Le langage corporel : l'autre voix du leadership

04-08-2025
Thématiques : Compétences en gestion et leadership  -  Bonnes Pratiques
Le corps parle. Parfois plus fort que les mots autour de la table.
Rédigé par :
Victoire Bejjani, Pratiques RH
Le langage corporel : l'autre voix du leadership

La communication en gestion occupe souvent le devant de la scène. Mais qu’en est-il de celle qui se joue en silence ? Un regard qui fuit, une posture rigide, un sourire crispé : la communication non verbale parle fort, même en l’absence de mots. 

Et elle a du poids : selon une étude de l’Université Laval, près de 55 % de l’impact d’un message en milieu professionnel serait lié au langage corporel, contre seulement 7% pour les mots eux-mêmes.  

Pas question ici de préparer une prise de parole en public, de « bien paraître » devant PowerPoint ou de perfectionner une posture de conférencier TEDx. Il est plutôt question du quotidien : ce corps qui s’exprime à travers un hochement de tête en réunion, une posture fermée dans un corridor ou un bras croisé en entrevue RH. Des gestes pas si anodins que ça... 

Sous tension, le corps parle… Parfois plus fort que les mots 

« En situation de tension, le corps humain, gestionnaire ou non, réagit par instinct de survie. » C’est ce que rappelle Linda Valade, experte en langage corporel. Derrière chaque mouvement, une logique de protection ou de réaction s’active.  

Le système nerveux autonome bascule alors en mode « combat ou fuite » et certains signaux deviennent particulièrement révélateurs. 

Les signaux révélateurs 

Parmi les tout premiers indices visibles, l’hypertonicité : les muscles se contractent, notamment au niveau du cou, du visage, des poignets. Les mains se crispent, les poings se ferment, les chevilles se redressent légèrement. Autant de micro-indicateurs que l’œil attentif saura repérer. 

Et ce n’est pas tout : le battement des paupières devient un véritable baromètre émotionnel. « Il peut dépasser une fois par seconde, surtout en cas de stress cognitif ou après un mensonge », précise-t-elle.  

Dans le milieu judiciaire, ce réflexe est bien connu et exploité : le clignement des yeux permet d’évaluer la charge mentale. Une étude de Leal & Vrij (2010) montre même que les menteur.euse.s clignent des yeux deux fois plus souvent après une fausse déclaration.  

Autre indice souvent négligé : la déglutition. 
En période de stress, la production de salive diminue, rendant l’acte de déglutir plus difficile. Ce petit mouvement de la gorge, parfois maladroit, dénonce alors une gêne difficile à masquer, surtout lorsque tous les regards sont braqués sur soi. 

Thierry Greaux, Président de la Chambre Économique Multiprofessionnelle à Saint-Barthélémy, renforce ce constat : « le compromis, en affaires, émerge souvent du non-verbal. » Dans les sphères économiques et politiques, dit-il, l’observation attentive est essentielle. 

« Écouter, c’est d’abord observer avec ses sens. »

-Thierry Greaux 

Des postures qui en disent long sur l’humeur et la personnalité 

Côté posture, Linda Valade identifie deux tendances dominantes chez les gestionnaires sous pression : 

  • La posture haute, typique de l’affirmation de soi : « on prend plus d’espace, les mains s’écartent, les jambes s’ouvrent, le corps se redresse, la colonne s’étire » autant de signaux perçus comme de l’autorité ou de la surcompensation.
  • À l’inverse, la posture de méfiance trahit une fermeture corporelle : gestes rigides, bras croisés, épaules rentrées, regard fuyant.  

Linda Valade mentionne une troisième posture, plus rare chez les gestionnaires aguerris, mais fréquente chez les moins expérimentés : l’hyperconciliation 

« Le corps se rétracte, se fait petit », dit-elle. Ce repli est souvent associé à une asymétrie de pouvoir, que l’on observe chez les jeunes gestionnaires ou les personnes qui doutent de leur légitimité.  

D’où l’importance, pour les gestionnaires, de prendre conscience de ce que leur corps communique, même et surtout lorsqu’ils.elles gardent le silence. 

Ce qu’un leader transmet sans un mot… Et que tout le monde capte ! 

Dans un monde saturé de messages, de directives et de bulletins d’information internes, le vrai leadership, lui, se lit aussi dans l’attitude 

« Un.e gestionnaire influent.e n’est pas seulement ce qu’il.elle dit, mais comment il.elle le dit, et surtout, ce qu’il.elle montre sans le dire. »

-Linda Valade  

Linda Valade précise que la communication efficace repose sur l’alignement des trois canaux : 

  1. Les mots, choisis avec soin, porteurs de sens, parfois stratégiques.
  2. L’intonation, qui en dit long sur l’intention : rythme, modulation, silences inclus.
  3. Et surtout, le langage corporel, « le plus influent et le moins contrôlable ». 

C’est ce triptyque, ou son absence, qui fait toute la puissance (ou la fragilité) d’un message. 

« Si les mots disent une chose, mais que la posture, la voix ou le regard racontent autre chose, la confiance se fissure. »

-Linda Valade  

Cette intuition, Thierry Greaux,, « le langage corporel peut mobiliser les énergies, donner le ton, mais aussi créer de l’ambiguïté s’il est incohérent.  Ce langage est à part entière. Il faut en être conscient pour mener ses missions avec professionnalisme. » 

Linda Valade va plus loin : « Le corps est rebelle au cognitif. Il traduit notre état intérieur. Si je suis en tension, mais que je fais semblant d’être calme, mes gestes vont me trahir. »  

C’est pour cette raison que ses accompagnements en coaching ne visent pas à « corriger » les gestes de surface, mais à restaurer la cohérence intérieure.  

Linda Valade illustre ce principe avec une comparaison frappante : Nelson Mandela et Adolf Hitler. Deux figures opposées, unies par une seule chose : une cohérence absolue entre leur posture, leur ton et leur message. 
« C’est fort : on suit les gens qui sont cohérents, même si leur message est inquiétant. » 

« Le langage corporel ne te trahit pas, il te traduit. »

-Linda Valade 

Un geste suffit : la contagion émotionnelle commence là 

Le langage corporel est un vecteur d’influence puissant, à la fois individuel et collectif. Comme l’explique Linda Valade, avant même d’impacter les autres, notre posture agit d’abord sur nous-mêmes. 

La spécialiste s’appuie notamment sur les recherches d’Amy Cuddy, chercheuse à Harvard, dont le TED Talk sur les postures de pouvoir est l’un des plus visionnés au monde. Elle y démontre que prendre une posture de puissance durant seulement deux minutes peut avoir un effet physiologique mesurable :

  • +25 % de testostérone, l’hormone de la confiance
  • –15 % de cortisol, l’hormone du stress

Autrement dit, si un gestionnaire s’apprête à annoncer une mauvaise nouvelle ou à intervenir dans un contexte tendu, il doit d’abord aligner son énergie intérieure. 

« Je dois croire en mon message », insiste Linda Valade. 
C’est cette authenticité émotionnelle qui entraîne l’adhésion. 

Trop contrôler son langage corporel, c’est le meilleur moyen de le trahir 

Chercher à maîtriser chaque mouvement du corps produit souvent l’effet inverse. « Et cela devient contre-productif », prévient Linda Valade.  

En effet, une personne qui tente de tout contrôler n’est plus fluide, « ses gestes sont calculés, décalés, et cela crée de l’inconfort », explique-t-elle.  

Ce phénomène est bien connu en communication non verbale : trop de maîtrise tue la spontanéité, et les interlocuteur.ice.s perçoivent une forme de déconnexion, même sans pouvoir l’exprimer clairement. 

« Si on essaie de mimer une posture d’autorité parce qu’on a lu que les chefs tiennent les pieds bien ancrés au sol, on sera à moitié dans sa tête et à moitié dans la relation. Et ça se sent », illustre Linda Valade. 

« Le langage corporel doit rester spontané. Plutôt que de le contrôler, il faut travailler sur l’alignement intérieur. Une fois aligné, le corps devient un allié, il suit naturellement. »

- Linda Valade  

Diversité culturelle : quand les signaux corporels se heurtent 

« Le langage culturel et le langage corporel sont deux choses différentes. Le premier est appris, le second est instinctif. » 

Dans un environnement multiculturel, un regard évité, un soupir ou un léger recul physique peuvent être perçus comme du rejet, même involontairement. 
Ce phénomène porte un nom : l’intimidation silencieuse. « Il n’y a pas de mots, pas de gestes évidents, mais la personne se sent rejetée. Et souvent, elle n’est pas crue, faute de preuves. » 

Le corps, baromètre de la relation au travail 

Du premier contact à un éventuel départ, le langage corporel raconte l’évolution de la relation. Pour Linda Valade, savoir l’observer permet de créer un climat de sécurité, de nourrir la motivation et de repérer les signes d’un désengagement. 

Gagner la confiance : tout commence par la synchronisation 

Pas besoin de grands discours pour créer un climat de confiance. Selon Linda Valade, tout part d’un réflexe simple, mais puissant : la synchronisation. 

« Il faut observer l’état émotionnel de l’autre et s’ajuster. Par exemple, si quelqu’un parle doucement, inutile de répondre fort. Si la personne est physiquement distante, mieux vaut ne pas l’envahir. »  

« Le corps est logique. Il se rapproche si la confiance s’installe. Il s’éloigne si ce n’est pas le cas. »

-Linda Valade   

Un.e gestionnaire attentif.ve à ces signaux non verbaux pose déjà les bases d’une relation solide. C’est ce que M. Greaux appelle « l’écoute active et intuitive ». 

Nourrir la motivation : attention aux micro-ruptures 

Une fois la confiance établie, encore faut-il la maintenir. Le langage corporel du.de la gestionnaire joue ici un rôle clé dans le climat d’ouverture ou de repli. 

« Si je suis perçue comme fermée ou dominante, la personne va éviter de s’exprimer. Elle dira oui, tout en pensant non... Et finira par partir, sans qu’on comprenne pourquoi. » 

Les signaux d’un malaise grandissant peuvent être subtils : 

Le piège ? Se contenter d’un « ça va ». « Un.e bon.ne gestionnaire ouvre un espace de dialogue », assure Linda Valade.  

C’est cette vigilance émotionnelle qui fait la différence entre mobilisation durable et usure silencieuse. « Les signaux non verbaux précèdent souvent les conflits. Un regard évité, un geste inconscient, un silence prolongé : ce sont des indicateurs précieux que trop peu de dirigeant.e.s prennent au sérieux, » confirme Thierry Greaux. 

Anticiper le départ : quand le corps dit adieu 

Le corps ne claque pas la porte, mais il la regarde longtemps avant de partir ! « La première chose que fait le cerveau quand on s’apprête à partir, c’est de couper le lien. On adopte une posture de méfiance. »  

Linda Valade identifie plusieurs signaux à surveiller : 

  • Baisse du contact visuel
  • Bras croisés
  • Réponses brèves
  • Regard fuyant
  • Silence prolongé 

En surface, tout semble normal. Mais le corps, lui, prend ses distances. « La méfiance cachée est un vrai indicateur de départ imminent. » 

Linda Valade cite un exemple marquant : « une entreprise pharmaceutique à Montréal m’a demandé de former ses 500 employé.e.s sur le thème de l’intimidation silencieuse 

Leur objectif ? Prévenir les effets invisibles, mais bien réels, du rejet et du mépris sur la santé mentale. Leur engagement était clair : zéro tolérance envers tout comportement excluant, même silencieux. » 

Et en visio, que reste-t-il du non verbal ? 

« Éviter les fonds virtuels, cadrer large, utiliser une bonne caméra et une bonne lumière. » Mais surtout : « Caméra allumée obligatoire. » 

Pour Linda Valade, refuser d’activer sa caméra, « c’est comme écouter derrière une porte fermée. Ce n’est ni professionnel ni respectueux. En 2025, on ne peut plus justifier ça. » 

Et à ceux qui pensent que leur corps ne parle pas ? 

« Votre corps parle tout le temps, même quand vous croyez vous taire », soutient fermement Linda Valade. 

Aujourd’hui, même l’intelligence artificielle (IA) est capable de lire les émotions en temps réel. Des entreprises comme Affectiva analysent les micro-expressions pour affiner les ventes ou la relation client. 

« Alors si l’IA peut le faire, vous aussi vous devez apprendre à décoder et surtout, à comprendre ce que vous-même vous dégagez. » 

« Pour diriger, progresser et atteindre l’intelligence émotionnelle, il faut écouter avec les yeux », conclut Thierry Greaux.