5 conditions gagnantes pour prévenir l’épuisement des gestionnaires
Auteur.e
Annie Bourque, rédactrice
chez Pratiques RH
En cette ère de restructuration, des gestionnaires se retrouvent à ramer en pleine tempête, à la suite du départ de précieux talents. Plusieurs éprouvent un stress face à leur surcharge de travail qui s’intensifie dans une conjoncture économique marquée par l’incertitude. Voici un témoignage, des conseils et 5 coups de barre pour naviguer sur les flots d’une mer agitée.
35 %
des gestionnaires souffrent d’un épuisement professionnel, selon une étude Gallup publiée en 2021.
Cette statistique illustre l’augmentation de la charge de travail, du stress et de la détresse ressentie. « D’où l’importance de se préoccuper de leur état santé et de s’assurer que les cadres gestionnaires possèdent les compétences nécessaires pour assumer leur rôle », souligne Marie-Hélène Gilbert, professeure au Département de management de l’Université Laval et CRHA, dans un webinaire.
« La gestion n’est pas facile, ajoute-t-elle du même souffle. Il faut être orienté.e vers les résultats tout en ayant une approche humaine, et faire preuve d’innovation et de créativité. »
L’angle mort des stratégies d’entreprises
Appelé à commenter l’ampleur de l’épuisement chez les gestionnaires, le PDG du Centre patronal SST, Charles Létourneau parle d’une corde sensible.
« Nos clients, à qui nous offrons des formations, disent qu’il s’agit de l’angle mort des stratégies d’entreprise. « Très peu de dirigeant.e.s ont des plans spécifiques pour les gestionnaires. Par exemple, on n’adresse pas la charge de travail de la même façon pour une équipe de gestion que pour les employé.e.s. »
Nouvelles tâches et obligations
Depuis quelques années, observe-t-il, les gestionnaires assument de nouvelles responsabilités, notamment la gestion d’équipes à distance. De surcroît, avec les nouvelles obligations issues de la loi 27 sur la santé et sécurité au travail, ils doivent aussi se préoccuper de la santé mentale des équipes.
Les cadres intermédiaires sont pris « en sandwich » entre la haute direction qui donne les commandes et les équipes, responsables d’atteindre les résultats. « Ironiquement, dit M. Létourneau, plusieurs se retrouvent seul.e.s. et ressentent une certaine forme de détresse et d’épuisement. »
Arrivée au bout du rouleau
La fondatrice de Leadership Inspire & Lab, Pascale Dufresne, lève le voile sur sa propre expérience. En 2019, elle occupe alors le poste de vice-présidente d’une grande firme. Cette année-là, elle a l’impression de courir un marathon longue distance. Elle se démène comme un diable dans l’eau bénite pour redresser les finances de l’organisation. « Ce fut difficile, se souvient-elle, et j’ai tout donné jusqu’à que je ne sois plus capable. »
Le médecin lui annonce son diagnostic : épuisement professionnel. Dans le déni, elle est convaincue qu’il s’est trompé.
« Ça ne peut pas m’arriver à moi. Cela m’a pris du temps à accepter mon burn-out. Aujourd’hui, je réalise que les gens hyperperformants, on ne les voit pas flancher. »
- Pascale Dufresne
Elle s’accorde alors une pause de 7 mois. Cinq ans plus tard, la présidente de Leadership Inspire & Lab donne des formations aux gestionnaires et leaders du Québec et même à l’international — notamment à la NASA.
Son leitmotiv ? Transformer les organisations par l’implantation d’une culture de saine performance et de sécurité psychologique.
Mme Dufresne est convaincue qu’il faut repenser les façons de gérer les entreprises afin que la société soit constituée de meilleurs êtres humains.
Conseil no 1 : Reconnaître les signes
L’auteure du livre Être un leader créateur est désormais attentive aux différents signaux que son corps lui envoie. Lorsqu’elle pousse trop loin la machine, elle remarque certains symptômes : une respiration plus courte, un étourdissement, une tension inhabituelle.
Un article de la revue Gestion énumère d’autres signes : irritabilité, difficulté à décrocher du travail… « Lorsqu’on a constamment notre travail en tête, on tend assurément vers la compulsion et la rumination. On est en état d’épuisement et on se sous-investit dans d’autres sphères de notre vie, comme la famille et les proches, ou encore les loisirs », mentionne Simon Grenier, psychologue organisationnel et professeur agrégé au Département de psychologie de l’Université de Montréal.
En cette période de l’année marquée par la grisaille, plusieurs ressentent la fatigue, des maux de tête ou d’estomac et l’impression d’un brouillard mental permanent.
Résultat : la procrastination est en hausse, tandis que la créativité et l’innovation sont en perte de vitesse.
Conseil no 2 : Comprendre le cerveau du cerveau
La première source de l’épuisement, explique Julie Tremblay-Potvin, cofondatrice de la firme De Saison, c’est l’attention fragmentée. « C'est comparable à des onglets, tous ouverts en même temps dans notre tête », illustre-t-elle en citant la spécialiste du stress, Sonia Lupien.
Dans ces onglets, on retrouve les dossiers urgents, mais aussi, l’enfant malade, la chicane avec le conjoint, ou encore la dette imprévue causée par l’auto qui tombe en panne.
Formatrice auprès des gestionnaires et leaders, Julie Tremblay-Potvin suggère de prendre soin d’un outil indispensable : le cerveau. « Celui-ci ne peut pas être sollicité à l’infini. Si on veut devenir la meilleure version de nous-mêmes, être un bon gestionnaire, parent, amie, conjoint.e, on a le devoir d’être vigilant.eaux signaux d’irritabilité et de détresse psychologique. »
Des articles et outils pour aller plus loin :
- Astuces et conseils pour réussir une vraie déconnexion au travail
- 9 stratégies pour alléger la charge mentale au travail
- Trois façons concrètes d’améliorer le bien-être et la santé psychologique des employé.e.s
- Bloop, une plateforme qui mesure la performance et le bien-être du personnel
- Des conseils pratiques pour éviter le surmenage dans le livre Avancer sans s’épuiser d’Émilie Viens
Les pièges liés à la responsabilité et la performance
En cette période « micro-ondes » où tout va vite, Pascale Dufresne observe une hausse du nombre de gestionnaires en congé de maladie. « Certain.e.s arrivent à mes formations en pleurant et ressentent beaucoup de culpabilité à interrompre leur travail », confie-t-elle.
Mme Dufresne évoque ce sens des responsabilités qui prend toute la place. Imaginez. Des gens remettent un dossier alors que leur enfant fait 40 °C de fièvre. Une autre leader s’est présentée au bureau malgré des saignements abondants.
« Notre générosité et notre grand sens du service et des responsabilités sont tellement forts qu’ils nous poussent à un sentiment d’épuisement. »
- Pascale Dufresne
À l’instar du circuit de la Formule 1, le milieu du travail valorise la performance. « Les gestionnaires sont souvent des personnes performantes, avec beaucoup d’attentes envers elles-mêmes et leurs équipes », note Julie Tremblay-Potvin.
Halte à la surcharge de travail
Dans le métro, sur la ligne orange, une femme de 46 ans confie à l’auteure de ces lignes que son entreprise vit actuellement les contrecoups de coupures de postes.
Outre le climat toxique, l’équipe se retrouve avec une surcharge travail.
Définition :
La surcharge de travail est un facteur de risque psychosocial au travail, explique Julie Tremblay-Potvin, présidente De Saison. Le stress est causé par un manque de contrôle, l’imprévisibilité, l’ajout de nouvelles tâches. « Tu as l’impression de toujours travailler sans jamais y arriver. Tu n’as pas de contrôle, ni de latitude ni d’autonomie. »
5 solutions à retenir
1. Anticiper les tâches avec des dates butoirs
Prévoir ses échéances permet de mieux répartir la charge de travail. Cependant, en cette période d’austérité, il est parfois difficile d’y parvenir en raison des récentes coupures.
2. Miser sur la flexibilité et l’autonomie
Julie Tremblay-Potvin recommande d’accorder davantage de flexibilité (semaine de 4 jours, télétravail) et d’autonomie aux équipes. Ces leviers permettent, autant que possible, de réduire la surcharge de travail.
3. Oui au temps blanc en entreprise
La multinationale Google a instauré une règle de terminer les rencontres 5 minutes plus tôt pour laisser du temps blanc. Pascale Dufresne, présidente de Leadership Inspire & Lab, ne cale jamais 2 rencontres ou une formation l’une à la suite de l’autre. Elle s’accorde toujours un blanc d’au moins 30 minutes, voire une heure. Idéalement, il faudrait prévoir un temps blanc représentant environ 20 % de la semaine, estime Julie Tremblay-Potvin, qui forme des entreprises sur le sujet.
« Les gens ont peur du vide et veulent continuellement optimiser leur temps. Il faut avoir du temps de récupération pour laisser les pensées vagabonder et apaiser le cerveau. C’est une hygiène personnelle à développer. »
- Julie Tremblay-Potvin
Ces pauses et respirations mentales améliorent la concentration et la qualité du travail.
4. Apprendre à dire non et imposer ses limites
Les gestionnaires ont souvent l’habitude d’être au service des autres (employé.e.s, dirigeant.e.s) et peinent à dire non. Parfois, la culture organisationnelle ne le permet tout simplement pas, déplore Julie Tremblay-Potvin. L’auteure de ces lignes rappelle un conseil de la juge à la retraite Andrée Ruffo : « Ceci ne me convient pas. » Un exercice simple à pratiquer, qui a un effet bénéfique sur le mental et la gestion du temps.
5. La condition gagnante : créer une cellule d’entraide entre gestionnaires
Les spécialistes interrogées prônent l’instauration d’une cellule de co-développement, voire la création d’une alliance entre gestionnaires. « Ensemble, il faut mieux organiser le temps de travail, insérer des moments de récupération et observer l’impact positif sur la productivité et la concentration », souligne la présidente de De Saison.
De son côté, Marie-Hélène Gilbert, professeure en management à l’Université Laval, insiste sur le rôle clé de la direction : « Il faut une volonté claire des dirigeant.e.s de valoriser le fait de prendre soin de soi. C’est essentiel pour accroître la performance des équipes et de l’organisation. »
Elle conclut : « Si chaque cadre ou gestionnaire reste isolé.e avec sa charge de travail et son stress, cela ne pourra pas bien aller. »
Mme Gilbert rappelle enfin que les gestionnaires occupent un rôle central : « Quelle ressource peut-on leur offrir ? Il sera difficile d’instaurer des pratiques gagnantes ou un plan d’intervention efficace si eux-mêmes ne sont pas en santé. C’est une condition de réussite incontournable. »
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