Quand l'échec mène au succès : comment tirer profit des erreurs

04-09-2025
Thématiques : Compétences en gestion et leadership  -  Article informationnel
L’erreur, aussi pénible soit-elle, fait partie du travail. Lorsqu’elle est reconnue, encadrée et partagée, elle devient un moteur d’apprentissage et de cohésion. Mais quelques conditions s’appliquent... 
Rédigé par :
Elodie Leman, Pratiques RH
Quand l'échec mène au succès : tirer profit des erreurs

Longtemps perçu comme un tabou, l’échec gagne peu à peu ses lettres de noblesse en entreprise.  

Certaines organisations québécoises ont commencé à le traiter non pas comme un ennemi à éradiquer à tout prix, mais comme un levier de développement, d’innovation et même d’engagement collectif. Mais encore faut-il poser un cadre et faire évoluer les pratiques !  

Derrière cette transformation des mentalités, un principe clé se dégage : on ne peut pas s’améliorer sans se tromper.

Un nouveau regard sur l’échec

« On n'apprend pas beaucoup par la victoire ou le succès, mais on apprend beaucoup par la défaite ou l'échec », relate un proverbe japonais.  

C’est un adage connu et souvent répété dans la sphère privée, mais qu’en est-il du milieu professionnel ?

La première étape consiste à redéfinir l’échec. Trop souvent associé à la faute, il est rarement perçu comme un processus normal d’ajustement, fait valoir Mélanie Hamel, consultante RH et coach.  

« Pour moi, un échec est une occasion d’apprentissage. Ce n’est pas une fatalité, mais plutôt un moment pour se réaligner et apprendre. J'ai même banni ce mot de mon vocabulaire ! ».

Cette posture déplace le regard : on ne juge plus l’erreur pour ses conséquences, mais pour ce qu’elle permet de comprendre

Dans une chronique, Isabelle Lord, CRHA, souligne que ce positionnement favorise l’apprentissage continu, la remise en question constructive et l’innovation.  

« Les personnes qui ont une bonne estime d’elles-mêmes voient rarement l’échec comme quelque chose de définitif. Elles se demandent plutôt : qu’est-ce que j’ai appris de cette expérience ? Comment puis-je m’améliorer ? » poursuit Mélanie Hamel.

Définition

Quelle différence entre échec et erreur ?  

L’erreur désigne un geste, une décision ou une action qui s’écarte de ce qui était attendu. L’échec, lui, est le résultat global d’un processus qui n’atteint pas son objectif. On peut commettre une erreur sans que ce soit un échec, et vivre un échec sans avoir commis d’erreur.

Un apprentissage subjectif, mais essentiel

Si le regard porté sur l’échec est la clé pour le dédramatiser - et en tirer profit ! -, celui-ci demeure subjectif.  

« Dans un même projet, une personne peut vivre un échec cuisant, et une autre y voir un apprentissage », soulève Dominic Migneault, enseignant à HEC Montréal et formateur chez C3pH Solutions Innovantes.

En ce sens, l’échec peut devenir un outil stratégique, car il oblige à ralentir, à réfléchir, à s’ajuster. « Il n’y a pas d’équipe performante sans moments de dérapage collectivement assumés », croit fermement Mélanie Hamel.

Créer un climat de sécurité psychologique

Derrière chaque erreur se trouve un choix : la taire ou bien la partager. À condition que le milieu de travail permette cette deuxième option. Pour que l’erreur serve vraiment, elle doit pouvoir être nommée.

Comme le montre une enquête récente de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), le fait de pouvoir nommer ses erreurs en toute sécurité est un facteur déterminant du bien-être au travail. Un constat qui dépasse largement le milieu universitaire !

Oser parler des erreurs sans craindre le jugement

« La sécurité psychologique, c’est un escalier qu’on monte à pied, mais qu’on descend à vélo. Une erreur punie publiquement, et tout le monde se tait la prochaine fois », illustre Nicolas Sève, enseignant à HEC Montréal et formateur chez C3pH Solutions innovantes.

Ce climat de confiance en milieu de travail ne se décrète pas. Il se construit par des comportements cohérents, répétés, incarnés.  

« Les entreprises les plus innovantes et les plus performantes sont celles qui ont déjà compris et intégré [leurs erreurs], et qui les mettent en action quotidiennement au sein de leur organisation.  »

- Jean-François Boudreault, Directeur général chez AURAY

Josée Gélinas, coach et formatrice en gestion, insiste aussi sur ce point : « Il faut créer des milieux où l’erreur peut être nommée sans jugement. Pas de procès en public : si ça concerne une personne, on en parle en privé. Sinon, les gens ne parleront plus. »

Le rôle clé des gestionnaires

Changer la place de l’erreur dans une organisation ne se fait pas sans soutien. Ce virage commence rarement par une politique, il débute par un travail individuel, souvent silencieux, de la part des gestionnaires qui accompagnent leurs équipes dans les opérations du quotidien.

En effet, la portée de l’erreur au sein d’une organisation est intimement liée à la posture des chef.fe.s d’équipe. 

Celle-ci inclut leur capacité de discernement entre une erreur de parcours et une faute grave, à reconnaître leurs propres « loupés », et à créer un environnement où la communication est aisée. 
 

Faute grave justifiant un renvoi immédiat : ce que dit la loi 

La faute grave nécessite une rupture immédiate du lien d'emploi (sans préavis) ; elle est d’une gravité ou d’une intensité telle qu’elle ne peut être excusée par les circonstances et entraîne un bris du lien de confiance entre l’employeur et la travailleuse ou le travailleur. (Source : CNESST

« Il faut indéniablement commencer par soi-même. Si on croit qu’on ne fait jamais d’erreur, on ne pourra jamais faire embarquer toute une équipe », exprime Dominic Migneault.

« Accepter une erreur comme gestionnaire, c’est d’abord une preuve d’humilité. Il faut pouvoir dire à son équipe : on s’est trompé. Et demander : qu’est-ce qu’on aurait pu faire autrement ? conseille Josée Gélinas. 

Dire « j’ai besoin de recul, je vais réfléchir et je reviens vers vous », ça crée un climat de confiance au sein des troupes. »

La spécialiste insiste sur l’importance de l’accompagnement dans la durée, de la part des gestionnaires envers leurs équipes. « Le suivi régulier : c’est ça la clé. Il faut féliciter les efforts, même les petites marches vers l’amélioration. »

« Célébrer les erreurs, c’est un mot fort à mon sens. Je dirais plutôt : utiliser l’erreur comme un levier pour apprendre, pour progresser ensemble. »

- Josée Gélinas

La proximité et la cohérence du ou de la gestionnaire font toute la différence entre une erreur qui divise et une erreur qui rassemble.  

Encadrer sans punir : trouver la juste tolérance

Évidemment, adopter une posture d’ouverture à l’erreur ne signifie pas tout accepter. Pour éviter que le « droit à l’erreur » ne se transforme en laxisme, il est essentiel de tracer des balises claires.

Nicolas Sève rappelle l’importance de cette nuance. « Faire l’apologie de l’erreur sans limites, c’est dangereux. Il faut une gradation claire : qu’est-ce qui est une erreur acceptable, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Sinon, on nivelle par le bas. »

Sans cadre défini, la confusion s’installe, et les repères se brouillent.

Carrefour RH identifie cinq leviers pour instaurer une culture du droit à l’erreur :

  • Clarifier les attentes
  • Distinguer l’acceptable de l’inacceptable
  • Encourager l’expérimentation
  • Partager les apprentissages
  • Outiller les gestionnaires

Comment reconnaître l’erreur de trop ?

Quand une erreur se répète, il peut être tentant d’y voir une limite franchie. « Avant de dire que c’est l’erreur de trop, il faut être certain d’avoir bien compris les précédentes. Est-ce qu’on les a analysées ? Corrigées ? Est-ce qu’on a fait notre part ? », interroge Dominic Migneault.

Selon lui, une erreur devient réellement problématique lorsqu’elle persiste malgré un accompagnement adéquat : « pour moi, l’erreur de trop, c’est celle qui perdure, malgré les formations, les ajustements de processus et les accompagnements. »

La répétition seule ne suffit donc pas à la qualifier de faute. Elle peut aussi révéler une lacune dans l’encadrement. Lorsque la délégation d’une tâche s’effectue sans tenir compte du niveau d’autonomie ou des besoins d’apprentissage de la personne, l’erreur devient presque inévitable.  

Josée Gélinas souligne que l’intention derrière l’erreur reste déterminante. Lorsqu’elle est portée par une volonté de nuire, une attitude défensive persistante ou un refus de s’ajuster, elle cesse d’être une erreur tolérable et devient un comportement à adresser.

En effet, certaines erreurs peuvent avoir des répercussions importantes pour l’organisation et doivent être adressées avec rigueur. Le droit de gestion permet d’intervenir de manière raisonnable et proportionnée, notamment en cas de faute grave ou répétée.

Cadre légal et responsabilité de l’employeur

Au Québec, le droit reconnaît à l’employeur un droit de gestion, à condition qu’il soit exercé de manière raisonnable et de bonne foi. Pour éviter toute dérive, la jurisprudence recommande des pratiques claires, équitables et documentées. (Source)

La CNESST définit le droit de gestion comme étant le droit de l'employeur de diriger ses travailleur.euse.s et de prendre des décisions pour assurer la rentabilité de son entreprise.

Aligner les gestes aux discours

Lorsqu’on affirme valoriser l’erreur, mais qu’une seule faute suffit à déclencher une sanction, c’est toute la culture de sécurité qui s’effondre, résume Dominic Migneault. « Si à la première bévue on passe en mode punition, tout s’effondre. »

Le droit d’expérimenter et se tromper, d’accord, mais pas sans balises  !

  • Délimiter clairement les erreurs acceptables et celles qui ne le sont pas
  • Traiter les erreurs en privé quand elles concernent un individu
  • Faire des post mortem d’équipe après un échec
  • Féliciter les progrès, même minimes
  • Changer le vocabulaire pour désamorcer la peur

Donner un nouveau sens aux mots pour libérer la parole  

Il est possible de privilégier des termes qui favorisent un climat de travail plus serein. Redonner une valeur constructive aux « ratés » débute parfois par un simple mot, soutiennent les expert.e.s interrogé.e.s. L’échec peut être renommé « apprentissage » par exemple.

« On peut remplacer le mot « erreur » par « pépite », indique Nicolas Sève. Une « pépite d’or » si elle est précieuse, une « pépite de bronze » si elle est moins critique. Ça dédramatise la situation et ça ouvre la discussion  ! ».  

Dominic Migneault renchérit avec enthousiasme : « dire « j’ai fait une pépite », ça donne le sourire. Ça change tout ».  

L’erreur comme outil de développement collectif  

Derrière l’anecdote, la stratégie demeure sérieuse : changer la perception de l’erreur peut désamorcer la peur de l’éviter à tout prix et ainsi encourager l’amélioration continue.  

Les deux experts de C3PH font valoir qu’en organisant des réunions post mortem, les équipes peuvent revisiter une situation sans jugement, et ainsi en faire ressortir des apprentissages pertinents.

« En entreprise, on peut vraiment bénéficier des erreurs des autres, à condition qu’elles soient partagées, et surtout pas gardées en silo », insiste Dominic Migneault.