Flexibilité au travail : le mot d’ordre de la rentrée

17-08-2022
Dans la plupart des entreprises du Québec, la rentrée s’effectue sous le signe de la souplesse, conciliation et compréhension des enjeux des employé.e.s. Une manière d’attirer et retenir son personnel.
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Annie Bourque, Pratiques RH
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Flexibilité, souplesse et enjeux des employé.e.s

« La tendance c’est de travailler avec une grande latitude que ce soit un horaire souple avec une présence au bureau ou la semaine de 4 jours. En fait, la flexibilité, c’est le mot d’ordre pour la rentrée », explique Julie Tremblay-Potvin, stratège de culture organisationnelle chez De saison, une entreprise qui accompagne les organisations dans l'implantation d’une culture axée sur la bienveillance, la santé psychologique, la saine performance et la conciliation travail-famille. 

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Après la pandémie, les salarié.e.s souhaitent davantage de liberté et d’autonomie afin de choisir les journées pour aller au bureau. « Surtout, les valeurs évoluent et les gens désirent consacrer moins d’heures à leur travail pour faire autre chose », observe-t-elle. La crise sanitaire a engendré aussi une réflexion pour plusieurs. D’où le changement de priorités comme prendre soin des enfants ou de parents en perte d’autonomie. 

Un bond de 10 ans en avant en milieu de travail 

Les deux dernières années ont accéléré la transformation du monde du travail, croit Geneviève Provencher, fondatrice du cabinet Flow.  « Avec la pandémie, nous avons fait un bond de 10 ans en matière de flexibilité. Les employeurs tout comme les employé.e.s essaient de s’adapter: cependant, il n’y a pas de modèle », dit la chef d’entreprise qui expérimente durant la saison estivale la semaine de 30 heures avec ses 15 collaborateurs.trices, tous et toutes en télétravail. Au quotidien, Mme Provencher accompagne et soutient les PME québécoises dans les projets de ressources humaines liés à la flexibilité. 

« On aide les gens à définir leurs besoins et leurs capacités autant pour les employeurs que les employé.e.s. Par exemple, les priorités d’une jeune maman de deux enfants seront différentes d’une autre qui n’en a pas. Puis, ce n’est pas tout le monde qui est prêt à travailler 40 heures en 4 jours », note-t-elle.

Ce travail de réflexion doit, selon elle, s’amorcer autant du côté des dirigeant.e.s d’entreprises que des candidat.e.s. à la recherche d’un nouveau défi. 

Libre choix de son horaire 

Depuis un an, iXmédia, une entreprise de Québec spécialisée dans la conception de sites Web propose un horaire de 37,5 heures étalé sur 4 jours et demi. « Nos gens travaillent environ 8 heures par jour et le vendredi, ils peuvent quitter vers midi afin de profiter de la fin de semaine», explique Maryse Grenier, conseillère en ressources humaines. 

Toutefois, parmi les 28 employé.e.s, quelques un.e.s optent pour la formule de 30 heures en 4 jours ou la semaine conventionnelle de 5 jours. « C’est vraiment à leur discrétion et selon leurs besoins, précise-t-elle. Certains aiment commencer à 7 h, d’autres à 8 h : tous ont la flexibilité.»

En ce moment, le personnel d'iXmédia affectionne le prolongement de l’horaire estival à l’année. Pendant la semaine, les collègues de l’agence numérique ont de l’énergie pour se consacrer à leurs tâches respectives. « Le congé du vendredi après-midi est très apprécié. Certains de nos employé.e.s en profitent pour grimper des montagnes et d’autres vont aller chercher leurs enfants plus tôt à la garderie.» 

De plus en plus, la qualité de vie et conciliation travail-famille sont recherchées chez les jeunes générations. « Souvent, les jeunes gens vont évaluer leur qualité de vie selon la qualité de leurs week-ends», évalue Julie Tremblay-Potvin.  

Communication et confiance envers le personnel

Quoi qu’il en soit, le succès du modèle flexible est basé sur une totale confiance envers les employé.e.s. La communication, la confiance et la transparence sont nécessaires pour instaurer cette politique et la maintenir. « On vérifie si nos gens sont heureux et si les avantages leur conviennent. Veulent-ils des changements ? Nous ne sommes pas là pour imposer des choses. On veut les écouter, s’ajuster et répondre à leurs besoins », dit Mme Grenier. 

Bienfaits de la flexibilité 

Un an plus tard, les dirigeants d’iXmédia constatent les bienfaits de la flexibilité dont la rétention du personnel, l’augmentation de la productivité et la satisfaction des troupes. « Lors de nos rencontres, plusieurs nous font part de leur état. Cela leur permet d’atténuer leur stress et incidemment, leur charge mentale », précise Maryse Grenier, d’un ton enthousiaste. 

« Si on veut instaurer une politique de travail flexible, il faut tenir compte de plusieurs facteurs dont la culture de l’entreprise et ses objectifs, le marché du travail, les besoins des talents, etc. Quelle est la meilleure formule hybride ? 

Je dirais que le plus important c’est d’avoir un esprit flexible et de trouver l’équilibre entre les objectifs de son entreprise et les besoins de ses talents»- Geneviève Provencher, fondatrice du cabinet Flow qui accompagne plus de 300 PME au Québec. 

Enfin, la flexibilité au travail, selon elle, inclut de plus en plus la « géoflexibilité ». Les gens peuvent être libres d'œuvrer de la Suisse ou de Roberval et accomplir le même boulot. « Cet été, on tente l’expérience avec deux de nos employé.e.s qui seront en France », mentionne-t-elle.

Attention à l’effet pervers de la flexibilité 

L’effet pervers des journées aléatoires au bureau engendre parfois une absence de liens entre les gens. Certain.e.s ont parfois l’impression d’être isolé.e.s et en contrepartie, vont postuler ailleurs pensant retrouver une équipe soudée, sympathique et passionnée. 

D’autre part, la consultante B Corp* chez Boite Pac, Catherine L.Galvani croit qu’il faut se méfier de la flexibilité qui incite à se consacrer aux tâches, le soir, la nuit, bref, selon leurs envies. « Chez nous, on travaille tous en même temps le jour. Certains préfèrent le soir ou même la nuit. Le problème, c’est que cela ne finit jamais et on devient connecté 24 heures sur 24.»

*Ce mouvement, dont les membres mettent les affaires au service du bien commun, connait un essor fulgurant depuis la création de la certification B Corp il y a plus de 10 ans. Aujourd’hui, plus de 2 200 entreprises, dans plus de 50 pays, sont certifiées. De son côté, Boite Pac aide les entreprises à responsabiliser leurs pratiques à travers l'obtention de la certification. 

Semaine de 4 jours : pour ou contre? 

Les opinions varient au sujet de l’implantation de la semaine de 4 jours dans les entreprises au Québec. L’été dernier, le fondateur de l’agence Boite Pac, Thomas Ferland-Dionne était sceptique. « Je ne pense pas nécessairement que la semaine de 4 jours soit un concept qui fonctionne pour moi », confiait-il à l'équipe en parlant de ses appréhensions. 

D’autres salarié.e.s ont évoqué la difficulté de conjuguer avec succès leur rendement dans un délai de 40 heures. « Comment est-ce possible de condenser mon travail en 32 heures? », demandait-on, d’un ton méfiant. 

En prenant vendredi de congé, les dirigeant.e.s de Boite Pac désiraient, par le fait, même accroître le bien-être du personnel et améliorer l’ impact environnemental. Finalement, en septembre 2021, le changement d’horaire a été mis en place sous forme de premier essai. 

« Du lundi au jeudi, nous faisons 32 heures par semaine. On a gardé le même salaire, mais en réduisant les heures. Dans le fond, c’est comme une augmentation de salaire », explique Catherine L. Galvani. 

Éviter les semaines de fou

Les spécialistes de la gestion de temps et du changement à qui nous avons parlé se montrent favorable à la semaine de 30 ou 32 heures avec le même salaire. « Il faut éviter de travailler 40 heures en 4 jours. On appelle cela une semaine compressée. Cela n’a pas les mêmes bénéfices sur la santé mentale, le stress ou la satisfaction liée au travail », nous a-t-on expliqué. 

Cette semaine intense de travail engendre de longues journées de 10 heures et cela est fort difficile à concilier avec le rôle de parent. 

Plusieurs études scientifiques illustrant que la réduction de travail force les gens à être plus efficients et productifs. En travaillant moins, les employé.e.s sont moins fatigué.e.s et ont plus tendance à être concentré.e.s et à faire moins d’erreurs.

Dans certaines sphères d’activités dont le génie, domaine médical, construction de ponts, la semaine réduite contribue à une meilleure productivité. 

Le temps, fait-on valoir est la seule ressource qui a de la valeur. Quand on parle de travailler 40 heures par semaine au lieu de 30 heures, c’est tout de même 10 heures qu’on ne passe avec sa famille, ses amis ou ses passe-temps.

« L’épuisement est actuellement un fléau. Quand on est fatigué, il n’y a pas de répit. Cela va tellement vite dans les organisations. Les gens ont besoin de reposer leur mental et de pratiquer un sport. C’est cela que ça procure la semaine de 4 jours », précise Julie Tremblay-Potvin qui adopte cet horaire dans sa propre entreprise. 

S’adapter au changement

Quels sont les défis de la semaine de 4 jours en 32 heures ? Catherine L. Galvani note la résistance au changement de certain.e.s employé.e.s.  « Nous sommes une jeune Start up, habituée à sortir de notre zone de confort. Dans une plus grande entreprise, des gens qui travaillent depuis longtemps ou qui ont des habitudes bien ancrées pourraient exprimer une résistance au changement », évalue-t-elle. 

Avant l’instauration d’un changement d’horaire, il est nécessaire selon elle, de tâter le pouls des membres de l’équipe et de la direction. Cela prend environ 3 à 4 mois de préparation. Cela inclut la réflexion sur le processus et la prise en compte des irritants ou réticences. « Les employé.e.s doivent être impliqué.e.s dans le processus pour que cela fonctionne. De là, l’importance d’une bonne communication avec nos gens.» 

La consultante chez Boite Pac préconise d’adopter ce nouvel horaire en douceur par l’instauration d’un premier essai de 3 mois et par un accompagnement des équipes. 

Au début, plusieurs dont les co-fondateurs de l’entreprise ont fait l’erreur d’un « fake 4 jours », c’est-à-dire de travailler le soir, le week-end ou pire, le vendredi. Idéalement, la direction donne l’exemple en évitant l’envoi de communications hors des heures de travail, recommande Mme Galvani. 

Secret de réussite de la semaine réduite en temps

La semaine de 30 heures en 4 jours semble peut-être complexe dans la mesure qu’il faut accomplir les mêmes tâches en moins de temps. La recette est fort simple, selon nos spécialistes interrogé.e.s. 

Quelques fois par semaine, les gens travaillent sans aucune interruption durant environ deux heures. « Nos réunions ont un ordre du jour précis et ne durent pas plus que 30 minutes. Tout le monde arrive à l’heure et aucun retard n’est toléré », explique Catherine L. Galvani.  

Dans ces rencontres, pas question de parler de sa visite à Toronto du week-end. « Chez nous, on ne fait pas de social durant ces meetings, dit-elle. On se concentre sur notre travail, notre organisation, mais on prend un temps pour le faire à notre arrivée le lundi matin.» 

La semaine de 30 ou 32 heures est davantage un choix et une responsabilité collective et politique. Il faut instaurer une bonne communication avec nos équipes afin d'être concentré au travail.  

L’important, c’est de faire le suivi de l’adoption d’un nouvel horaire. En six mois, les dirigeants peuvent évaluer les incidences du changement. 

Les bénéfices de la réduction d’heures

Les bénéfices de la réduction d’heures ou la prise de congé les vendredis après-midi favorisent le recrutement. « On offre une semaine de 4 jours avec un salaire de 5 jours. Cela permet de faciliter notre recrutement et surtout de retenir notre personnel », indique Catherine L. Galvani. 

Au-delà de l’attraction et rétention des salarié.e.s, le bénéfice est certes la réduction de l’absentéisme, de l’épuisement professionnel ou même de la diminution des problèmes liés à l’anxiété, stress, insomnie. 

« Le vendredi après-midi, ajoute-t-elle, d’un ton heureux, je prends soin de moi et les fins de semaine, j’ai du temps de qualité pour la famille ou pour vivre mes passions. L’effet positif ? Je n’ai plus de «blues» le dimanche soir parce que j’ai eu du temps pour me reposer.» 

Le plus important est le sentiment de satisfaction qu’en retire les employé.e.s de iXmédia et de Boite Pac. « Si je passe 8 heures de ma journée à être productive, allumée, créative, je vais me sentir satisfaite et fière de moi», illustre Mme Galvani. 

Semaine plus courte = meilleure productivité? 

Selon le chercheur et psychologue Jacques Forest, parmi les pays qui travaillent le plus d’heures, Portugal et Grèce, ce ne sont pas les pays qui sont en haut du palmarès de la productivité. 

Le coauteur du livre « The Case for a Four Day Week» Aidan Harper partage le même avis. Les pays qui travaillent moins ont tendance à avoir une productivité plus élevée. « Le Danemark, la Suède, les Pays-Bas travaillent moins que le Royaume-Uni et ont des niveaux élevés de productivité », explique l’auteur à l’AFP. 

Citant l’exemple d'athlètes, M. Forest estime que l’important c’est de travailler en s’investissant beaucoup durant un cycle et de récupérer par la suite. «Certaines personnes travaillent beaucoup, entre 45 et 55 heures par semaine. Est-ce que ce serait logique de diffuser notre énergie de manière plus intelligente?»

«Cette oscillation entre la dépense et la régénération énergétique, c’est ce qui fait qu’on est bon, dit M. Forest. L’erreur que je vois dans certaines firmes, c’est qu’on veut faire un marathon à la vitesse d’un sprint.» 

Ailleurs dans le monde

Un article du Figaro nous apprenait qu’une semaine de 4 jours est en ce moment en essai chez 70 entreprises britanniques œuvrant dans le secteur des services.

Durant six mois, 3300 employé.e.s expérimentent la semaine de travail de 4 jours en 32 heures, sans perte de salaire.  D’autres tests similaires doivent aussi avoir lieu en Espagne, Islande, États-Unis et même chez nous, au Canada, grâce à l’initiative de 4 Day Week Global, une association qui organise ces essais. 

Durant six mois, les Anglais.e.s vont recevoir 100 % de leur salaire tout en travaillant 80 % de leur temps. Toutefois, ils doivent atteindre 100 % de leur productivité habituelle. À suivre.