. 

Quelles sont les conséquences pour les plaintes non fondées d’harcèlement ? 

MP : Il y a certainement eu une augmentation des plaintes non fondées en harcèlement déposées de façon offensive par la présumée victime pour empêcher le présumé harceleur de pouvoir le ou la gérer.  L’employeur doit tout de même faire une enquête indépendante et objective pour faire la lumière sur les faits et cela est coûteux. Aussi, les employé.e.s qui ont des troubles de la personnalité, qui se victimisent ou qui cherchent constamment le conflit par exemple, ont tendance à faire plus de plaintes pour limiter les actions posées à leur égard. En effet, en déposant leur plainte contre une personne, il crée un climat à l’encontre de tous et toutes au fait que si quelqu’un ose les gérer, ils feront l’objet à leur tour d’une plainte.

Quel est le premier geste que doit faire un employeur pour éviter le harcèlement au travail? 

MP : La clé, c’est de lancer des initiatives, des formations afin de prévenir le harcèlement. Comme employeur, il faut s’attarder à mettre en place un bon climat de travail. De cette façon, cela permet d’attirer et de conserver les meilleurs talents. Une mauvaise ambiance va susciter un taux de roulement, d’absentéisme ou une perte de productivité. L’employeur a tout intérêt à investir pour prévenir le harcèlement, former les gestionnaires et  résoudre les conflits rapidement. Si on travaille à bâtir une culture d’entreprise et qu’on s’attarde à dénouer rapidement les conflits, on est gagnant comme employeur, c’est sûr. 

Quelle est la meilleure façon de dénouer les conflits ? 

MP : C’est de conscientiser les gens aux comportements acceptables et non acceptables et de faire en sorte que les employé.e.s rapportent rapidement une situation qui est en train de dégénérer. Plus tôt la situation se règle et moins nous avons de chances de se rendre à une plainte d’harcèlement. Je recommande aussi d’adopter un bon code de conduite pour les employé.e.s avec des balises claires.