Soutenir les proches aidants, une stratégie gagnante pour les employeurs
Dans les organisations, petites ou grandes, plusieurs salarié.e.s et gestionnaires consacrent du temps à un.e proche en perte d’autonomie.
Chaque histoire est différente, mais une chose est certaine, la proche aidance est une réalité à prendre en considération puisqu’il s’agit d’une charge de travail, bien souvent invisible, qui s’ajoute sur les épaules de nombreuses personnes en situation d’emploi.
Leader de la carrière chez Desjardins, Claudia Rouleau s’est déjà occupée par le passé de sa maman, alitée à la maison. Elle a eu l’approbation de son employeur de travailler 4 jours par semaine. De son expérience, elle en a tiré des compétences certes, mais aussi 12 clefs répertoriées dans son livre Grandir comme proche aidant.
De son côté, en 2007, Sophie Renaud quitte à contrecœur une grande organisation afin de prendre soin de Béatrice, son enfant autiste et lourdement handicapée. Presque 20 ans plus tard, son expérience serait bien différente.
Aujourd’hui, des solutions existent pour mieux retenir les membres du personnel qui conjuguent travail et don de soi.
Prise de conscience du phénomène
Le phénomène de la proche aidance est de plus en connu chez les employeurs.
« Les dirigeant.e.s ne peuvent plus dire « ça ne me concerne pas ou je n’en connais pas dans mon entreprise », car nous aurons tous et toutes, un jour ou l’autre, à accompagner un proche », commente Claudia Rouleau.
Être proche-aidant.e est encore un sujet tabou, croit pour sa part Sophie Renaud. « Doit-on le dire en entrevue et comment l’inscrire dans son CV ? Il y a encore beaucoup de sensibilisation à faire auprès des employeurs », ajoute celle qui est chargée de projets pour l’organisme Cible-Emploi.
La crainte de subir des préjugés en milieu de travail
L’enquête statistique sur la proche aidance au Québec réalisée en 2022 par L’Appui fait ressortir que 46 % des proches-aidant.e.s travaillent à temps plein.
D’après Claudia Rouleau, il s’agit souvent de personnes discrètes. En effet, plusieurs évitent de s’identifier comme personne proche aidante (PPA) en raison des préjugés.
Face à l’absence d’une salariée, quelqu’un pourrait laisser entendre: « On le sait bien, Louise doit s’occuper de son conjoint malade. Son travail arrive en deuxième place. »
« Certains employé.e.s ont peur de subir une forme de stigmatisation de la part de leurs collègues », relève de son côté Maude Viger-Meilleur, conseillère en ressources humaines agréée (CRHA) et responsable de la conciliation proche aidance-travail Concilivi.
En réalité, ces personnes craignent les répercussions négatives dont la perte de leur emploi ou encore de subir la stigmatisation ou l’intimidation de collègues.
Le même constat est observé par Sophie Renaud qui aide aussi les entreprises à effectuer le virage conciliation travail et proche aidance.
38 % des proches-aidant.e.s évitent de révéler leur situation à leur employeur par crainte de jugement ou de perte de promotion au travail. Source
Bien comprendre le rôle des personnes proches aidantes
Il est important de savoir quelle est la définition d’une personne proche aidante.
Selon la politique nationale pour les personnes proches aidantes, il s’agit d’une personne offrant du soutien à un membre de son entourage qui présente « une incapacité temporaire ou permanente de nature physique, psychologique, psychosociale ou autre, peu importe leur âge ou leur milieu de vie, avec qui elle partage un lien affectif, familial ou non. »
Cette aide peut être ponctuelle, quotidienne ou à long terme.
« Vous accompagnez un membre de votre famille ou une voisine à ses rendez-vous médicaux ? Vous effectuez des tâches ménagères, dont le lavage de fenêtres, et en plus, vous vous occupez de ses finances ? Eh bien c’est cela, être proche aidant.e », donne pour exemple Claudia Rouleau lors de ses conférences sur le sujet.
Ces descriptions tangibles créent parfois l’effet d’une bougie d’allumage. « Je suis toujours étonnée de constater que des gens qui aident leurs proches depuis des années viennent à peine d’en prendre conscience. »
Attestation de proche aidance et absences
Plusieurs professionnel.le.s dont les médecins et infirmière.er.s peuvent attester du statut de proche aidant.
La CNESST encadre le statut des PPA, les absences, leurs obligations au travail et celles de l’employeur. Il est prévu que « les travailleuses et travailleurs peuvent s’absenter du travail pour remplir des obligations liées à l’état de santé d’une personne pour laquelle ils agissent à titre de proches aidants. Pendant leur absence, leur lien d’emploi est protégé. »
En savoir plus
35 % des gens ignorent qu’ils ou elles sont des proches aidant.e.s. Source
La nécessité de parler de sa situation
Le 11 septembre dernier, Claudia Rouleau a raconté son histoire de proche aidante à ses collègues de Desjardins.
Tout au long de sa conférence, un climat sécuritaire propice aux confidences et au partage de ressources et solutions était palpable. Des salarié.e.s ont même évoqué l’idée de fonder une communauté de partage en milieu de travail.
« Je recommande à chaque employé.e proche aidant.e de bien s’entourer et de discuter avec son.sa gestionnaire qui ne peut pas deviner la situation. Par la suite, il s’agit de s’entendre sur les différentes solutions. »
- Claudia Rouleau
Même son de cloche chez Sophie Renaud, maman de Béatrice, autiste et dépendante du soin de sa famille. « Je me suis demandé comment mon employeur pourrait m’aider à court terme pour me faciliter la vie et diminuer mon stress et mon anxiété ? »
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Instaurer un cadre pour soutenir la proche aidance
Plusieurs employeurs craignent l’instauration de permissions spéciales ou de passe-droit. De là l’importance d’adopter une politique de conciliation famille-travail incluant les responsabilités de proche aidance, rappellent les spécialistes en CFT. Cela permet d’établir une ligne directrice pour les employé.e.s.
« En offrant des mesures clairement définies et en les inscrivant noir sur blanc, cela permet de créer un filet de sécurité qui facilite la gestion de la proche aidance et invite les employé.e.s à discuter de leurs besoins sans crainte », croit Maude Viger-Meilleur de Concilivi.
L’établissement d’une politique assure, selon elle, une meilleure compréhension des possibilités par les employé.e.s et les gestionnaires, et contribue aussi à réduire la pression de négociation souvent vécue par les personnes proches aidantes qui sont déjà en situation de vulnérabilité.
Non à trop d’imprévisibilité en situation d’emploi
À la tête de Cible-Emploi-Humanova, un centre-conseil d’emploi situé dans les Basses-Laurentides, Amélie Gaumont estime important de ne pas remettre le fardeau des proches aidant.e.s sur les entreprises.
De plus, la solution ne réside pas uniquement sur l’implantation d’une politique spéciale. Les salarié.e.s proches aidant.e.s ont souvent des besoins particuliers et fort différents.
« On me demande par exemple s’il est possible de rattraper du temps la fin de semaine. Une autre employée a simplement besoin d’un bureau pour faire des appels téléphoniques au sujet de la prise de rendez-vous médicaux », illustre-t-elle
Mme Gaumont note que les employeurs n’aiment guère l’imprévisibilité. « Si les proches aidant.e.s veulent notre soutien, je leur suggère de nous proposer leurs solutions. »
À l’automne dernier, son organisme a obtenu le sceau de Concilivi pour leur engagement et les bonnes pratiques en matière de proche aidance.
51 % des employeurs affirment que l’imprévisibilité des absences représente un défi lorsqu’ils ont une personne proche aidante à leur emploi. Source.
Des générations de proches aidants
La directrice des opérations chez Cible-Emploi-Humanova remarque une croissance de PPA sur le marché du travail.
« Avec le vieillissement de la population, il s’agit seulement de la pointe de l’iceberg. Il faut s’en préoccuper comme employeur et comme société. Nous n’avons pas le choix car à force d’être épuisé.e.s, plusieurs vont finir par quitter leur emploi. »
- Amélie Gaumont
Responsable de la conciliation proche aidance-travail chez Concilivi, Maude Viger Meilleur observe que la tendance touche plusieurs générations.
« Il s’agit de jeunes qui font leur entrée sur le marché du travail, mais aussi une main-d’œuvre âgée entre 45 et 64 ans qu’on appelle la « génération sandwich » ayant des responsabilités envers leurs enfants, mais aussi à l’égard de leurs parents vieillissants aux prises avec des incapacités physiques ou psychologiques. »
En effet, l’enquête sur le proche aidance au Québec de 2022 estime que 40 % des proches aidant.e.s ont entre 45 et 64 ans.
Comment soutenir les proches aidants en situation d’emploi ?
D’abord, il s'agit de démontrer son ouverture au sujet de la présence possible de PPA au sein de son organisation, suggère Claudia Rouleau.
« Puis, par la suite, je propose de répertorier les mesures et conditions de travail déjà existantes dont peuvent bénéficier les proches aidant.e.s. »
En 2025, une majorité d’employeurs proposent déjà des ententes qui aident les salarié.e.s à mieux concilier la vie personnelle avec le travail.
En voici quelques-unes adaptées pour les employé.e.s proches aidant.e.s :
- Aménagement du temps
- Télétravail
- Horaire flexible
- Réduction du temps de travail
- Possibilité d’accumuler du temps en banque
- Adaptation de l’organisation
- Formation du personnel qui favorisent les remplacements
- Création d’un poste de remplacement volant
- Soutien aux employé.e.s et à leur famille
- Octroi de congés pour force majeure et obligations familiales
- Accès à des services médicaux virtuels et PAE (Programme d’aide aux employés)
Des ressources pour les employeurs
- Accompagnement gratuit
Depuis l’an dernier, l’organisme Concilivi offre un accompagnement gratuit aux employeurs qui désirent mettre en place les mesures pour le personnel en situation de proche aidance. - Projet conciliation proche aidance-travail
La plateforme menée par l’organisme Proche aidance Québec offre aux gestionnaires des ressources et des formations afin de soutenir et comprendre les PPA sur le lieu de travail. - Une ligne téléphonique et clavardage en tout temps
L’organisme L’Appui dispose d’une ligne téléphonique et clavardage en direct pour les employé.e.s proches aidant.e.s. De plus, des outils pratiques sont disponibles dont un guide de prévention de l’épuisement. - Trousse pour outiller les employeurs
Récemment, Concilivi a lancé une trousse pour outiller les organisations. La trousse indique l’importance de prévoir un plan en la matière. D’abord, il faut déterminer le rôle, le titre et les tâches de l’employé.e. Puis, de vérifier quelle personne est habilitée à prendre la relève notamment concernant les livrables en cours.
Un levier de rétention pour les organisations
Quelques mois à peine après l’adoption de mesures favorisant les proches aidant.e.s dans son organisation, Amélie Gaumont de Cible-Emploi-Humanova observe déjà les retombées positives. « Les bénéfices sont énormes en matière de rétention », dit-elle.
Lorsqu’ils et elles se sentent soutenu.e.s, les employé.e.s comme Sophie Renaud et Claudia Rouleau éprouvent une loyauté et une grande reconnaissance envers leur employeur.
« Une entreprise qui affiche présente en matière de proche aidance, c’est sûr qu’elle devient plus attractive. Moi, j’ai envie de m’engager deux fois plus à mon travail parce que je sais que mon employeur démontre une ouverture à mon égard. »
- Sophie Renaud
Un sondage Léger effectué à l’automne 2024 pour Concilivi indique que les employeurs réceptifs aux besoins de conciliation suscitent une plus grande satisfaction au travail chez 84 % des répondant.e.s.
Une proportion similaire (80 %) des personnes interrogées envisagent de prolonger leur carrière chez un tel employeur.
Aspirer à devenir un modèle d’organisation
Les expertes interrogées par Pratiques RH estiment que les employeurs doivent se montrer proactif. Inévitablement, les membres des équipes seront touché.e.s d’une façon ou d’une autre par le phénomène. « Ce n’est plus quelque chose que l’on doit cacher », estime Sophie Renaud.
Cette dernière se prépare à rencontrer plusieurs organisations dans le cadre de son projet Ensemble pour A.I.D.E.R. [Accompagnement, Intégration, Dialogue, Engagement et Reconnaissance] qui valorise les actions concrètes pour les PPA dans les milieux de travail.
« Nous souhaitons que ces entreprises deviennent des sources d’inspiration pour les autres. Car, présentement, plusieurs organisations hésitent à implanter des mesures pour leur personnel parce qu’il n’y a pas vraiment de modèle », conclut Sophie Renaud.