Miser sur l'employé boomerang : bonne ou mauvaise idée ?

09-11-2022
Tendance ou nouvelle réalité ? Les spécialistes en ressources humaines appellent employé.e « boomerang », une personne qui part et revient vers son ancien employeur, une expression illustrant que l’herbe est souvent faussement plus verte chez le voisin.
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Annie Bourque, Pratiques RH
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Qu'est-ce qu'un employé boomerang ?

À l'heure actuelle, plusieurs employeurs assistent au départ et au retour de leurs talents pour diverses raisons. Au récent congrès de l’Ordre des CRHA, le conférencier Stéphane Simard a raconté sa propre expérience d’ancien salarié boomerang. 

Durant sa carrière, le conseiller en ressources humaines a quitté volontairement son emploi pour voguer sous d’autres cieux en apparence, plus cléments. 

Changer d'emploi pour pire

Puis, un jour, lors de sa promenade quotidienne, il croise par hasard son ancien employeur qui le salue amicalement en demandant de ses nouvelles. Avec franchise, M. Simard lui mentionne son insatisfaction vis-à-vis son nouveau boulot. « Je ne suis pas heureux », admet-il en toute humilité. 

Peu de temps après cette rencontre fortuite, une offre lui parvient pour revenir au bercail. 

Aujourd’hui, le conférencier intervient auprès des organisations au Canada et en France afin de les aider à réduire leur taux de roulement du personnel. Citant une étude réalisée en France, M. Simard estime que le phénomène des employé.e.s boomerang est palpable au Québec, mais aussi au Royaume-Uni. 

60 % des salarié.e.s quittent trop vite 

En France, 60% des démissionnaires estiment qu’ils étaient mieux dans l’emploi qu’ils ont quitté, selon une étude réalisée en 2022 par Morning Consult pour UKG. Une proportion similaire pense avoir démissionné trop vite et souhaitent revenir chez leur ancien employeur. 

Le salaire provoque-t-il les démissions ? 

Les opinions varient sur l’épineuse question salariale. 
Dans le cas de GKM consultants, une firme spécialisée en conception, installation de solutions de télésurveillance géotechnique sur des chantiers, le salaire est la principale raison invoquée par les employé.e.s. « Nous ne pouvons pas concurrencer la rémunération versée par les minières ou encore leurs avantages sociaux », soupire Jean-Marie Bréhé, vice-président services ingénierie. 

Le gestionnaire d’expérience observe que plusieurs de ses protégé.e.s dans son département quittent à contre-cœur en raison du travail d’équipe et de la bonne ambiance qui règne chez l’entreprise de Sainte-Julie. 

Chez les autres PME québécoises, le conseiller en ressources humaines, Stéphane Simard voit la situation d’un autre œil. « Souvent, le salaire est un déclencheur parce que c’est la seule chose qui est objective et comparable. Notre sondage en ligne effectué auprès de 2500 répondants en septembre dernier démontre que le salaire arrive au 13e rang des 20 raisons de l’engagement au travail et ce, toutes générations confondues. » 

20%En moyenne, les employé.e.s boomerang gagneraient 20% de plus à leur retour.

Regretter les avantages de son ancien poste 

Même son de cloche du côté du chercheur, auteur et enseignant à HEC Montréal, Jean-François Bertholet. Le bonheur au travail peut se traduire, selon lui, par l’obtention de mandats intéressants. « La personne a peut-être un salaire moins élevé, dit-il, mais une occasion de développement qu’elle n’aurait pas ailleurs. » 

Depuis la pandémie, plusieurs salarié.e.s ont remis en question leur mode de vie en privilégiant un horaire souple. « Mon employeur est-il conciliant ? Certains dirigeants deviennent moins flexibles et cela chatouille les gens », évoque-t-il. 

Parfois, en quittant une entreprise pour une augmentation de salaire, la personne réalise trop tard les avantages de son ex-employeur : la souplesse des horaires, des formations améliorant ses compétences, la gentillesse des collègues et surtout, des valeurs partagées avec le groupe. 

Contenu supplémentaire

Une entreprise favorable aux employé.e.s boomerang 

Depuis deux ans, GKM Consultants vit l’expérience d’un va-et-vient de son personnel. « Au cours des 2 dernières années, trois employé.e.s sont partis et sont revenus chez nous », explique Jean-Marié Bréhé, le vice-président services ingénierie. 

Entretemps, trois autres personnes parties ailleurs, manifestent maintenant le désir de revenir dans son équipe comptant une quarantaine de personnes.

À l’heure actuelle, M. Bréhé se dit impressionné par le nombre de salarié.e.s boomerang. « J’en retire une grande satisfaction personnelle, dit-il. Toutefois, mes attentes sont élevées envers eux : ils connaissent la philosophie de l’organisation, ils ont l’habitude de nos outils de nos techniques. Je m’attends à une plus grande performance de leur part. »

Pourquoi revenir vers son ancien employeur ?

À la lueur de ses échanges avec les démissionnaires, M. Bréhé constate que plusieurs nouveaux diplômés se rendent compte de leur erreur. « Une fois chez le voisin, illustre-t-il, le pré n’est pas si vert que ça. Je ne veux pas dénigrer la compétition, mais j’ose croire qu’ils reviennent parce qu’ils étaient heureux chez nous. »

Pour l’un d’entre eux, par exemple, les conditions de travail décrites dans l’offre d’emploi ne correspondaient pas à ses aspirations. Puis, face à l’absence de responsabilités et de défis, il est revenu dans l’équipe, moins d’un an après sa démission. 

28 %D’après l’étude Zen Business, 28% des salarié.e.s ont déclaré être revenus dans leur entreprise en raison d’une évolution voire de l’amélioration des conditions liées à leur poste.

Des valeurs qui soudent l’équipe 

Au quotidien, les employé.e.s de GKM consultants travaillent sur des chantiers névralgiques comme la construction d’un barrage, d’un métro et de parcs à résidus miniers. Parfois, les gens œuvrent en Afrique ou dans un autre pays du monde. Tous connaissent l’entraide, la solidarité.

« Ce sont nos valeurs dont la rigueur, le professionnalisme, l’intégrité, le respect de nos clients, mais aussi de la santé et sécurité, la bonne entente. L’ensemble de ces facteurs cimente notre équipe », ajoute M. Bréhé d’un ton enthousiaste. 

De son côté, un ingénieur de chantier chez GKM consultants a pris la décision de retourner aux études. Puis, il est parti dans une autre organisation avant de revenir au bercail et…de repartir à nouveau. « Aujourd’hui, je suis plus attentif aux raisons du départ des employé.e.s. et j’essaie de prendre soin de la personne parce qu’on ne sait jamais l’avenir », admet-il. 

Les 5 bénéfices des employé.e.s boomerang 

1. La personne arrive avec un nouveau bagage, de nouvelles idées novatrices. 
2. Pas ou presque pas de formation nécessaire. 
3. Économie potentielle sur les frais de recrutement. 
4. Connaissance de la culture de l’entreprise.
5. L’entreprise bénéficie de l’expérience vécue ailleurs par l’employé.e. 

Maintenir une relation cordiale après le départ

Désormais, M. Bréhé garde contact avec les démissionnaires. « Il est important de savoir si un.e employé.e qui a du potentiel n’est pas heureux. En faisant un suivi avec la personne, on peut aussi bénéficier de son réseau de contacts intéressés à venir chez nous », dit-il

En entrevue avec Pratiques RH, le producteur de la capsule Le générateur d’engagement, Stéphane Simard suggère aux employeurs et gestionnaires de conserver une bonne relation avec les démissionnaires susceptibles d’être embauché.e.s de nouveau. 

« Une fois que la personne est partie, peu de dirigeant.es font l’effort de garder un contact et même de dire: comment ça va à ton nouvel emploi ? Parfois, cela permet de compléter l’entrevue de départ », explique l’auteur de 9 ouvrages traduits en 4 langues dont le plus récent L’employé roi

Cette prise de contact est souhaitable dans un délai de 30 jours, 3 mois et même 1 an. Si la personne exprime un regret, M. Simard recommande de demander : 
-Quelles seraient tes conditions pour un éventuel retour chez nous ? 
-Veux-tu qu’on te fasse parvenir nos offres d’emploi? 


Des gestionnaires confiants dans le retour des talents

72 % des gestionnaires sont convaincus que les démissionnaires envisagent de revenir dans l’année suivant leur départ.


Sentiment d'injustice des salarié.e.s

La réintégration d’un.e employé.e boomerang est-elle mal perçue par les autres membres de l’équipe, restés fidèles au poste ? À cela, M. Simard conseille aux employeurs de répondre : « Nos talents partent, mais ils reviennent parce qu’ils réalisent qu’ils sont bien chez nous. » 

De son côté, le conférencier de renommée internationale, Jean-François Bertholet estime que le sentiment de justice doit prévaloir en tout temps. Le retour d’un ex-membre de l’équipe peut susciter un sentiment de jalousie. Des collègues s’imaginent peut-être que l’employé.e prodige a renégocié son salaire à la hausse.

« Si les gens qui arrivent dans l’entreprise sont mieux traités que ceux en place, il y a un problème. Cela ne marche pas. C’est un signe que la loyauté n’est pas récompensée », déplore l’auteur du livre Le sentiment d'injustice en entreprisepublié au Canada et en Europe francophone. 

Chez GKM consultants, le retour d’un employé.e boomerang ne signifie pas nécessairement une hausse de salaire vertigineuse. « Nous négocions selon l’ancienneté en considérant que la personne a fait une parenthèse dans sa démarche professionnelle. Nous octroyons une augmentation correspondant à celle donnée dans l’équipe », précise le gestionnaire Jean-Marie Bréhé.

De plus, les spécialistes RH voient d’un bon œil les employé.e.s boomerang puisqu’il agissent positivement sur la marque employeur.

« Attention, toutefois, avertit le conseiller en ressources humaines, Jean-François Bertholet. Il ne faut pas cela devienne un bar ouvert et que tout le monde puisse partir et revenir. C’est comme si on faisait en quelque sorte de l’espionnage industriel gratuit. » 

Doit-on publiciser le départ des employé.e.s ? 

Les opinions divergent sur la possibilité ou non de publiciser le départ des talents qui décident de partir œuvrer chez une autre entreprise. Cette marque de considération et de respect pour la personne démissionnaire vient-elle altérer la loyauté des autres qui restent fidèles au poste ? À lire dans Pratiques RH: Comment dire adieu à son personnel