Impact et solutions concernant les travailleurs étrangers temporaires

Auteur.e
Annie Bourque, rédactrice
chez Pratiques RH

Dans un contexte économique difficile, des entreprises multiplient les démarches auprès des instances politiques. Le but : proposer un moratoire et des ajustements qui permettront de réaliser leur carnet de commandes et ultimement, d’assurer leur pérennité.
C’est le cas de Paber Aluminium, un fabricant de composantes d’aluminium qui dessert des clients comme Hologic, Hydro-Québec et Thalès Canada. La manufacture de Cap-Saint-Ignace, un village de 3100 habitants au nord de Montmagny, exporte 55 % de sa production au sud de la frontière et une partie au Vietnam et en Suisse.
« Si les règles en immigration ne changent pas rapidement, notre entreprise devra laisser partir 17 travailleurs étrangers temporaires (TET) », écrit Geneviève Paris, vice-présidente logistique, stratégie et communication de la PME qui donne de l’emploi à 145 personnes. La missive a été transmise aux députés de sa région.
10 %
depuis septembre 2024, un employeur ne peut plus obtenir de permis de travail TET pour un poste à bas salaire si plus de 10 % de sa main-d’œuvre est composée de TET (contre 20 à 30 % auparavant). Tant que cette limite n’est pas respectée, aucun renouvellement n’est possible.
Pourquoi recourir aux travailleurs temporaires étrangers (TET) ?
Depuis plusieurs années, le Québec est aux prises avec une pénurie de soudeurs, électromécaniciens, machinistes techniciens en métallurgie, etc. En conséquence, plusieurs employeurs ont eu à débourser entre 3000 $ et 20 000 $ afin d’obtenir les autorisations requises pour embaucher un travailleur à l’étranger.
Dans leurs démarches, les entreprises canadiennes ont l’obligation de montrer leurs efforts à Service Canada afin d’engager des gens d’ici. Outre la publication spécifique d’offres d’emploi, ils doivent remplir un document intitulé EIMT, c’est-à-dire l’Étude d’Impact sur le Marché du Travail. « L’EIMT vise à démontrer qu’il n’y a pas de Canadien ni de résident permanent détenant les compétences requises pour le poste et aussi disponible à l’emploi », explique l’avocat spécialisé en immigration Me Joël Beaudoin de la firme Cain Lamarre.
Aujourd’hui, Paber Aluminium compte une cinquantaine de travailleurs issus de la diversité. « Plusieurs ont le projet sérieux de s’implanter ici et d’améliorer leurs conditions de vie », raconte Mme Paris en ajoutant que ces personnes font partie à part entière de la famille de l’entreprise, fondée par son père Luc, en 1981.
Ce qu’il faut savoir
En 2024 et 2025, les gouvernements ont changé les critères concernant l’obtention et le renouvèlement des permis pour les travailleurs étrangers temporaires (TET) qui viennent en majorité des Philippines, de Tunisie, la Colombie et aussi de la France et du Maroc.
Des spécialistes aguerris
Stéphane Laroche, responsable des ventes chez Engrenages Sherbrooke, une PME de l’Estrie, explique l’attrait de ces travailleurs.
« Ces gens font partie de notre modèle d’affaires. Il s’agit de spécialistes dans leur domaine qui sont expérimentés et prêts à travailler sur nos machines. En compétition avec le monde entier, une industrie sur mesure comme la nôtre a besoin de gens qualifiés. »
- Stéphane Laroche
Même son de cloche chez Cordé Électrique, une PME de Maricourt, en Estrie, récipiendaire du prix Maurice Pollack, en 2021 en raison de la qualité de l’intégration de personnes issues de l’immigration. « J’ai recruté quelques travailleurs ayant œuvré dans de grandes entreprises de filage en Tunisie. Ils arrivent ici déjà formés, et c’est wow ! », s’exclame Mme Déziel d’un ton enthousiaste.
En chiffres
« Les jeunes ne veulent pas d’un travail manuel »
La PDG de Cordé Électrique déplore la désinformation au sujet de la hausse du taux de chômage chez les jeunes. « Cela n’a rien à voir avec les TET. C’est comme si on compare une pomme avec une orange. Nos jeunes ne veulent pas d’un travail manuel. C’est ça la réalité d’une société riche. Nous avons besoin de ces travailleurs pour faire rouler notre économie. »
Dans un récent article, le journaliste Yvon Laprade démontre l’apport TET pour les régions du Québec. « Sur quelle base s’appuie-t-on pour décréter qu’il y a «trop» de travailleurs temporaires? Parce que le chômage est en hausse à Montréal? N’oublions pas que ces nouveaux arrivants au statut précaire occupent des emplois dont personne ne veut, ici, dans la Belle Province», commente-t-il.
Solution 1 : former davantage de diplômés en usinage ou soudure
Les chef.fe.s d’entreprise interrogé.e.s déplorent à l’unanimité la difficulté de recruter des jeunes formés dans l’un des 185 centres de formation professionnelle. « Les écoles sont vides et j’aurais même besoin d’aller voler un machiniste ou un soudeur chez un concurrent », observe Hugues Maltais de Lemay Outillage dont l’entreprise fait partie du consortium qui poursuit le gouvernent fédéral pour le changement des règles concernant les TET. La PME de Bonsecours se spécialise dans la fabrication de pièces sur mesure pour l’industrie aéronautique. Ses clients sont General Electric, Pratt & Whitney et Rolls Royce.
Même réflexion de Geneviève Paris qui martèle: « Il n’y a pas assez d’électromécaniciens et de machinistes pour subvenir à nos besoins actuels et futurs. On se bat pour les avoir et on se les vole entre nous (les entreprises). Nous avons besoin des travailleurs étrangers pour compléter nos besoins actuels et futurs».
22
nombre maximal d’inscriptions en technique d’usinage au CFP de Neufchâtel, dans la région de Québec, selon une vérification effectuée fin août. Le chiffre a aussi été constaté dans un autre CFP à Sherbrooke.
Un atout même avec la robotisation
Les entrepreneurs du Québec misent sur la robotisation afin de gagner en efficacité. L’entreprise Paber Aluminium vient justement d’investir 2,1 M$ dans l’acquisition d’équipements spécialisés et semi automatisés. « Cependant, même avec la robotisation et ces ajouts nous avons encore besoin des travailleurs étrangers», précise Geneviève Paris.
Situation similaire pour Hugues Maltais de Lemay Outillage qui prévoit investir 10 M$ afin de doubler sa production. « Si un tel projet se réalise, mon entreprise devra encore embaucher 20 nouveaux machinistes », ajoute-t-il.
La survie des PME en péril
Le renvoi possible de milliers de travailleurs étrangers temporaires dans leur pays respectif met en péril la pérennité des entreprises.
Chez Paber Aluminium, les 17 travailleurs devront repartir entre mai 2026 et 2027. Le délai est court afin de former et d’embaucher des recrues. « Nous recevons très peu de CV. Le taux de chômage dans notre région est à 3,4 %», précise Mme Paris. En comparaison, le plein emploi est à 5 % et moins.
De son côté, le président de Lemay Outillage Hugues Maltais dénonce l’étau qui se resserre. « Je me bats pour ma survie et si je perds 30 % de ma main-d’œuvre, je ne serai pas capable d’honorer mes contrats. »
64 %
des répondants à un sondage effectué par la FCCQ indiquaient devoir refuser des contrats, réduire leur production ou fermer un quart de travail si leurs travailleurs étrangers temporaires (TET) actuellement au travail devaient quitter leur entreprise.
Solution 2 : régionaliser l’immigration
La solution, selon Geneviève Paris de Paber Aluminium réside dans la régionalisation de l’immigration. Car la réalité économique de Montréal ou Toronto n’est pas comparable à celle des régions comme Chaudières-Appalaches.
Le revenu moyen d’emploi à Montmagny en 2023 est de 59 000 $ ou 24,47 $ de l’heure, image-t-elle. Le prix d’une maison dans cette région avoisine 209 757 $ et pour Montréal, près de 925 599 $.
Saviez-vous que...
Le 8 novembre 2024, le gouvernement fédéral a décrété une augmentation de 20 % du seuil délimitant les postes à haut et bas salaire de 27 $ à 32,96 $. Depuis le 27 juin dernier, ce taux grimpe à 34,62 $ de l’heure.
« Dans le jargon de l’immigration, cela signifie que quelqu’un qui gagne moins de 34.62 $ de l’heure est considéré à bas salaire. Premièrement, c’est insultant pour les gens en région qui ne gagnent pas 34.62 $», s’exclame Mme Paris.
De son côté, la PDG de Cordé Électrique qualifie cette mesure d’intrusion au sein de son entreprise. « Le gouvernement du Québec a déjà fixé un salaire minimum. Qui a eu cette idée de créer encore plus d’inégalité au sein des travailleurs ?»
Solution 3 : explorer un autre programme
Avocat spécialisé en immigration chez Cain Lamarre, Me Joël Beaudoin conseille de nombreux employeurs. « Entretemps, je propose d’explorer le programme de mobilité internationale qui permet d’engager un travailleur temporaire sans étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) et d’appuyer davantage les travailleurs étrangers temporaires dans l’obtention de leur résidence permanente.»
Solution 4 : anticiper l’avenir
En affaires, il faut souvent avoir un pas d’avance. « Je recommande de commencer le processus de renouvèlement des permis au moins six mois à l’avance et de vérifier quels sont les postes névralgiques à prioriser », ajoute-t-il en tenant compte de la limite à 10 % du quota de travailleurs à bas salaire.
Solution 5 : moratoire et clause grand-père
Les directions d’entreprise interrogées ainsi que le front commun de la FCCQ et 7 autres organisations représentant des secteurs clés de l’économie québécoise prônent l’arrêt des mesures concernant les TET. « Nous souhaitons un moratoire et des ajustements au programme des travailleurs étrangers temporaires et d’immigration permanente afin de pouvoir garder les travailleurs déjà en poste », fait valoir Geneviève Paris, la vice-présidente de Paber Aluminium en entrevue avec Pratiques RH.
Mme Paris et d’autres personnes à la direction de PME favorisent l’approche du ministre québécois de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Jean-Francois Roberge qui demande une clause de droits acquis concernant les TET déjà établis au Québec.
1,33
enfant par femme au Québec en 2024. La fécondité est à un creux historique, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec.
La revitalisation des régions
Enfin, les travailleurs étrangers temporaires s’intègrent en entreprise et dans la communauté, selon Geneviève Paris de Paber Aluminium. « Ces gens ne sont pas une menace, mais bien le souffle de renouveau dont la région avait besoin pour faire face au vieillissement de la population et au faible taux de natalité», croit-elle.
La PDG de Cordé Électrique Lise Déziel souhaite respecter sa promesse envers ses recrues en provenance de l’étranger. « Aujourd’hui, quelques-uns sont en couple avec un.e Québécois.e d’autres ont eu des enfants. C’est un choix de société qu’on a fait. Nous leur avons dit que nous étions une terre d’accueil et ils pourraient faire leur vie ici », conclut-elle.
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