Communications par courriel : clarté, rapidité, impact

Auteur.e
Victoire Bejjani, rédactrice
chez Pratiques RH

La boîte de réception n’a jamais dormi. C’est là que les échanges se font vite, que la coordination s’organise et que les traces s’accumulent. Pourtant, le courriel demeure le terrain privilégié des malentendus : formules floues, « Répondre à tous » à tout bout de champ, objets vagues, ton mal ajusté, etc.
Trois phrases mal tournées suffisent parfois à faire dérailler une collaboration bien lancée !
Ce guide se veut clair et pratique pour mieux communiquer, sans alourdir les journées du personnel. Privilégier l’efficacité avant l’élégance, une devise que répète souvent Julie Therrien, spécialiste en communication.
Pourquoi le courriel reste central au travail
Présent partout, tout le temps. Au Québec, 94,1 % de la population envoie ou reçoit des courriels régulièrement selon le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie.
Cet outil multifonction sert à transmettre des infos, documenter des décisions, à répartir des responsabilités et à garder une trace. Il n’est pas l’ennemi : c’est un outil. Simplement, ce n’est pas toujours le bon !
Quel est le canal approprié ?
- Trace écrite → courriel
- Urgent/simple → messagerie ou appel
- Sensible/complexe → rencontre
« C’est une façon rapide de communiquer, et de garder des traces de ce qu’on se dit. Le chat est plus éphémère et difficile à retrouver. Avec le télétravail et des collègues partout dans le monde, le courriel reste super efficace », confirme Julie Therrien
Mais le coût en temps est réel : en moyenne, un.e salarié.e passe plus de 1 048 heures par an en moyenne à lire et répondre aux courriels.
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Les essentiels d’un courriel efficace
- L’objet doit être pensé comme une promesse d’action : dire clairement quoi, pour quand et pour qui. Il vaut mieux donc éviter les intitulés vagues comme « Question » ou « Suivi » ; privilégier par exemple « À valider avant vendredi - Nouvelle affiche de la campagne » ou « Info - Changement d’horaire de la réunion d’équipe ».
- Un courriel = un objectif. Si plusieurs sujets sont à traiter, mieux vaut plusieurs messages courts ou une note partagée suivie d’un bref récapitulatif.
- Un message doit pouvoir être balayé en 5 à 10 secondes : paragraphes aérés, phrases courtes, gras utilisé avec mesure.
- Enfin, la conclusion doit rendre l’attente explicite, par exemple :
« À faire : approuver la version finale ; Qui : Karine ; Quand : jeudi 15 h. »
Trouver le ton juste
Un ton professionnel et humain est de mise. « Il faut privilégier l’efficacité », résume Julie Therrien.
Cela ne signifie pas être sec, mais éviter les envolées pompeuses qui alourdissent le message. En pratique : un simple « Bonjour » ou « Merci » suffisent.
Les formules trop formelles comme « Veuillez recevoir mes salutations distinguées » appartiennent à certains milieux traditionnels, mais elles ajoutent une surcharge inutile.
Le filtre décisif : « Se poser la question : quel est l’objectif du message ? Qu’est-ce que les destinataires doivent savoir ou faire après l’avoir lu ? Tout ce qui n’y contribue pas doit être supprimé. »
Soigner la forme… Sans exclure
Adapter la forme d’un courriel dépend du lectorat : un échange rapide entre collègues ne demande pas la même structure qu’un message destiné à un large public.
Dans tous les cas, la qualité de la langue demeure essentielle : un français clair est une marque de respect et de crédibilité.
Les fautes ou traductions approximatives fragilisent immédiatement le message. Comme le rappelle Julie Therrien, « ces erreurs ne passent pas ». Un minimum de rigueur, dans l’orthographe, la ponctuation ou la mise en page contribue à la clarté et à la politesse. Des règles partagées au sein d’une équipe peuvent d’ailleurs réduire les malentendus.
Mais attention : exiger un français « parfait » peut devenir excluant. Au Québec, selon Statistique Canada, seulement 56 % des personnes de 15 ans et plus ne parlent qu’en français avec leurs proches, tandis que 30 % naviguent entre le français, l’anglais et parfois d’autres langues.
L’inclusion linguistique consiste donc à valoriser l’effort de communication et la compréhension mutuelle, plutôt qu’à sanctionner les imperfections.
Les pièges qui ruinent la communication numérique
Certains réflexes nuisent à l’efficacité d’un courriel plus qu’ils ne l’aident.
Le fameux « Répondre à tous » en est un exemple ! Il entraîne surcharge et bruit inutile. Mieux vaut cibler les destinataires essentiels plutôt que d’inonder des boîtes de réception entières.
La multiplication des CC et BCC produit le même effet : confusion des rôles. Clarifier qui décide, qui exécute et qui doit simplement être informé rend le message plus utile.
Attention aux formats décourageants !
Un bloc de vingt lignes d’un seul tenant décourage la lecture. L’œil cherche des repères : listes, paragraphes courts, hiérarchisation. « Lire la phrase à voix haute : si la respiration lâche au milieu, elle est trop longue », rappelle Julie Therrien.
« Ce qu’on veut, c’est aller directement au but, avec le moins de mots possible, de façon claire. »
- Julie Therrien
Certaines formules entretiennent l’ambiguïté, voire un ton passif-agressif : « Comme mentionné plus tôt… », « Il serait peut-être bon de… ». Mieux vaut un message simple et assumé, du type : « Pour avancer, j’ai besoin de X d’ici vendredi, merci. »
Écrire à chaud : un risque de conflit
Évidemment, l’émotion peut brouiller la communication. Rédiger à chaud, surtout tard le soir, conduit souvent à des messages regrettés. Un courriel non envoyé ne se regrette presque jamais… l’inverse, si. Laisser reposer les sujets sensibles permet d’écrire plus juste.
Les mots peuvent autant blesser que soutenir. Mal formulés ou répétés, certains courriels risquent même d’alimenter un climat de harcèlement psychologique.
Trop de messages tue le message
Enfin, attention à l’inflation des messages. Envoyer un courriel pour chaque détail éparpille l’attention. Regrouper les informations, garder l’essentiel et choisir le bon canal évitent de saturer les destinataires.
Statistiques clés à retenir
- En moyenne : 117 courriels et 153 messages Teams reçus chaque jour, avec un pic de réunions le mardi (23 %).
- 60 % des personnes admettent ignorer certains courriels.
- 86 % des échecs en entreprise sont liés à une communication inefficace.
Courriel et IA : de nouvelles considérations
« L’intelligence artificielle peut assister, mais l’écriture humaine reste indispensable : elle seule apporte recul, clarté et émotions », affirme Julie Therrien.
Comment bien dialoguer avec l’IA
- Écrire d’abord 3 à 5 idées clés.
- Demander à l’IA une version claire et courte.
- Ajuster le ton et les nuances.
- Relire à voix haute : est-ce que « ça sonne comme un humain » ?
- Garder la responsabilité : l’IA aide, mais la signature reste humaine.
Marque employeur : des courriels adaptés à la voix de l’organisation
La marque employeur ne vit pas seulement sur LinkedIn : elle transpire dans chaque courriel.
« Les employeurs investissent beaucoup dans l’image externe, mais parfois, à l’interne, les babines ne suivent pas les bottines », remarque Julie Therrien. Si un discours se veut inclusif à l’externe, il doit se refléter à l’interne.
Pour ce faire, il vaut mieux mettre l’accent sur l’autre : écrire « Vous bénéficiez de… » plutôt que « Nous sommes la meilleure… ».
PME vs grande entreprise
Selon Julie Therrien, « dans une PME, il est possible d’avoir des discussions d’équipe plus globales. Dans une grande organisation, comme un ministère, l’uniformité totale est irréaliste. Il faut donc un guide interne général et, en parallèle, des règles d’équipe adaptées au quotidien. »
Un guide-cadre pour mieux communiquer
- Créer un guide-cadre pour les communications par courriel (ton, inclusivité, signatures, objets types, usage CC/CCI).
- Laisser chaque équipe adapter ses pratiques : fréquences, modèles, heures d’envoi préférées, lexique métier.
Efficacité : mesure et formation
« Le meilleur indicateur, c’est de sonder les équipes, rappelle Julie Therrien. Avant de changer le ton d’une infolettre interne, il faut poser des questions simples : qu’est-ce qui vous intéresse ? À quelle fréquence ? À quelle heure ? Un courriel reçu le vendredi à 17 h peut créer de la frustration. Lorsqu’elles sont consultées, les équipes se sentent respectées. Et c’est essentiel, car les interruptions fréquentes diminuent la productivité. »
Mesurer sans alourdir
- Sondage éclair (3 questions, 1 fois/trimestre) : utilité, fréquence souhaitée, plage horaire préférée.
- Indicateurs de friction : nombre moyen de destinataires, longueur moyenne, délai de réponse, « Répondre à tous »/mois.
- Qualitatif : un commentaire libre « Ce qui m’aide / Ce qui m’encombre ».
Particularités culturelles et générationnelles
D’après Julie Therrien, « le multiculturalisme compte. D’une culture à l’autre, les codes de politesse et de clarté diffèrent ; discutons-en pour éviter les malentendus. Les générations jouent aussi : les pratiques évoluent vite. »
Style par pays (tendances générales, à adapter)
- Amérique du Nord : direct, orienté action, salutations brèves.
- France / Europe francophone : registre souvent plus formel, plus développé.
- International : explicitez les attentes, évitez l’argot, privilégiez des verbes d’action universels.
Concision, persuasion, humanité
« Je donne souvent une fiche synthèse avec des trucs rapides : vérifier les adverbes et adjectifs, supprimer les mots superflus, éviter les phrases trop longues », explique Julie Therrien.
Cette fiche rappelle l’essentiel : formuler l’objectif en une phrase, limiter le courriel à une idée, privilégier la voix active, soigner l’objet ([Action]/[Décision]/[Info]), conclure par un bloc simple « À faire / Qui / Quand », relire à voix haute et élaguer 20 % du texte avant d’envoyer.
Julie Therrien propose aussi la méthode ADM :
- A – Concision : aller droit au but.
- D – Persuasion éthique : comprendre les émotions et besoins des destinataires pour y répondre avec empathie.
- M – Humanité : écrire pour l’autre, pas pour flatter un « nous ».
Elle conclut : « Il est possible d’être professionnel avec des mots accessibles : le langage doit rester à la fois conversationnel et respectueux du contexte de travail. »