Repreneuriat : 6 stratégies pour une gestion du personnel efficiente

28-03-2025
Une course à relais s’amorce dans les régions du Québec en prévision du transfert de 50 000 entreprises d’ici les 5 prochaines années. Plusieurs actions concrètes permettent de garder le cap pour la gestion des troupes lors d’un processus de relève.
Rédigé par :
Annie Bourque, Pratiques RH
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Le phénomène du repreneuriat est en hausse.  « C’est le chantier économique le plus important actuellement », s’exclame Alexandre Ollive, PDG du Centre de transfert d'entreprise du Québec (CTEQ).

M. Ollive souhaite préserver le tissu économique québécois composé de 98 % de petites et moyennes entreprises. « Une fermeture d’une entreprise de 20 à 100 employé.e.s peut prendre entre 15 et 20 ans avant qu’elle soit remplacée », illustre-t-il. 

En 2024, 9 500 entrepreneur.e.s ont trouvé une relève, selon la récente Étude nationale du repreneuriat et des transferts d’entreprises au Québec. « Les plus fortes augmentations de transferts d’entreprise surviennent chez les PME (de différents secteurs d’activité) qui ont entre 20 et 500 employé.e.s. C’est vraiment une vague que nous sommes en train de vivre », précise M. Ollive.

Tandis que l’entreprise passe d’une main à une autre, comment assurer la continuité des opérations pour le personnel ? Quelles stratégies adopter pour retenir les talents durant ce moment marqué par une plus forte instabilité ?

La relève en affaires au Québec : assurer une continuité

Derrière ces statistiques, des hommes et des femmes procèdent au rachat d’une entreprise existante, source de création d’emplois et de prospérité économique.

Aujourd’hui, cette relève est rarement représentée par un profil type. « On voit de plus en plus un mélange constitué d’employé.e.s clés et de gens liés à la relève familiale », constate la psychologue organisationnelle Josée Blondin qui préfère utiliser l'expression « culture de continuité » à celle de transfert d’entreprise.  

« Une culture de continuité signifie d’impliquer les équipes, de documenter les façons de faire. Puis, le.la dirigeant.e qui cède son entreprise devient aussi un.e mentor.e. »

- Josée Blondin

Voici 6 pistes pour mettre en place cette culture de continuité.

1. La nécessaire préparation d’un plan stratégique

Avant la pandémie, un noyau de quatre gestionnaires démontre son intérêt à acquérir l’entreprise Law-Marot-Milpro, un fabricant d'équipements pour les entreprises agro-industrielles.

La transition s’est conclue en douceur en 2021 sans réaction négative de la part des 96 employé.e.s.

Il faut préciser que le quatuor avait soigneusement préparé son plan stratégique. Une étape essentielle dans le transfert d’une entreprise. « Cela a rassuré tout le monde : des anciens proprios aux banques », confie Jérôme Côté, directeur général de Law-Marot-Milpro qui a remporté un prix Mercure, l’an dernier au Gala des Mercuriades.  

Le conseil d’Alexandre Ollive du CTEQ : anticiper la passation du flambeau  

« Puisque la relève doit jongler avec la réalisation d’un plan stratégique, la gestion du personnel, le développement de marché et la concrétisation de ventes. Un transfert d’entreprise s’échelonne généralement sur une période de 5 à 10 ans. »  

2. Être à l’écoute des craintes du personnel  

En premier lieu, les repreneurs doivent faire preuve d’humilité et d’écoute. « Si tu es une gazelle qui court partout, cela va générer de l’insécurité et les gens vont craindre de perdre leur emploi », illustre Josée Blondin, présidente du Groupe Taktik 360, une firme qui soutient les directions dans la gestion des ressources humaines opérationnelle et stratégique pendant les transferts d’entreprise.  

Dès les premières semaines, l’experte préconise de prendre le pouls du personnel par l’intermédiaire d’un sondage organisationnel.  

Le conseil de Josée Blondin : réaliser un diagnostic RH  

L’élaboration d’un diagnostic RH permet de faire un état des lieux des pratiques RH d’une entreprise, de vérifier les compétences du personnel, d’analyser les contrats de travail, les obligations et d’identifier les points d’amélioration. 

Cela constitue un socle non négligeable pour connaitre et prendre la main sur la gestion de la main-d'oeuvre, relève l’experte.

3. L’accompagnement : la clé de la réussite  

En 2017, Julie Mayer, alors directrice des ventes d’une manufacture de 20 employé.e.s spécialisée dans la fabrication d’éléments chauffants électriques, décide de prendre les rênes de l’entreprise montréalaise dirigée par son père.  

Ce dernier lui offre alors son soutien à titre de mentor et commence une pré-retraite pendant que sa fille occupe le poste de directrice générale.  

Sans aucune expérience de la gestion de personnel, Mme Mayer fait aussi appel à un coach de FlexiRH. Cette firme est dédiée aux PME qui n’ont pas de département de ressources humaines.

« Nous avions un gros défi soit la modernisation de l’usine incluant la numérisation, le développement d’affaires et le départ à la retraite d’une majorité de notre personnel. Il nous fallait adopter une bonne stratégie », explique-t-elle.  

Finalement, cette décision a permis à l’équipe de direction de mieux conjuguer les efforts et les actions dans la même direction, et surtout, d’éviter l’improvisation.

Le conseil de Josée Blondin : s’entourer d’une solide équipe de gestionnaires

« Mon père me disait toujours : quand tu es chef.fe d’entreprise, il faut que tu t'entoures de gens plus forts que toi. L’égo n’a pas sa place en affaires », ajoute la conférencière, formatrice et autrice.

Des outils utiles pour les repreneur.e.s

  • CTEQ : Présent dans 17 régions du Québec, le centre accompagne les acheteurs et vendeurs d’entreprises et ceux qui n’ont pas de relève.  
  • EntrechefsPME : La communauté échange sur les bonnes pratiques en repreneuriat.  
  • Inno-centre : Le centre propose différentes formations à la relève en affaires.  
  • Réseau M : L’apport d’un.e mentor.e s’avère un atout de taille surtout face à des enjeux comme la gestion des ressources humaines lors d’un transfert d’entreprise.

4. Dialogue, confiance et transparence

La communication et la transparence sont au cœur de la réussite de ceux et celles qui reprennent le flambeau. En l’absence de ces éléments, de fausses rumeurs se propagent à vitesse grand V. « Il faut créer un dialogue avec le personnel et l’informer de nos motivations et objectifs », préconise Alexandre Ollive du CTEQ.

La transparence est une valeur essentielle pour la repreneure Julie Mayer qui rencontre sa vingtaine d’employé.e.s toutes les deux semaines. Durant la rencontre, plusieurs proposent d’améliorer la chaîne de montage. « Je donne aussi des chiffres, concernant la croissance ou bien l’ajout de contrats ou projets. »  

5. L’instauration d’un leadership collaboratif  

Aujourd’hui, la collaboration entre les équipes et la direction est fortement encouragée. « Les nouvelles générations nous poussent à travailler dans un mode collaboratif. C’est ainsi qu’on devient plus efficace », fait valoir Alexandre Ollive.

Dans son organisation, Julie Mayer met en place un leadership collaboratif. « Nous avons formé des comités et des équipes. Plus personne ne travaille en silo. Nous sommes dans l’amélioration continue et c’est vraiment le fun ! », s’exclame-t-elle.  

La repreneure désire avant tout susciter un sentiment d’adhésion chez son personnel, malgré les changements qu’engendre le transfert.  

« Mon père m’a déjà dit : tes employé.e.s sont ta principale richesse et tes premiers clients. Il faut qu’ils et elles y croient. Cela crée le sentiment d’appartenance. »

Le conseil d’Alexandre Ollive : le respect de la culture d’entreprise en place

Avant de procéder à des changements, M. Ollive recommande de valoriser l’histoire de l’entreprise.  

« On doit respecter ce qui a été bâti. Il ne faut surtout pas tout effacer et repartir à zéro, à moins que l’entreprise soit aux prises avec un climat extrêmement nocif, mais cela est plutôt rare. »

- Alexandre Ollive

Identifier les employés clés pour une collaboration efficiente

La meilleure façon de réussir la passation du flambeau est de connaitre les acteurs clés en entreprise. Il s’agit souvent de gens fidèles, dévoués à leurs fonctions et équipes, donc susceptibles d’être favorables au changement.

Chez Law-Marot-Milpro, le directeur général Jérôme Côté connait bien les personnalités qui jouent un rôle de leader au sein de la PME située à Saint-Hyacinthe. « Il s’agit d’employé.e.s respecté.e.s en raison de leur expertise et de leur ancienneté dans l’organisation », précise-t-il.

M. Côté estime important d’être à leur écoute. Souvent, ces gens exercent une influence sur le plancher. À tel point qu’une parole ou action peut faire échouer un projet ou le hisser au rang de réussite.

6. S’investir au sein de l’entreprise pour contrer la peur du changement

De l’avis des repreneur.e.s interrogé.e.s, il est nécessaire de faire preuve d’engagement au quotidien. « Il n’y a rien qui se fait par magie, affirme Jérôme Côté de Law-Marot-Milpro. Il faut s’impliquer. Si quelqu’un a besoin d’un coup de main pour livrer un contrat, je vais mettre mon casque à souder et venir l’aider. La confiance se gagne par le respect des promesses tenues. »  

Le conseil de Jérôme Côté : bien cerner les enjeux

Lors d’un repreneuriat, les dirigeant.e.s doivent comprendre les défis de l’organisation. « Je ne peux pas demander à un soudeur d’améliorer son efficacité opérationnelle si je ne comprends pas ses enjeux et son environnement. »

La réussite du repreneuriat passe, selon lui, par la transmission des valeurs dont la qualité du travail bien fait, l’intégrité et l’écoute.  

Comment surmonter la résistance au changement ?  

Depuis 10 ans, Alexandre Ollive accompagne des dirigeant.e.s en processus de transfert.  

« Une des erreurs les plus communes, c’est de sous-estimer la résistance au changement. »

- Alexandre Ollive

La relève souhaite investir, améliorer les profits, acheter de la machinerie, innover. « Par magie, les leaders pensent que les gens vont suivre », image M. Ollive.  

La propriétaire de l’usine Volton, Julie Mayer, estime que cela prend du temps. Il faut de la patience et de l’indulgence envers les employé.e.s dont certain.e.s avaient encore tendance à aller voir son père au début du changement de garde, en 2017.  

La création d’équipes performantes  

« C’est dans la complémentarité des rôles qu’on va créer des équipes performantes, fait valoir Alexandre Ollive. Donc, si vous engagez des gens qui ont tous le même parcours, le même style de leadership, vous allez rencontrer des failles. Cependant si vous embauchez des personnes avec des profils différents, vous aurez de meilleures équipes et surtout, de meilleures performances. »

De son côté, Julie Mayer est enthousiaste face à l’avenir. « Je bâtis tranquillement mon équipe de rêve et je sens que la main-d'oeuvre me suit dans ma vision. Je souhaite qu’un jour certain.e.s deviennent actionnaires de l’entreprise à un moment où je voudrai ralentir la cadence. »

Il s’agit d’une tendance en hausse, estime Josée Blondin. « Parmi mes clients, une jeune femme de 38 ans a ouvert la porte à l’actionnariat à des employé.e.s clés pour la seconder dans la continuité de l’entreprise. » 

Entretemps, la future relève et la dirigeante prennent le temps de s’aligner sur la vision, les valeurs et la définition des rôles.

« Et la beauté de tout cela ? Et bien, les affaires continuent ! », conclut Josée Blondin.