Trouver les talents de demain grâce aux partenariats avec les écoles

Au Québec, la pénurie de main-d'œuvre persiste, touchant divers secteurs économiques. Parallèlement, une part importante des jeunes peine à se projeter dans un avenir professionnel.
Face à ces constats, certaines entreprises nouent des partenariats avec des établissements d'enseignement afin de rapprocher les jeunes du monde du travail.
Quels sont les bénéfices concrets de ces collaborations pour les entreprises ? Quelles formes peuvent-elles prendre ? Et comment s'assurer de leur pérennité ?
Un contexte doublement critique : rareté de talents, jeunesse désorientée
La rareté de main-d’œuvre frappe de nombreux secteurs québécois, notamment les technologies, la fabrication, la construction et la santé.
En parallèle, le Réseau Réussite Montréal rappelle que 40 % des jeunes qui ne poursuivent pas d’études postsecondaires citent le manque d’intérêt ou de but professionnel comme principale raison de leur abandon scolaire.
Ces deux dynamiques révèlent un même besoin : connecter plus tôt et plus concrètement les jeunes au monde du travail, et offrir aux entreprises une voie d’accès à une relève engagée et formée à leurs réalités.
Une approche proactive du repérage de talents
Alors que plusieurs entreprises peinent à recruter sur des postes techniques ou spécialisés, certaines choisissent d’intervenir plus tôt dans le parcours des jeunes talents, avant même la fin de leurs études.
Chez Ubisoft, cette posture se traduit par une présence accrue dans les milieux étudiants. « On veut être visibles dès la première année d’université pour suivre ces talents tout au long de leur parcours », indique Antoine Leduc-Labelle, chef des relations publiques. Cette stratégie permet de repérer plus tôt des profils prometteurs.
Longtemps centrée sur des profils expérimentés, la stratégie d’Ubisoft s’oriente désormais vers le développement actif de la relève. L’entreprise encadre des concours universitaires, propose des stages intégrés à des projets réels, et structure un accompagnement sur plusieurs années.
« On a complètement revu notre approche du recrutement », observe Matthew Wiazowski, responsable du recrutement chez Ubisoft.
L’entreprise de jeux vidéo est présente dans 13 universités québécoises dans le cadre de son Concours universitaire. Cette initiative vise à élargir son bassin de talents en collaborant avec une diversité d'établissements.
En 2025, 206 étudiant.e.s de ces 13 universités ont participé au concours, marquant un record de participation. « Limiter les profils à quelques universités spécialisées, c’est se priver de talents exceptionnels », estime de son côté Matthew Wiazowski, responsable du recrutement chez Ubisoft.
En intégrant des stagiaires dès le début de leur parcours, l’entreprise cherche à reconnaître leur capacité d’apprentissage et a bénéficié de leur contribution.
« Avant, on attendait que les gens aient cinq ou dix ans d'expérience. Maintenant, on investit dès leurs études. »
- Matthew Wiazowski
De plus, l’initiative Ubisoft Éducation appuie plusieurs organismes locaux - Kids Code Jeunesse, Technovation Montréal, Le Code des filles - pour promouvoir les sciences et la technologie auprès des jeunes.
S’impliquer concrètement : quelles formes prennent ces partenariats ?
Si les grandes entreprises peuvent structurer des programmes de stages à grande échelle, les formats de partenariats école-entreprise sont loin de leur être réservés.
La collaboration peut commencer par des gestes simples, mais ciblés : offrir une visite d’entreprise à une classe spécialisée, encadrer un projet étudiant, participer à une simulation d’embauche, ou encore intervenir lors d’un événement pédagogique.
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Des modèles variés, adaptables aux ressources
Certaines initiatives vont plus loin, comme le programme Classes Affaires de Montréal Relève, qui propose, depuis 2001, une immersion d’une semaine en entreprise à des élèves de 3e et 4e secondaire.
Ce dispositif a touché près de 18 000 jeunes, dans 25 écoles montréalaises et 18 secteurs d’activité. L’objectif ? Favoriser une meilleure connaissance des métiers, et ancrer les apprentissages dans des contextes concrets.
D’autres organisations (comme Ubisoft) misent sur des concours étudiants ou sur le mentorat de cohortes dans le cadre de projets réels, permettant aux jeunes d’acquérir une première expérience structurée, souvent avant même leur entrée sur le marché du travail.
Des structures pour accompagner les entreprises
L’un des freins fréquemment évoqués par les employeurs concerne la méconnaissance des démarches à suivre pour entrer en contact avec une école ou une université.
« Beaucoup d’organisations ne savent pas comment collaborer avec nous, constate Graham Carr, recteur de l’Université Concordia. C’est pourquoi notre équipe dédiée est là pour faciliter les liens ».
Plusieurs établissements d’enseignement supérieur ont ainsi mis en place des structures pour coordonner les stages, arrimer les projets de recherche ou tisser des liens avec les entreprises.
Cela facilite notamment la mise en place de collaborations sur mesure, y compris avec des entreprises de taille plus modeste. Pour les milieux éducatifs comme pour les employeurs, l’objectif reste le même : que l’expérience soit bénéfique aux deux parties et qu’elle puisse s’inscrire dans la durée.
« On considère que c’est aussi notre rôle comme université, de former les étudiant.e.s en leur permettant de se confronter à la réalité du marché du travail. »
- Graham Carr
Les stages : des bénéfices mesurables pour les entreprises
Pour les entreprises, accueillir des stagiaires permet de former des talents en amont tout en facilitant leur intégration à la culture et aux pratiques internes.
À l’Université Concordia, cette approche est institutionnalisée. En 2024, plus de 4 000 étudiant.e.s de premier cycle ont pu effectuer un stage rémunéré grâce à un réseau de 2 000 entreprises partenaires (programme Co-op).
« Quand une entreprise accueille un.e stagiaire, il est fréquent qu’elle choisisse ensuite de l’embaucher. Le lien est déjà là, la formation est amorcée. »
- Graham Carr
La relation commence parfois dès les concours étudiants, se poursuit en stage, puis se transforme en embauche durable. « On voit des étudiant.es participer au concours dès leur première année, puis revenir comme stagiaires, puis comme employé.es », témoigne Antoine Leduc-Labelle.
De stagiaire à propriétaire d’entreprise !
À Cowansville, une collaboration entre Linda Beaudin, propriétaire d’un salon d’esthétique, et sa stagiaire Elvia Martinez a permis d’assurer la relève entrepreneuriale. Intégrée progressivement, Elvia Martinez est devenue propriétaire de l’entreprise quelques années après son stage, illustrant l’impact durable de ces partenariats, même à l’échelle d’une PME.
Recruter un.e stagiaire déjà formé.e permet de réduire les coûts liés à l’embauche – estimés en moyenne à 6 400 $ au Québec – tout en augmentant les chances de rétention. Avec certaines subventions pouvant couvrir jusqu’à 70 % du salaire, ce levier devient aussi économique que stratégique (sources : Groom & Associés, Université de Sherbrooke, AXTRA).
Bon à savoir
- Le programme Accueillez un stagiaire de la FCCQ aide les entreprises du Québec à répondre à leurs besoins de main-d’œuvre tout en leur permettant de bénéficier d’un appui opérationnel. Cette initiative permet l'accès à une subvention salariale pour accueillir des stagiaires de niveau professionnel, collégial ou universitaire dont le mandat s’effectue au Québec.
- Au Québec, le crédit d’impôt pour stage permet aux entreprises de récupérer jusqu’à 40 % des dépenses liées à l’accueil d’un.e stagiaire (jusqu’à 5 000 $ par stage/Revenus Québec).
Innover grâce à la relève
Les partenariats écoles-entreprises ouvrent la porte à l’innovation. Les stagiaires et jeunes diplômé.e.s apportent souvent un regard différent, une aisance avec les outils numériques, et une capacité à questionner les habitudes établies.
Leur proximité avec les nouvelles tendances et leur formation actualisée permettent de nourrir les pratiques internes. Certaines idées, initialement modestes, trouvent même leur place dans des projets majeurs.
Chez Ubisoft, un stagiaire a ainsi proposé un prototype de tir en conduite destiné au jeu Far Cry 4. « Il a tellement bien fonctionné qu’on l’a intégré au jeu. Et on a embauché ce stagiaire juste après ! », raconte Matthew Wiazowski.
À l’Université Concordia, les stages sont aussi pensés comme des vecteurs de recherche appliquée. Le projet Voltage, par exemple, mobilise des étudiant.e.s dans le cadre d’une vaste initiative sur la transition énergétique, implantée à Shawinigan. Ce campus satellite a été co-construit avec plusieurs partenaires (incluant Hydro-Québec, Simons, la Ville de Shawinigan, le cégep local) et est soutenu par près de 100 M$ de fonds publics et privés.
Valoriser sa marque employeur
Les partenariats avec les milieux scolaires contribuent aussi à renforcer l’image de l’entreprise auprès des jeunes talents.
Offrir un environnement d’accueil, de formation et de développement envoie un signal positif aux futur.e.s candidat.e.s. À ce titre, l’expérience vécue par les stagiaires compte autant que le contenu du stage, ajoute sa collègue Alison Laplante-Rayworth, gestionnaire en acquisition de talents.
« Ce que nos stagiaires retiennent le plus ? La confiance qu’on leur accorde. »
- Matthew Wiazowski
« Ils peuvent s’approprier de vrais projets, réseauter avec des professionnel.le.s, et se sentir partie intégrante de l’équipe », confirme Alison Laplante-Rayworth.
Cette culture de reconnaissance et d’inclusion favorise la fidélisation à long terme. « On a des ancien.ne.s stagiaires qui sont parti.e.s pour d’autres entreprises, mais qui finissent par revenir chez nous », note Antoine Leduc-Labelle.
Soutenir l’écosystème local, même quand on n’embauche pas
Toutes les collaborations n’aboutissent pas à une embauche immédiate. Mais elles nourrissent un écosystème plus vaste, où les savoirs circulent et les talents se forment au contact du terrain.
« Former de jeunes employé.es, c’est un investissement. Même s’ils et elles partent, on continue de participer à la vitalité du secteur. »
- Alison Laplante-Rayworth
« Ces concours, ces stages, ces événements ne sont pas des opérations ponctuelles. On bâtit des liens à long terme. Et ces liens, ce sont eux qui façonnent l’avenir de notre entreprise », renchérit Matthew Wiazowski.
Une dynamique durable à construire
Les partenariats entre écoles et entreprises offrent des retombées concrètes : repérage des talents, gain de temps à l’embauche, image positive, innovation, etc. « Il faut établir des relations durables, pas juste recruter : il faut inspirer », souligne l’équipe d’ORA Partenaires.
Chaque entreprise, quelle que soit sa taille, peut y trouver un point d’entrée. « Former de jeunes recrues est aussi une façon de bâtir la relève et de s’adapter à un monde du travail en pleine transformation », conclut Graham Carr.
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