Parole d’experte : « Un départ n’est pas une absence à combler, c’est un changement d’équilibre »

06-10-2025
Thématiques : Attraction et marque employeur  -  Parole d’expert
Quand une personne quitte une organisation, ce n’est pas seulement un poste à pourvoir : c’est un équilibre qui se transforme. Avec son regard de praticienne, Monia Boulais montre comment un départ bien orchestré devient un moment stratégique pour préserver la mémoire organisationnelle, soutenir l’équipe et renforcer la marque employeur.
Élodie Leman

Auteur.e

Élodie Leman, rédactrice
chez Pratiques RH

parole experte monia boulais : Un départ n’est pas une absence à combler

Monia Boulais est présidente et consultante chez MB Ressources humaines. Forte de son expérience auprès de gestionnaires et d’équipes variées, elle intervient régulièrement pour faciliter des processus de transformation, de relève ou de départ.  

Elle partage une vision lucide et concrète du offboarding. Car bien quitter une organisation, ça ne s’improvise pas : c’est un passage à structurer avec autant de soin que l’embauche ou l’intégration

Bien préparer un départ, ça s’organise !

PRH : Pourquoi est-ce important de structurer le départ d’un.e employé.e dans une équipe ? 

Monia Boulais : Un départ crée une transition. Et comme toute transition, il est plus simple de la vivre lorsqu’elle est préparée. Il ne s’agit pas simplement d’une absence à combler, mais d’un changement d’équilibre. La personne qui s’en va occupait une place dans l’équipe, avait une façon d’interagir avec les collègues, détenait certains savoirs, et s’était bâti une structure personnelle pour gérer ses dossiers.

Quand ce départ n’est pas structuré, on se retrouve dans une forme de chaos : les tâches tombent entre deux chaises, les collègues improvisent sans savoir si c’est temporaire ou permanent, et l’ambiance peut se détériorer.  

Structurer la passation permet donc de mieux absorber ce moment. Ça donne aussi du sens : la personne qui part se sent considérée, et l’équipe sent qu’elle ne portera pas seule les conséquences du départ.

PRH :  Concrètement, par quoi commence-t-on quand une personne annonce son départ ?

M.B. : La première chose à faire, c’est d’avoir une rencontre. Pas le dernier jour, pas dans les adieux : en amont. On s’assoit avec la personne qui quitte pour faire un tour d’horizon. C’est un moment précieux où elle peut nommer ce qu’elle faisait vraiment — parfois au-delà de sa fiche de poste. Qui elle contactait, à quelles étapes d’un projet elle intervenait, ce qu’elle savait sur les habitudes de certains clients ou sur les raccourcis dans un logiciel. C’est une cartographie de son rôle, mais vue de l’intérieur.

L’important, c’est de ne pas se contenter d’une vision administrative du poste. Il faut entrer dans la réalité vécue du travail : les savoirs informels, les relations interpersonnelles, les obstacles rencontrés et les stratégies mises en place. Et ça, ça ne se fait pas en remplissant un formulaire, mais en discutant. Il faut plusieurs échanges, et idéalement, du temps pour que la personne puisse elle-même structurer ce qu’elle veut transmettre. 

PRH :  Faut-il prévoir un outil ou un gabarit précis pour cette passation ?

M.B. : Oui, c’est même recommandé ! Mais il ne s’agit pas forcément d’un document rigide. Un bon kit de passation peut prendre plusieurs formes : un fichier partagé, une feuille de route, un cahier de consignes, ou une combinaison de plusieurs supports.

Ce qui compte, c’est ce qu’on y trouve :

  • une description des tâches, avec leur fréquence (quotidienne, hebdomadaire, ponctuelle) ;
  • une liste des projets en cours, avec les livrables attendus et les prochaines étapes ;
  • les personnes-ressources internes et externes liées à chaque dossier ;
  • les outils utilisés, avec les accès ou les liens utiles ;
  • et, très important, des astuces concrètes : par exemple, « ne pas appeler Julie entre 13 h et 14 h, elle ne répond jamais » ou «  penser à copier le service juridique à cette étape pour éviter les délais  ».

Ces détails font souvent toute la différence. Ce sont eux qui permettent à la personne qui reprend le poste de se sentir orientée plutôt que noyée.

PRH :  Et si la relève n’est pas encore identifiée ?

M.B. : Ce n’est pas une raison pour retarder la passation ! Même si personne n’est encore désigné.e pour reprendre le poste, le fait de documenter ce qui doit être transmis est déjà un énorme gain. Cela permet de réduire la perte d’information, même en cas d’intérim ou de répartition provisoire.

C’est aussi un moment stratégique pour faire le point sur le poste en lui-même. Il y a souvent des tâches qui se sont ajoutées au fil du temps, des responsabilités devenues floues ou trop lourdes. Le départ devient alors une opportunité de recentrage.

« Revoir ce qui est vraiment fait dans ce rôle peut permettre de réaligner les attentes, de scinder certaines fonctions, ou même d’optimiser la structure existante. »

PRH :  Quel est le rôle du ou de la gestionnaire dans ce processus ?

M.B. : Il est central. C’est à la personne gestionnaire que revient la responsabilité de piloter cette transition. Elle doit veiller à ce que la passation soit prise au sérieux, qu’elle se fasse dans un climat sain, et qu’elle ne soit pas reléguée à la dernière minute.

Elle joue aussi un rôle d’arbitre. C’est elle qui valide ce qui est transmis, qui s’assure que la relève - connue ou non - dispose de ce dont elle a besoin, et qui redistribue certaines tâches temporairement si nécessaire. Elle doit être présente, disponible, à l’écoute.  

Il arrive qu’une personne qui part exprime des insatisfactions ou des regrets dans ce moment-là : il faut savoir accueillir ces propos, sans jugement, pour les transformer en apprentissage.

Bref, c’est aussi au.à la gestionnaire de s’assurer que l’équipe comprend ce qui se passe.  

PRH : Et du côté des RH, à quoi faut-il veiller ?

M.B. : Le rôle des RH est double. D’abord, il y a tout le pan administratif à encadrer : lettre de démission, documents à signer, retour du matériel, fermeture des accès, protection des données. Ce sont des éléments critiques qui, s’ils sont négligés, peuvent poser des problèmes juridiques ou opérationnels.

Mais les RH doivent aussi agir comme partenaires du gestionnaire. Ils.elles peuvent proposer un canevas de passation, offrir un soutien pour identifier les risques, ou aider à gérer le volet humain. Par exemple, si une personne quitte dans un contexte difficile, les RH peuvent aider à faire en sorte que ce départ ne laisse pas de traces négatives ou de tensions persistantes.

Le département des RH peut aussi assurer un certain suivi post-départ, en prenant le pouls de l’équipe, en offrant un espace d’expression si besoin, ou en proposant du coaching à la relève si le poste est particulièrement complexe.

PRH :  Comment s’assurer que le départ soit bien vécu sur le plan humain ?

M.B. : Il ne faut pas faire comme si de rien n’était. Même quand une personne quitte pour un nouveau défi ou pour la retraite, son départ suscite des émotions. Les collègues peuvent ressentir de la tristesse, de l’anxiété, ou simplement une perte de repères.

« Un départ, s’il est mal expliqué, peut créer de la méfiance ou des inquiétudes. La clarté est une forme de bienveillance. »

Il est important d’avoir un moment pour souligner la contribution de la personne. Pas nécessairement une grande fête — ça dépend des préférences de chacun.e —, mais au minimum un geste de reconnaissance.  

Et il faut laisser l’équipe respirer. Ne pas exiger une reprise immédiate de toutes les tâches, sans transition. Permettre un moment de réorganisation, de redistribution réfléchie, ça fait toute la différence pour éviter les tensions.

PRH :  Quels gestes simples peuvent faire une réelle différence dans cette étape ?

M.B. : Parfois, ce sont les gestes les plus simples qui laissent la plus forte impression. Une carte signée par toute l’équipe, avec des mots personnalisés. Un dîner au restaurant ou un dîner à l’interne. Un petit cadeau symbolique, choisi en fonction des goûts de la personne. Un mot de la direction, lu à voix haute ou remis par écrit. Une rétroaction positive partagée en réunion.

Ces gestes ont un effet direct sur le sentiment d’appartenance et sur la mémoire que la personne gardera de son expérience. Et ils ont un effet miroir sur les collègues : ils montrent que les départs sont reconnus, honorés, et que les liens humains comptent jusqu’à la fin. 

PRH :  Et quand le départ est plus difficile — comme dans le cas d’un congédiement ou d’une mise à pied ?

M.B. : C’est un contexte délicat, qui demande une attention particulière. Il faut adapter l’approche. Évidemment, on ne fait pas un dîner d’adieu dans ces cas-là. Mais on peut quand même offrir un accompagnement respectueux.

Par exemple, donner à la personne l’espace pour poser ses questions, comprendre ce qui lui est reproché ou ce qui motive la décision, et avoir une sortie digne. On peut lui laisser un moment pour venir chercher ses affaires en dehors des heures d’affluence, ou organiser une passation discrète de ses dossiers, sans pression.

Ce n’est pas tant ce qu’on fait que la façon dont on le fait qui compte. Même un départ difficile peut être vécu de façon plus sereine si l’humain reste au centre. 

PRH :  Pourquoi dit-on qu’un bon offboarding a un impact sur la marque employeur ?

M.B. : Parce que le dernier jour compte autant que le premier ! Une personne qui vit un bon départ va parler de son employeur en bien, va recommander l’organisation, ou peut même revenir un jour, si l’occasion s’y prête. Elle devient ambassadrice, parfois sans le savoir.

À l’inverse, une sortie bâclée, ignorée ou mal gérée, laisse un goût amer. Et avec les réseaux sociaux, les plateformes d’avis comme Glassdoor, ou simplement le bouche-à-oreille, cette impression peut se diffuser très vite.

Un bon offboarding, c’est une continuité logique de l’expérience employé.e. C’est une preuve que l’organisation prend soin de ses gens, du début à la fin. Et ça renforce la confiance, même chez ceux et celles qui restent.