Congé de paternité : le valoriser pour retenir les talents

04-09-2025
Thématiques : Gestion de la CFT  -  Article informationnel
Un père soutenu, c’est un employé qui revient… Avec un nouveau superpouvoir !
Rédigé par :
Victoire Bejjani, Pratiques RH
Congé de paternité  le valoriser pour retenir les talents

Oui, au Québec, le congé paternité existe et il fonctionne plutôt bien, surtout comparé à d’autres coins du monde. Grâce au RQAP, les nouveaux pères peuvent vivre les premiers moments avec leur enfant, sans que ce soit un luxe. 

Mais au-delà des droits sur papier, une question se pose : est-ce que les milieux de travail prennent le congé paternité au sérieux ? Est-ce qu’ils le voient comme une vraie période de transition et d’investissement familial ou juste comme une absence à gérer ? 

Ce n’est pas une critique envers les avancées faites pour les mères ni un oubli des luttes féministes. Au contraire : accompagner les pères, c’est aussi faire avancer l’égalité.  

Et si les milieux de travail poussaient la réflexion plus loin ? Indice : tout ne se joue pas sur la durée du congé. 

Le congé paternité au Québec : ce qu’il faut savoir 

Plonger dans l’histoire du congé paternité au Québec, c’est réaliser à quel point ce droit est récent et précieux. 

C’est en 2001, avec la création du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), que les pères ont officiellement obtenu la possibilité de prendre un congé, distinct de celui de la mère. Ce congé, entièrement payé, dure 5 semaines, et est à prendre dans l’année qui suit la naissance ou l’adoption de l’enfant. 

Le but ? Favoriser le lien père-enfant dès les premiers jours, mais aussi encourager un meilleur partage des responsabilités parentales. 

Et contrairement au congé parental partagé entre les deux parents, le congé de paternité est un droit individuel : il ne se transfère pas et se perd s’il n’est pas pris. 

Et ailleurs ? 

  • États-Unis : Aucun congé de paternité garanti au niveau fédéral. Tout dépend de l’employeur ou de l’État.
  • Japon : Le congé de paternité est long (jusqu’à un an), mais très peu utilisé : moins de 20 % des pères y ont recours, souvent par peur de nuire à leur carrière.
  • France : Un congé de 28 jours, dont 7 obligatoires. 

Congé de paternité : des freins encore culturels 

Le congé de paternité, bien que relativement jeune, est devenu une mesure essentielle pour les enfants, les familles et l’équité au travail 

Au Québec, près de 80 % des pères utilisent les cinq semaines auxquelles ils ont droit, et environ un quart choisissent même de prolonger avec une partie du congé parental partageable.  

Dans les faits, plusieurs freins persistent. Retenues salariales imprévues, peur de représailles ou crainte d’être mal vu, etc. Plusieurs témoignages révèlent une pression subtile, mais bien réelle. Philippe Noël, vice-président aux Affaires publiques, à la Compétitivité et à l’Accès aux marchés de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), le confirme : « si l’employeur fait payer sa ressource sur le plan de sa carrière parce qu’il a pris un congé, ce n’est malheureusement pas la bonne voie à emprunter. » 

Et il sait de quoi il parle. Avant son propre congé, Philippe Noël a tout fait pour bien préparer la transition avec ses collègues : rencontres préalables, mise en contexte, redistribution stratégique des tâches.  

« Il faut impliquer les collègues à l’avance. Ce serait une erreur de transférer un dossier la veille du départ »

- Philippe Noël 

Résultat ? Une absence bien planifiée, un retour facilité. « Dès le lundi matin, grâce à un topo détaillé, j’ai pu reprendre mes dossiers comme si je n’étais jamais parti. » 

Petite précision qui fait toute la différence 

Le congé de paternité, ce n’est pas que pour les pères ! 

Il peut aussi être accordé au deuxième parent, même si celui-ci est une femme comme dans les couples lesbiens, par exemple. 

C’est une manière concrète de reconnaître toutes les réalités familiales. 

Faire évoluer les mentalités en faveur du congé de paternité 

Yarledis Coneo, responsable du Centre d’expertise Concilivi, souligne que ces résistances sont encore particulièrement fortes dans les milieux à prédominance masculine 

Comme le rappelle Karine Gil-Blaquière, conseillère Sceau Concilivi : « on parle beaucoup du congé de maternité dans les politiques, mais peu du congé parental, et encore moins du congé de paternité. Il est encore jugé, notamment dans le secteur manufacturier. » 

Selon des données relayées par Concilivi, 49 % des pères estiment ne pas être traités de la même façon que les mères dans les services de soutien aux familles. Les normes traditionnelles de genre influencent encore la perception de légitimité du congé des pères.  

Des propos tels que : « je ne comprends pas pourquoi tu prends autant de semaines. Ta femme, elle va faire quoi pendant tout ce temps ? » sont encore courants. Bien qu’ils soient fictifs, comme ceux cités dans le livre Pour une conciliation des rôles de vie à votre image, ils reflètent des expériences vécues par de nombreux pères. 

« Même quand le droit existe, il faut encore que l’environnement donne envie de l’exercer. »

- Yarledis Coneo 

Yarledis Coneo rappelle également l’impact des signaux implicites : le regard des collègues, le silence des supérieurs, ou encore l’absence d’information sur les mesures disponibles.  

Pourquoi le congé de paternité est un enjeu RH 

Le congé de paternité ne relève pas uniquement de la sphère privée ou familiale. C’est aussi une question de justice organisationnelle et d’équité professionnelle. 

  • Pourquoi les femmes peuvent-elles prendre leur congé sans avoir à se justifier, alors que les hommes ont tendance à douter de leur légitimité à le prendre ?
  • Pourquoi la conciliation est-elle encore trop souvent pensée comme une affaire de mères ?
  • « Il faut éviter de pénaliser quelqu’un qui met la famille au cœur de ses priorités. La personne qui se sent soutenue, elle est plus motivée, plus heureuse, et elle reste », souligne Philippe Noël. 

Il rappelle que l’accès au congé de paternité est également un levier stratégique de fidélisation. « On mise beaucoup sur la conciliation famille-travail. C’est bon pour l’engagement, pour la marque employeur. » 

Accompagner le personnel dans leur congé pour mieux les fidéliser 

Et pourtant, dans bien des milieux, le réflexe d’accompagner un congé de paternité demeure absent. « Il faut envoyer des signaux positifs : pas de culpabilisation avant, pendant ou après », insiste-t-il. 

Le congé de paternité constitue aujourd’hui un véritable levier d’attraction et de rétention 

Selon Concilivi, la conciliation famille-travail (CFT) figure parmi les trois principaux critères dans le choix d’un emploi. Pourtant, 66 % des parents d’enfants de 0 à 5 ans considèrent la CFT comme une source de stress importante.  

Alors, pourquoi certains milieux tardent-ils à pleinement soutenir ce congé ? Souvent, par simple manque d’information sur les mesures existantes du RQAP. Tandis que 88 % des employeurs reconnaissent l’utilité sociale de ce programme. 

Il y a donc un travail de sensibilisation à poursuivre, notamment auprès des gestionnaires de proximité, qui jouent un rôle clé dans l’expérience vécue par les employé.e.s. Leur posture, leur ouverture, leur capacité à normaliser ce droit influencent directement la manière dont il est perçu et utilisé. 

En bref 

62 % des répondant.e.s associent leur satisfaction au travail aux mesures de conciliation offertes. 

Comment changer la culture organisationnelle ? 

Voici quelques pistes simples, proposées par Yarledis Coneo : 

  • Ouvrir le dialogue : parler des réalités parentales, pas seulement du travail.
  • Valoriser les pères qui prennent leur congé (témoignages, infolettres, événements internes).
  • Former les gestionnaires à parler de congé sans malaise et avec bienveillance.
  • Intégrer le congé de paternité dans les politiques RH, les guides d’accueil et les entretiens annuels.
  • Adopter un langage inclusif, utiliser « congé parental » plutôt que « congé de maternité » lorsqu’on parle de façon générale, afin d’inclure toutes les réalités familiales.
  • Planifier les absences avec l’équipe, en identifiant les tâches clés à transférer et une personne-ressource.
  • Collaborer plutôt que gérer en silo : inclure les collègues dans la planification. 

Une posture de réassurance pour assurer un retour serein 

Philippe Noël abonde dans le même sens. Pour lui, tout repose sur la posture du. de la gestionnaire. 

« Si le.la gestionnaire laisse planer le doute, le congé risque de devenir une source d’inquiétude plutôt qu’un moment de répit. » 

Il cite en exemple une collègue récemment partie en congé de maternité. « On a trouvé quelqu’un pour la remplacer, on l’a rassurée dès le début, et on a hâte de la retrouver. C’est comme ça qu’on retient les talents. » 

Au-delà des pratiques formelles, le rôle des modèles est aussi crucial. Philippe Noël le souligne : « nos pères, eux, n’ont jamais pris de congé. J’ai même travaillé avec des élus qui regrettaient d’avoir manqué les premières années de leurs enfants. Ça m’a marqué. Moi, j’ai choisi de faire autrement. » 

Inscrire les congés parentaux dans une politique CFT : des retombées positives 

Certaines organisations vont jusqu’à se doter d’outils concrets comme des chartes internes ou même des certifications, telles que le Sceau Concilivi. Ce dernier permet d’évaluer et d’implanter durablement des pratiques de conciliation famille-travail, incluant les congés parentaux. 

Les bénéfices sont réels : 
77 % des personnes interrogées affirment qu’elles seraient incitées à postuler dans une organisation détentrice du Sceau. 

À l’inverse, des signaux négatifs envoyés aux parents en devenir peuvent avoir des effets délétères : 

  • Baisse du sentiment d’appartenance
  • Sous-utilisation des mesures de CFT
  • Perte de talents

Soutenir les pères, c’est investir dans l’avenir 

Le congé de paternité ne devrait plus être perçu comme un privilège ni une absence à combler à la hâte, mais bien comme une opportunité d’ancrer des valeurs de confiance, de respect et d’équilibre au cœur des milieux de travail. 

« Avant de partir en congé parental, je n’étais pas aussi proche de mon enfant que je le suis maintenant. Grâce à ce temps, on a tissé un vrai lien », confie Philippe Noël.  

Ce lien-là, tout comme le sentiment de soutien au travail, ne se décrète pas. Il se construit. Et quand il est bien accompagné, il bénéficie à tout le monde : aux enfants, aux parents, aux équipes, et aux organisations. 

Parce que permettre à un parent d’être présent, c’est aussi poser un geste de leadership !